Timbuktu (2014)
Film politique important de l’année 2014, sans doute plus encore que l’Oranais ( http://midi-pyrenees.coupdesoleil.net/lev_details.php?levID=442 ) ou Retour à Ithaque (http://alger-mexico-tunis.fr/?p=1142 ), tous deux films historiques et non d’actualité.
Le Sahel comme le Sahara a tout pour que la beauté du film soit époustouflante. Cela se passe au bord du fleuve Niger. C’est filmé en fait en Maurétanie, dans la localité de l’auteur du film, Abderrahmane Sissako, mais qu’importe ? Ce nord-Mali est habillé d’une poésie incroyable : celle des musiques, interdites par les djihadistes, celle des femmes, faisant face avec encore plus de courage que les hommes à ceux qui veulent nier leur existence, celle des footbaleurs qui dansent un ballet sans ballon. Un pays dur, de soleil, de sable, de poussière et de vent, où tous se protègent la tête et le cou avec un chèche (un foulard, un voile, un keffieh, un litham). La décence veut que les hommes se voilent le visage avec leur chèche, pas les femmes.
Subtilité d’un pays où cohabitent ceux qui parlent tamachek (la langue berbère des nomades touaregs), ceux qui parlent bambara (la langue principale des sédentaires et gens du fleuve)… et un peu d’arabe, seule langue réellement connue des djihadistes venus d’ailleurs… à moins qu’ils ne soient libyens, dont certains parlent aussi tamachek. Et là dessus, les deux langues de culture, le français, murmuré en connivence par tout un chacun, en particulier pour parler de certaines choses essentielles : le foot, le « réseau » [du téléphone portable[1]]. Mais aussi l’anglais (qui se souvient que GPS est un mot anglais ?), langue de quelques paumés, peut-être venus du Nigeria des « Bokoaram » (qui se souvient qu’en anglais cela veut dire « le livre est interdit » ?) L’écrit est réduit à presque rien : le « magistrat » qui note difficilement au bic sur un cahier, en arabe, ce que dit l’inculpé.
Le film est subtile parce qu’il montre à peine le cœur de l’oppression (flagellation, lapidation), pour décrire au quotidien toutes les ambigüités des relations entre ceux qui sont pieux (l’imam « non djihadiste » proteste contre un islam de caricature), les cyniques (le chef qui fume dans les coins et impose la nouvelle piété, avec qui l’imam discute pied à pied), le magistrat dont on ne sait s’il est habité par la « foi » djihadiste, ou s’il magouille entre charia et justice coutumière, où la mort d’un homme « vaut » quarante vaches. Pas de séparations claires au sein de cet univers désarticulé. De cette nouvelle « piété » militante, les maîtres sont décrits comme profondément impuissants : que ce soit pour créer une vidéo de « repentance » de l’ancien rappeur, pour imposer aux femmes chaussettes et gants qui préserveront leur pudeur par 40° à l’ombre, pour imposer à des analphabètes une loi écrite (au bic…) en un arabe classique dont les plus pieux et les plus lettrés ne connaissent à peu près rien.
Une critique, justifiée pour un film politique, pas pour un conte : la famille de touaregs, héros du film, vivrait dans une innocence ancestrale, en corrélation avec une nature immobile parfaite. Trop de détails (prénom de la vache, présence du téléphone) vont à l’encontre de cette critique.
[1] Le portable est aussi un personnage essentiel dans le film marocain La source des femmes (2011) http://midi-pyrenees.coupdesoleil.net/lev_details.php?levID=197
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