Pour moi qui ai travaillé à cheval entre le Maghreb et l’Amérique latine, une vision de la France « non hexagonale » m’a aidé à critiquer le système universitaire français. Dans sa diversité, de générations, de « terrains » pratiqués, d’options politiques, le club des géographes « exotiques », coloniaux d’abord, coopérants ensuite, a eu un rôle non négligeable dans l’innovation scientifique, mais aussi dans la critique et la réforme des institutions. Le présent texte a presque dix ans et nous aide à préparer les réflexions qui ne vont pas manquer sur le cinquantenaire de mai 1968. Voir le rôle de la « coopération » en sciences humaines dans le changement scientifique http://alger-mexico-tunis.fr/?p=565
Le système institutionnel des géographes de France et 1968 (pour discussion à la réunion du Vendredi 16 mai 2008, revue Espace géographique)
Situons d’abord l’auteur de ce texte : étudiant de l’« Institut » [de géographie de l’Université de Paris] de 1952 à 1955, depuis 1966 chercheur au CNRS, affecté à cet Institut en même temps qu’à l’Institut des Hautes Etudes d’Amérique Latine jusqu’en 1973, puis affecté à l’Université de Toulouse le Mirail, donc une vision surtout parisienne de 1968, pour un chercheur qui reprend contact avec le milieu parisien après sept ans hors de France (Maroc 1959-1961, Mexique 1962-1965). Mais ce chercheur connaît « naturellement » les milieux professionnels universitaires par sa famille (sans remonter au-delà, un père hispaniste professeur en Sorbonne de 1937 à 1945, puis professeur au Collège de France dont il est administrateur (c’est à dire président) de 1955 à 1965)[voir la position politique de Marcel Bataillon dans l’Algérie coloniale en 1936-37 http://alger-mexico-tunis.fr/?p=192 ; il n’a donc pas besoin d’une perspicacité particulière pour comprendre les institutions universitaires. Il admet plus facilement cet héritage maintenant qu’au cours des décennies 1960 et 1970. C’est bien sur les institutions de la géographie française et sur les formes de sociabilité qui y sont pratiquées que porte ce texte, et non principalement sur les contenus scientifiques de cette géographie.
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J’ai déjà eu diverses occasions d’écrire sur la profession de géographe et ses avatars liés à 1968 : un chercheur du CNRS de 34 ans avait alors par rapport aux enseignants du supérieur (dont il n’avait pas les lourdes charges vis-à-vis du monde étudiant) une vision décalée, proche de celle des étudiants avancés pour qui en ces années de faible chômage « tout est possible » si l’on ose secouer les pesanteurs mandarinales. Presque deux générations plus tard, c’est d’un œil moins critique et par une approche qui se veut plus globale que j’essaie d’appréhender les changements qui ont affecté le monde de la géographie française lors du tournant de 1968.
Avant 1968, la corporation des géographes français était un bloc très organisé. Cette organisation était véritablement instaurée dans l’Université depuis un quart de siècle. Couvée au sein d’une « histégéo » depuis les années 1900 jusqu’au début des années 1940, elle était autonome au sein du couple avec la naissance d’une licence, puis d’une agrégation de géographie, en fait installée en 1945, filière minoritaire mixte certes, mais légitime, si non égale, face à une histoire installée dans le système universitaire français un demi-siècle plus tôt.
Depuis 1945, la géographie a recruté des cohortes croissantes d’enseignants du secondaire, souvent issus de la filière « moderne » (sans latin) : en conséquence ceux des géographes qui aboutissent dans les années 1960 au sommet de la carrière universitaire sont plus rarement des « héritiers » de la culture classique que dans la plupart des filières des facultés de lettres, tout comme dans les « sciences dures » auxquelles on accède aussi sans latin. Un débouché parallèle à celui de l’enseignement secondaire a vu le jour dans les années 1950 pour les géographes, encore limité et de peu de prestige : une géographie appliquée aux métiers de l’aménagement du territoire, où les concurrents mieux placés à cette époque sont surtout des économistes, et encore très peu de sociologues, qui viendront en force à partir des années 1970.
