Leila Slimani Le pays des autres, Gallimard, 2020
Pour qui, jeune homme, a connu le Maroc entre 1951 et 1961, ce roman permet de comprendre les failles du monde franco-maghrébin dont il était et est resté amoureux. Le paradoxe de celui-ci est que les très profondes osmoses qui le constituent n’ont à peu près pas donné de métissage. Et le roman est l’histoire de ce métissage exceptionnel, et d’autant plus fécond. L’histoire d’un couple : une jeune alsacienne en est la principale narratrice, avec sa fille. Un jeune marocain, son époux, tisse les lieux de l’action : la medina de Meknès, et surtout la campagne proche, terre de colons et d’ouvriers agricoles. Le moment est celui où le système colonial a basculé dans tout le Maghreb : tout en 1945 aurait été possible pour une histoire heureuse que symbolise ce couple mixte. Les tensions qui s’accumulent culminent à la fin du roman, en 1956, moment où le protectorat français va prendre fin. Les horreurs de la guerre civile (courte pour ceux qui se souviennent de la guerre d’Algérie…) n’empêchent pas le bonheur de la plage à Mehdia, qui émerveille la petite fille.
Une originalité du livre : parler des couples mixtes franco-maghrébins, révélateurs des sociétés coloniales composées «d’indigènes » et de « colons ». Comme dans le récit de Albert Memmi Agar(1955) qui décrit la Tunis juive, mais ici c’est la femme qui raconte.
L’auteur écrit là un début dont la qualité de récit, l’écriture incisive, font espérer une suite rapide. Elle nous avait à peine donné précédemment quelques pages qui annonçaient ce roman, dans deux courtes nouvelles pour l’hebdomadaire Le 1(repris dans Le diable est dans les détails, p. 45/47 et p. 51). Un film mexicain, par ses images, correspond à ce monde des souvenirs des années 1950 : Roma. http://alger-mexico-tunis.fr/?p=1853 Lire aussi la note de lecture de Denise Brahimi https://www.coupdesoleil-rhonealpes.fr/lettre-culturelle-franco-maghrebine-43
Quelques citations pour donner envie de lire ce livre :
-Pour Mouilala, le monde était traversé par des frontières infranchissables. Entre les hommes et les femmes, entre les musulmans, les juifs et les chrétiens et elle pensait que pour bien s’entendre il valait mieux ne pas trop souvent se rencontrer. (p. 111)
-Amine était né au milieu de ces hommes, au milieu de ce peuple, mais il n’en avait jamais conçu de fierté. Au contraire, il lui était souvent arrivé de vouloir rassurer les Européens qu’il rencontrait. Il avait tenté de les convaincre que lui était différent, qu’il n’étai ni fourbe, ni fataliste, ni fainéant, comme les colons aimaient à parler de leursMarocains (p. 270)
-« Sans doute ne supportait-elle pas l’idée que je sois heureuse, pense Selma, plus heureuse qu’elle et mieux mariée » (p. 326)
-[Aïcha] soupçonnait qu’il existait quelque chose qui s’appelait le malheur et que les hommes étaient capables de cruauté. Et dans la nature qui l’entourait elle cherchait des explications. (p.347)
[Aïcha] « Papa, ce ne sont que les méchants Français qui sont attaqués, n’est-ce pas ? Les gentils, les ouvriers les protègent, tu ne crois pas ? » (p.357)
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