Jacques Soustelle a tant participé à la politique française, comme pilier du gaullisme puis comme exilé anti- gaulliste réputé proche de l’OAS, que l’on oublie son métier d’anthropologue, et même son rôle dans la gestion « sociale » de la crise algérienne : c’est lors de l’année (février 1955-janvier 1956) où il a été gouverneur général de l’Algérie, nommé par Pierre Mendes France, que sa collègue Germaine Tillion le persuade de créer les Centres sociaux pour lutter contre la « clochardisation » de l’Algérie. Le projet, pour lui, s’appuie sur l’exemple des centres de l’Institut National Indigéniste, qu’il connaît au Mexique.
Mais on oublie plus encore que ce brillant étudiant en philosophie a été en 1932- 1934 le premier chercheur « de terrain » envoyé par Paul Rivet au Mexique (le second et dernier sera Guy Stresser-Péan). Soustelle anthropologue est surtout connu pour ses travaux de vulgarisateur cultivé sur la Méso-Amérique précoloniale. Cependant son Mexique terre indienne, écrit à chaud dès son retour de « mission » est de la qualité du Triste tropiquede Lévi-Strauss. Ce dernier publie son carnet de terrain à 43 ans : c’est déjà un universitaire reconnu. Soustelle a 24 ans quand sort son Mexique terre indienne, il n’a publié avant qu’un article sur les Lacandons. Déjà chevronné, aurait-il décrit « son » Mexique avec autant de fraicheur ? Le livre n’a évidemment en France qu’une audience minime. L’auteur en reprendra l’essentiel trente ans plus tard dans son Les quatre soleils: souvenirs et réflexion d’un ethnologue en Mexique, pour la même collection Terre humaine de chez Plon que le Triste tropique.
Il faudra attendre encore quelques années pour que le livre de Soustelle soit publié au Mexique par Enrique Florescano dans la collection de vulgarisation Sepsetentas (1971), repris dans la version commerciale Sepsetentas Diana en 1980. Si le livre reste si longtemps inconnu en espagnol, c’est parce que parler familièrement des réalités rurales mexicaines n’est tolérable qu’au moment de dégel idéologique qui rend aussi acceptable la Cristiadade Jean Meyer (3 volumes 1973- 1975, Siglo XXI).
Que diable Georgette et Jacques Soustelle allaient-ils faire en pays otomi, aux confins nord du monde « aztèque » du Mexique central ? Un peu comme Stresser-Péan chez les huastecos plus à l’est, il est chargé par Rivet de découvrir un « peuple premier » plus authentique que les nahuas fondateurs de l’empire conquis par Hernán Cortés. Le couple complète sa mission chez les Lacandons, « peuple premier » lui aussi par rapport à la civilisation maya. Cependant c’est le premier contact des Soustelle avec la paysannerie du Mexique central qui pour moi a la charge émotionnelle la plus forte, dans ces années de la présidence de Lázaro Cárdenas, héros de la réforme agraire. Le jeune français de gauche découvre une révolution. Le récit est illustré de photos dont la plupart relèvent de l’ethnographie, mais s’y mélangent plusieurs vues de grandes manifestations politiques, ou de grands pélerinages. L’essentiel est un récit sur ce monde rural en cours de modernisation, mosaïque de villages, d’ethnies, de religions.
Posséder l’édition de 1936 de Mexique, terre indienneest une chance que je dois à mon ami Gilles Grandjouan (1932- 2010) https://journals.openedition.org/cybergeo/25580. C’est un de ses cousins Langevin qui le lui avait donné et l’exemplaire est dédicacé par Jacques Soustelle à Paul Langevin, celui des trois fondateurs du Comité de vigilance des Intellectuels antifascistes qui était le plus proche du Parti communiste (les deux autres fondateurs étaient Rivet, proche de la SFIO et le philosophe Alain, proche des radicaux). Ce n’était pas le bord politique de mon ami Gilles, qui en fils d’anarchiste s’efforçait d’être de droite. Donc un livre précieux…
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