De la forte présence du Parti Communiste chez les géographes français dans les années 1940 et 1950, il reste encore ces traces en 1968 : surtout des solidarités entre anciens résistants et anciens militants, mais ce qui prédomine alors est un consensus de centre-gauche. Une vision assez technocratique du progrès social est dans ce milieu plus fréquente qu’une forte politisation.
L’establishment de la géographie est composé d’universitaires qui se sont organisés en Instituts spécialisés, mieux identifiés que les autres disciplines au sein de facultés de lettres. Ces géographes universitaires étonnent leurs collègues par des mœurs moins guindées, par un goût très pragmatique de la gestion administrative et financière : ils savent mieux que leurs collègues des humanités gérer des demandes de postes et surtout de crédits de recherche.
Les géographes universitaires sont dans l’ensemble d’accord entre eux sur certains postulats professionnels : sauf rares exceptions en faveur de marginaux (prêtres, ou techniciens hautement spécialisés), c’est par l’agrégation du secondaire qu’on est incorporé à la géographie. La base scientifique indispensable d’une pratique professionnelle est une bonne connaissance de la géographie physique, ce qui donne une légitimité particulièrement forte à ceux qui ont pour spécialité la géomorphologie pour présider les instances de la discipline (successivement Emmanuel De Martonne, André Cholley, Georges Chabot, Jean Dresch, Jacqueline Beaujeu-Garnier, André Journaux, Henri Enjalbert). En outre la cohésion scientifique des géographes physiciens en fait des rassembleurs, alors qu’en géographie humaine, au delà du consensus « centre-gauche », les dissensions politiques sous-jacentes risquent d’éveiller des guerres dangereuses pour cette profession jeune et encore fragile. L’ouverture vers des sciences sociales en plein essor est souhaitée (démographie, économie, puis sociologie), mais à condition d’éviter toute mise en cause de l’unité de la géographie et tout glissement vers une science théorique qui éloignerait la géographie de ses outils et pratiques (observation, terrain, représentation cartographique).
Les mouvements universitaires de 1968 ont surtout été décrits pour Paris et pour des disciplines qui se libèrent alors brusquement des canons académiques en place. Ainsi un article de Libération (18-4-2008) focalise toute l’analyse sur l’opposition entre une Sorbonne sclérosée et une université de Vincennes qui naît dans une totale virginité : philosophie, psychologie, psychanalyse, sociologie ou linguistique peuvent éclore. Malheureusement ces nouvelles sciences humaines sont cassées malicieusement quand les pouvoirs publics transfèrent à St Denis cette université expérimentale. Sortons de cette caricature et regardons nos géographes de plus près.
La géographie française a pour spécificité dans les années 1960 de fonctionner en un équilibre où la prédominance institutionnelle de Paris, indéniable, est plus largement contrebalancée que dans d’autres disciplines par des instituts provinciaux en prise sur les administrations locales (pour des contrats de recherche en particulier, ce qui assure des financements pour les recherches de « maîtrise » en particulier). On connaît mal l’impact de Mai 1968 sur ces instituts de province [Sauf des descriptions de Paul Claval pour Besançon, La Géographie comme genre de vie, un itinéraire intellectuel, L’Harmattan, 1996]. Les cas de figure sont bien sûr variés, mais il semble que la contestation, qu’elle vienne de groupes d’étudiants restreints ou de collègues, a souvent pris d’assaut d’assez jeunes « patrons », venus depuis peu « aux affaires » de la direction d’un Institut peu après leur intronisation récente comme docteurs d’Etat. Pour la plupart de ces hommes de centre-gauche, cette promotion est vécue comme le couronnement légitime d’une carrière, s’ils ne souhaitent pas « monter » à Paris, mais aussi comme l’accès à une notabilité sociale. Plus souvent « hommes de terrain » qu’intellectuels purs, intéressés par l’aménagement régional ou urbain, ils sont irrités par les discours idéologiques des leaders qui surgissent, souvent collègues d’autres disciplines plus que leurs propres étudiants. Prêts certes à des réformes dans la gestion de l’enseignement universitaire, et souvent à ce sujet plus ouverts que leurs collègues des humanités traditionnelles, ils supportent mal que leur vision pragmatique de la gestion soit caricaturée comme une honteuse compromission avec le grand capital.
