Retour à Ithaque, deux spectateurs

affiche du film

affiche du film avec les cinq copains

 

 

Retour à Ithaque, deux spectateurs pour ce film important

C’est le 18 décembre 2014 que Barak Obama et Raul Castro ont annoncé la reprise des relations diplomatiques entre leurs deux pays. Célébrons l’événement en chœur à deux voix grâce à un film hors du commun, car il montre quel étrange pays est Cuba, perle des Caraïbes.

D’abord mon ami Michel Bibard (auteur des deux naïfs dans les Aurès http://alger-mexico-tunis.fr/?p=784 ), qui a été attaché culturel français à Cuba jusqu’en 1991, au moment où commençait la « période spéciale »

 

l"homme d'affaire" qui travaille dans les médias

l »homme d’affaire » qui
travaille dans les médias

Retour à Ithaque, celle des Caraïbes, c’est presque « Vingt ans après ». Le film est d’une vérité accablante, montrant l’inexorable processus de déshumanisation subi par ce peuple des plus chaleureux livré depuis trois générations à la dictature de celui qui, par un suprême tabou aujourd’hui encore infrangible, n’y est jamais nommé : Fidel Castro , pas plus que le « castrisme », appellation par ailleurs interdite sous peine de prison par le régime lui-même. Tant sont profonds l’intoxication, la peur et leurs dégâts.

Quand nous avons quitté Cuba en 1991 après quatre ans passés à l’ambassade de France, la Première Dame Vilma Espin – femme de Raul, qui tenait ce rôle après la mort de Celia Sanchez – rappelait aux Cubains leur devoir de délation mutuelle pour lutter contre l’impérialisme capitaliste, au cas où les Comités de Défense de la Révolution, les redoutés CDR, se seraient relâchés. Dernier et dérisoire rempart contre la dictature, l’humour. Entendu de nos amis – et néanmoins forcément espions – cubains :  » Différence entre le capitalisme et le communisme ? Le premier, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, alors que le second c’est l’inverse  » Et aussi, parodiant la devise  » Revolución o muerte, venceremos ! » : « Revolución o muerte, valga la redondancia  » (  » La révolution ou la mort, pardonnez la redondance  » ) Ou encore « Socialismo si, sociolismo no !  » ( « Socialisme oui, copinage non ! « ) . Courage de ceux qui sont venus nous saluer officieusement au péril de leur sécurité, l’historien Julio Le Riverend, et Sara Figueroa, et Doris Simons… Honnêteté de ceux qui, réfugiés en France , avouaient leur honte d’avoir dû nous espionner. Ceux-ci sont trop jeunes pour que je cite leur nom.

ville de La Havane depuis la terrasse de l'immeuble

ville de La Havane depuis la terrasse de l’immeuble

Retour pour plus de sérénité à l’Ithaque homérique, sur la mélodie d’Apollinaire :

Lorsqu’il fut de retour enfin

Dans sa patrie le sage Ulysse

Son vieux chien de lui se souvint

Près d’un tapis de haute lisse

Sa femme attendait qu’il revînt

La Pénélope grecque était demeurée fidèle … mais sous ce régime qui a corrompu les esprits et les coeurs des Cubains, quelle confiance, quelle fidélité peut subsister entre qui que ce soit, particulièrement entre ceux qui reviennent et ceux qui sont restés ? Quant aux chiens, vieux ou jeunes, il n’en restait guère à la Havane en 1991 : des jeunes gens affamés les avaient mangés, dans un dernier banquet joyeusement désespéré ; c’était la « période spéciale « …

Et Claude maintenant : Film composé dans le huis-clos des retrouvailles d’un groupe de copains à la Havane, le temps d’une nuit, pour dérouler le passé de leur enfance et leur jeunesse, entre enthousiasme et rébellion, quand le castrisme était dans toute sa gloire nationale et internationale, phare du latino-américanisme, puis le passé plus récent de leur âge mûr pendant la « période spéciale » d’après la décomposition de l’Union soviétique : le régime castriste se durcit et se détraque à la fois. Là où le film allemand La vie des autres nous plonge dans la vision d’une police politique qui est un envers de la société assez bien délimité, nos copains cubains ont un rapport beaucoup plus flou avec le castrisme : un mélange de fierté nationale et d’idéal de progrès social égalitaire, d’acceptation de la corruption au quotidien et de la peur permanente intériorisée envers un régime qui a su mieux que manipuler, pétrir une société dressée face au « péril impérialiste » des Etats-Unis.

Ce pays très voisin est intimement connu par toute la classe moyenne, par les intellectuels, d’autant plus que dans ces couches sociales chacun a de nombreux membres de son entourage, familial ou amical, émigré en Floride ou ailleurs, dès les années 1960 ou depuis les années 1990. Personne à Cuba n’échappe au chantage politique quotidien lié à la migration : as-tu le droit de sortir ou de rentrer ? D’où proviennent tes dollars ?

Hors du film, une information recueillie en Pologne vers 1979 : à cette époque, de ce pays (et d’autres pays d’Europe « de l’est ») provenaient nombre de « coopérants » travaillant pour des programmes de recherche cubains. A Cuba ils étaient en partie payés en « pesos convertibles » en dollars, ce qui leur donnait des devises, soit pour investir à leur retour chez eux (acheter une voiture sur une liste d’attente prioritaire, sans trop longue attente), soit pour voyager en Amérique latine (et négocier un contrat « en dollars » dans une université d’un pays latino-américain). Ces dollars, Cuba en disposait grâce à ses ventes de pétrole en dollars à divers pays d’Amérique centrale et de Caraïbe, pétrole acheté à bas prix en roubles à l’Union Soviétique. Poursuivons sur les étranges relations de Cuba avec ce qui était « les deux blocs ». Mon ami Michel me dit que les relations diplomatiques « officielle » entre USA et Cuba passaient certes par l’ambassade de Suisse, mais que l’énorme édifice de l’ambassade américaine n’était nullement vide : des fonctionnaires américains y traitaient des dossiers (demandes de visas malgré tout ? affaires relevant du droit civil ?). Pendant un demi-siècle, les Cubains ont rappelé l’offense que représentait la présence de la marine de guerre américaine en vue de leurs côtes, à proximité de leurs eaux territoriales. Mais à peu près pas de rappel de la présence d’une base militaire américaine sur l’Ile, Guantanamo… qui à partir de 2001 devient une prison célèbre, en situation extraterritoriale, sur ce territoire loué par les Etats-Unis depuis 1903 à une Cuba qui naissait alors comme Etat indépendant.

le groupe des copains, encore

le groupe des copains, encore

Revenons au film : douleur, joie et dérision, saveur d’un langage libre pour une conversation sur la terrasse de cet immeuble décrépit, entourée des bruits nocturnes de La Havane.

 

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