Neuf mois après avoir posté ce texte, il faut l’admettre: ce thème est essentiel, chacun l’aborde, beaucoup tournent autour du pot. A bientôt pour y rentrer à fond.
Ce thème est abordé aussi dans les trois articles sur l’éducation au Maghreb:
http://alger-mexico-tunis.fr/?p=981
http://alger-mexico-tunis.fr/?p=978
http://alger-mexico-tunis.fr/?p=958
L’enseignement du français est au cœur des problèmes sociaux du Maghreb : la langue du pays qui fut puissance coloniale reste celle du prestige social, mais aussi celle d’une partie des administrations publiques, de la pratique des entreprises, des liens familiaux avec ceux qui ont émigré en France, en Belgique, au Québec. C’est aussi la langue dans laquelle s’exprime toute une part du moi intime qui connecte l’individu à lui même, parce que ni l’arabe classique ni la darija ne peuvent servir à cela. L’un exprime (comme le latin pour un bourgeois français du XIXe siècle) un rapport aux éléments convenus d’une morale religieuse, politique et sociale énoncée en aphorismes stéréotypés dans la bouche de leaders rarement respectés. L’autre, le dialecte arabe non écrit qui est la langue maternelle, variable du Maroc à l’Irak), exprime l’intime des rapports quotidiens (familiaux essentiellement, mais aussi de la bande quand elle existe), qui se résume à peu de mots, de formules, de proverbes, même si il sert aussi pour des chants ou des poésies, part profonde des émotions. Les diverses langues berbères jouent un rôle semblable.
Alors que la distance à soi-même, aux autres, au temps, à l’ailleurs, fait partie d’un bagage littéraire, aussi fragmentaire ou limité soit-il, acquis dans la langue française apprise à l’école ou à la télévision. Le monde moderne auquel chacun accède par bribes ne peut être conté ni en arabe classique, ni en darija. En outre la langue française, dans la tradition scolaire, est aussi un accès à des valeurs universelles : celles d’un monde qu’on pense être moins dur et plus cohérent que ceux du quotidien familial ou du rapport aux puissants.
Il est clair que ce rapport au monde moderne passe aussi par l’anglais, devenu langue universelle depuis 1945. Pour tous les non-anglophones du monde, une part essentielle de la chanson, du langage filmique, de la littérature universelle bien sûr, mais aussi de tous les codes de la technique et de la science, s’exprime dans un anglais infiniment souple, parfois très rudimentaire, mais qui ouvre le monde entier. Le français pour les maghrébins a un rôle différent de connexion à un passé social qui ne cesse de se reproduire, avec des codes plus rigides que ceux de l’anglais.
Il appartient aux francophones de maintenir cette connexion, mais en explicitant sans cesse ce que sont réellement les grammaires de la société française, celles de maintenant, mais aussi celles de ce que furent les rapports aussi étroits qu’inégaux des sociétés coloniales.
Donner à voir, à lire, l’immense littérature romanesque francophone produite par les maghrébins, femmes et hommes, au Maghreb comme hors de celui-ci, est une tâche prioritaire. Donner aussi à lire le foisonnement de ce qui fut écrit par les francophones qui découvrirent le Maghreb depuis plus d’un siècle et demi est tout aussi nécessaire. Un petit nombre étaient des écrivains qui donnèrent plus de récits que de romans. Bien plus nombreux étaient des acteurs de ce que fut la colonisation, puis postérieurement depuis un demi-siècle, des « coopérants » aux statuts plus divers et plus changeants. Mais on aurait tort de croire que les deux situations, coloniale et post-coloniale, furent radicalement différentes. Certes la rigidité du système colonial a clôturé les rapports aux colonisés, mais ceux qu’on peut appeler les acteurs du développement, ceux qui apportent idéologies nouvelles, codes sociaux et politiques nouveaux, techniques d’ailleurs, sont présents avant, pendant et après la colonisation et ne cessent d’être fascinés (mais aussi de se protéger) devant les mondes maghrébins dont ils essaient de pénétrer les codes.
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