Citons quelques exemples [les prénoms et noms sont suivis des deux nombres : année de naissance puis année d’obtention du doctorat d’Etat]. Les plus anciens ici nommés sont « arrivés » tard, souvent après un passage comme maîtres de l’enseignement primaire : Georges Viers/ 1910/ 1958 ; André Journaux/ 1915/ 1954 ; Jean Bastié/ 1919/ 1964 ; Guy Lasserre/ 1920/ 1962 ; Michel Laferrère/ 1924/ 1960 ; Alain Huetz de Lemps/ 1926/ 1967 ; Pierre Gabert/ 1927/ 1962. Journaux, doyen de la faculté des lettres de Caen ; Bastié, futur secrétaire général du Syndicat autonome des universités et futur président de la Société de géographie ; Lasserre directeur du Centre de géographie tropicale de Bordeaux ; Laferrère leader de la géographie à l’Université de Lyon III et président du jury d’agrégation de géographie ; Huetz de Lemps leader de la géographie bordelaise ; Gabert leader de la géographie aixoise. Tous, après avoir sans doute appartenu comme la plupart de leurs collègues géographes au SNESUP, branche universitaire de la Fédération de l’Education Nationale, ont fait bloc après 1968 au sein du Syndicat autonome des Universités ; leur souci fut de préserver la géographie unitaire dans laquelle ils avaient été élevés, solidement assise sur ses bases de géographie physique représentée avant tout par la géomorphologie de l’« analyse de carte » [topographique et géologique]. Plus encore que ces bases scientifiques de la géographie classique ils ont défendu l’épine dorsale de la profession : le concours d’agrégation. Certes dans ces années 1970 la vague démographique du baby boom a fini d’atteindre les lycées : la croissance du nombre de places proposées au concours s’est tarie (il y a même baisse absolue du nombre des admis vers 1978-85). Mais pour nos jeunes patrons d’Instituts, l’agrégation est la garantie d’une formation unitaire et canonique pour les futurs maîtres de conférence (on disait alors encore maîtres-assistants) de ces mêmes instituts. Sauf exception, cette géographie « maintenue » règne dans ces Universités de province.
Les exceptions : les tout nouveaux noyaux universitaires qui n’ont pas la masse critique d’enseignants et d’étudiants pour préparer à l’agrégation (Reims, Perpignan, St Etienne, Avignon, etc.). Les enseignants peuvent ici innover sous faible contrainte si telle est leur initiative (Roger Brunet à Reims, Groupe Dupont à Avignon, etc.) Autres exceptions, les villes universitaires moyennes ou grosses où la géographie est sortie du cocon « histégéo » de l’ex-faculté des lettre [La loi « Edgar Faure », évoquée ci-dessous plus en détail à propos de Paris, invitait à une recomposition des universités, choisie par les enseignants universitaires eux-mêmes ; en fait sauf exception les nouvelles universités ainsi crées ont en province simplement regroupé en bloc chaque ancienne Faculté, sans dissidence de telle discipline ni de tel groupe d’individus au sein de cette Faculté. La nouvelle législation permet aussi la transformation de la plupart des Instituts de géographie de province en Unités d’enseignement et de recherche (UER) au sein des nouvelles universités. Ces Instituts, qui avant 1968 marquaient le particularisme des géographes en gérant une bibliothèque, une collection de cartes, souvent un atelier de cartographie et une revue, ont compétence dans le nouveau système pour décider du contenu et de la structure des enseignements et pour orienter fortement le recrutement des personnels universitaires, ce qui précédemment relevait d’un Conseil de faculté des lettres où seuls siégeaient les enseignants « de rang magistral »]. Strasbourg où à l’instigation de Jean Tricart la géographie est allé vers les sciences dures (mais aussi parallèlement vers les sciences politiques) ; Aix et Lyon où à la fin des années 1970 les ex-facultés de lettre ont été scindées pour des raisons politiques : Lyon III et Aix III accueillent les plus attachés à la préparation de l’agrégation, Lyon II et Aix II se tournent sans doute plus vers une géographie d’aménagement en espérant de nouveaux débouchés pour les étudiants.
Pour les gros Instituts de géographie provinciaux (en général de 10 à 20 enseignants), restés unitaires au sein des ex-facultés de lettres et sciences humaines, la majorité de la profession donc, on oscille entre des conflits et des compromis difficiles entre les deux filières (agrégation, aménagement). Ainsi, à Toulouse, les « agrégationnistes » sont marginalisés par le groupe dominant, dont le leader, Bernard Kayser, oriente ses troupes vers une filière aménagement qui se colore fortement « à gauche », pour une critique des sociétés locales françaises ; ce groupe s’appuie sur un discours marxisant fort peu respectueux des frontières de la discipline et se désintéresse des questionnements épistémologiques qui naissent alors au sein de celle-ci. Analyser les cas de figure de Montpellier, Lille, etc. serait fructueux.
C’est bien sûr à Paris que les clivages idéologiques et politiques en géographie se développent largement au sein d’une communauté universitaire nombreuse : l’« Institut » vers 1968 frise la centaine d’enseignants du supérieur ; quand ils ne sont pas « en poste » outre-mer, la plupart des géographes de l’ORSOM (futur IRD), une quarantaine, sont à Paris et s’ancrent à l’ « Institut » ; de même c’est une moitié des géographes appointés par le CNRS qui sont attachés à l’ « Institut » (soit ainsi une vingtaine à Paris ; il faudrait compter en plus l’élite des étudiants des Ecoles normales supérieures : pratiquement pas de géographes à la Rue d’Ulm, un peu plus à « Sèvres » (Bd Jourdan), des contingents importants en banlieue : St Cloud, Fontenay, Cachan : recueillir les souvenirs de ces géographes en formation serait précieux.).
Bouillonnement et contestation sont accentués par le manque de locaux. Cependant pendant les journées de mai 1968 un très significatif consensus règne à l’Institut, certes après qu’il ait été déserté par ceux que le « mouvement » agaçait ou inquiétait. La nécessité d’ « occuper les locaux » jour et nuit pour s’opposer à de supposées menaces de saccages ou d’agressions de la part des « fascistes » fait que des matelas pneumatiques s’étalent ici ou là, à la disposition des occupants nocturnes, et que de bon matin le nettoyage est assuré avec ponctualité par quelques étudiants, enseignants (dont Jean Dresch, directeur de l’Institut et futur président de l’Union géographique internationale), ou chercheurs du CNRS (dont Nicole Mathieu). Les assemblées générales remplissent le grand amphithéâtre (il n’a guère que 200 places…), pour des discours où l’utopie tient moins de place que le réformisme constructif, la fiction du vote général par tête n’empêchant pas une retenue de langage assez courtoise au profit des enseignants.
La loi d’orientation de l’Enseignement supérieur votée à l’instigation du ministre Edgar Faure fait éclater la Sorbonne : ses enseignants sont priés d’entrer dans l’une des nouvelles universités proposées par divers leaders intellectuels, syndicaux ou politiques, offrant des recompositions entre disciplines. Les géographes jouent ce jeu plus que la plupart des disciplines établies et c’est là qu’un renouvellement institutionnel peut s’ouvrir, alors qu’on l’a vu en province, sauf exceptions, c’est chaque Institut tout entier qui entrait dans une université « ex-faculté des lettres et des sciences humaines ». Nanterre était déjà, comme Orsay, une nouveauté du milieu des années 1960, et n’a pas connu de remodelage : mariage droit/ économie + lettres/ sciences humaines, où la géographie avait sa place et ne l’a guère modifiée, une part notable du corps enseignant récemment recruté se comportant comme les « jeunes patrons » de province décrits plus hauts, sans que la présence à Nanterre des nouveaux leaders de la sociologie (Alain Touraine : profondément imprégné de son séjour au Chili) ou de l’anthropologie (Eric de Dampierre, africaniste) n’influence semble-t-il les géographes nanterrois.
Le découpage de la Sorbonne envoie à Paris IV (Sorbonne) en gros un cinquième du contingent de géographes du centre de Paris, ceux avant tout désireux de maintenir la stabilité de la discipline « histégéo » canonique : proportionnellement plus de professeurs que de maîtres-assistants. Ceux des géographes qui sont tentés par une alliance « centre-gauche » avec des juristes et surtout des économistes [Ces juristes et économistes sont les minoritaires de leurs disciplines, où les plus nombreux font de Paris II une simple reconstitution de la Faculté de droit et économie sans autres apports notables : le pouvoir politique a moins de prise encore sur ces professions universitaires que sur les autres pour les contraindre à changer leurs mœurs et coutumes.] sont deux fois plus nombreux à partir à Paris I (Panthéon- Sorbonne) et forment le groupe le plus nombreux ; ils appartiennent plus souvent que les précédents aux tenants d’une « géographie aménagement ». Enfin une forte minorité entraînée par Jean Dresch est tentée de se joindre au sein de Paris VII (Denis Diderot) à une fraction minoritaire des « sciences dures » pour un projet pédagogique original où ils se retrouvent avec des linguistes, des historiens atypiques comme Jean Chesneaux (spécialiste du Viet Nam) ou Catherine Coquery-Vidrovitch (africaniste) et des anthropologues. Deux fois moins nombreux qu’à Paris VII sont les géographes qui tentent l’aventure de Paris VIII, université « expérimentale » de Vincennes puis de St Denis, en un ensemble très hétérogène, conflictuel, où des personnalités s’affirment [Les géographes donnent deux présidents à Paris VIII : Jean Cabot (africaniste très lié à l’Algérie) et Pierre Merlin ], sans créer de communauté consensuelle, ce qu’ont été, au moins en façade, les autre regroupements.
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Ainsi a pris fin l’unité corporative de la géographie française, telle qu’elle était gérée depuis le lieu symbolique de l’Institut de géographie de Paris. Beaucoup ont regretté cette communauté issue d’une période où tous se connaissaient peu ou prou, mais ainsi s’ouvraient des possibilités accrues d’initiatives et d’innovations de la part de groupes variés. Certes se maintient le Comité National Français de géographie (correspondant de l’Union géographique Internationale), qui coïncide à peu près avec l’Association des professeurs universitaires de géographie, en tant que club des docteurs d’Etat, et avec la section de géographie du Comité National des Universités (CNU et ses dénominations successives), où les enseignants « de rang magistral » (donc docteurs d’Etat) sont prépondérants. Ce club réformiste de centre-gauche avant 1968 est devenu globalement conservateur, pour maintenir pendant une douzaine d’années l’unité et la bonne tradition dans la profession. Certes l’agrégation de géographie a maintenu la structure même du concours pendant trois décennies, avec quand même des mises à jour prudentes quant aux thématiques à traiter.
Mais de nombreux foyers de changement ont été créés dans les années postérieures à 1968. Aux revues établies (Annales de géographie, Bulletin de l’Association des Géographes français, revues des Instituts de province) se sont ajoutées rapidement l’Espace Géographique, Espace-Temps, Hérodote, toutes revues portées par des préoccupations nouvelles : nouvelles thématiques, soucis épistémologiques, promotion de nouvelles inquiétudes liées aux protestations politiques. Des lieux où n’a pas sa place l’argument « ce n’est pas de la vraie géographie ». Le groupe Dupont perce aussi comme lieu d’innovation, forum de mise à l’épreuve de thématiques et de discussions. La section de géographie du Comité National du CNRS a été aussi lieu d’innovation [Voir La revue pour l’histoire du CNRS, N° 18, automne 2007, dossier organisé par M.C. Robic « voyage collectif en géographie », p. 7- 34] sous deux aspects. A partir de 1969 elle a recruté une part des chercheurs géographes en fonction de programmes collectifs considérés en leur temps comme prioritaires et novateurs, à la manière des sciences sociales qui alors se développaient (linguistique, sociologie, anthropologie), et pour une carrière longue (fut-elle parfois trop longue ?), alors que précédemment la règle était d’attribuer presque exclusivement les postes sous forme de bourses de courte durée à des candidats aux doctorat d’Etat terminant la rédaction d’une thèse (pratique maintenue presque exclusivement en ces années dans les « humanités » des lettres, de l’histoire, etc). D’autre part, les habitudes de travail en équipe des géographes, proches de celles des sciences dures et plus développées que dans la plupart des sciences humaines, ont permis aux géographes de proposer au financement par le CNRS des programmes nouveaux qu’ils savaient adapter aux normes bureaucratiques successives de cette institution (laboratoires ou équipes associés, recherches coopératives sur programmes), comme aux divers appels d’offre thématiques afférents : bien des thématiques nouvelles ont pu ainsi percer en géographie.
C’est probablement la fin du consensus très familial qui régnait dans la discipline qui a porté comme fruits les innovations des décennies 1970 et 1980. La part de eux des géographes français qui voyaient leur discipline depuis l’Afrique (maghrébine ou « noire ») ou depuis l’Amérique latine a été forte dans cette rénovation.
Textes antérieurs de l’auteur sur les réformes et les innovations dans la géographie française :
« Exercice de style: agrégation et géographie », Hérodote, N°4, 1976, p.115-131.
-« Guide vert de la géographie établie en France », Hérodote, N° 16, 4° trim. 1979, p.97-112.
-« Table ronde imaginaire sur la géographie universitaire française, 1930-1940 », textes recueillis, commentés et édités dans Hérodote, N° 20, Janv 1981, p.116-153. [C/O trad. anglaise ch. 9, Anne Buttimer edit., The practice of Geography, Longman, 1983, p. 114- 140].
-« Six géographes en quête d’engagement : du communisme à l’aménagement du territoire
Essai sur une génération », Cybergéo, N° 341, 27 juin 2006 [15 p.] http://cybergeo.revues.org/1739
–Un geógrafo francés en América Latina, cuarenta años de recuerdos y reflexiones sobre México, 2008, El Colegio de México / El Colegio de Michoacán / Centro de Estudios mexicanos y centroamericanos, 165 p. Edition française, Un géographe français en Amérique Latine, quarante ans de souvenirs et de réflexions, Editions de l’IHEAL, Travaux et mémoires N° 79, 2008, 249p., édition augmentée de trois chapitres par rapport à l’édition mexicaine [Mémoire des revues en France ; L’IHEAL, au-delà du demi-siècle ?; Toulouse, entre GRAL et IPEALT], index (La Documentation Française).
-Des éléments du présent texte appartiennent au livre: Géographes Génération 1930, à propos de : Roger Brunet , Paul Claval, Olivier Dollfus, François Durand Dastès, Armand Frémont, Fernand Verger, Préface de Marie-Claire Robic, Presses universitaires de Rennes, Collection « Espaces et territoires », 2009, 226 p., index.
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