Fred Vargas, L’humanité en péril : quelle chaleur allons-nous connaitre, quelles solutions pour nous nourrir ? Flammarion. Volume 1, 2019 (nouvelle édition augmentée 2020). Volume 2, 2022, 350 pages.
Dans son premier essai, ancien de trois ans, elle a esquissé ces problèmes, sous l’angle des actions quotidiennes que chacun peut mener maintenantpour réduire les disfonctionnement liés au changement climatique. Situer le livre de Fred Vargas nécessite de situer aussi son auteur : en dehors de ses polars à grand succès, elle avait écrit quelques essais, dont un très court sur les changements écologiques (2008), médiatisé en 2018 grâce à Charlotte Gainsbourg, qui en fait une lecture publique à la COP 24. Fred Vargas fait de ce texte l’origine de son essai de 2019, Virons de bord, cette fois-ci assez gros livre (340 p.), qui fut semble-t-il un best seller (il aurait un moment dépassé le niveau de ventes de Musso et Marc Lévy…). Un compte rendu (Rémi Barroux) du livre a été publié par Le Monde en Juin 2019. Un autre plus critique de Coralie Schaub dans Libération https://www.liberation.fr/livres/2019/05/01/fred-vargas-l-humanite-en-peril-le-lecteur-en-detresse_1724352/ Une polémique assez banale est montée par une spécialiste du genre à propos du livre où une écolo parano tire sur son propre camp. https://leblogdenathaliemp.com/2019/06/30/climat-fred-vargas-seme-la-peur-et-inquiete-surtout-son-camp/ Ce premier livre « écolo », regardé avec calme, est une oeuvre parfaitement improbable. En effet qui peut lire réellementun ouvrage de cette taille où la majorité les paragraphes dépassent une page, sans aucun découpage en chapitres qui permettrait au lecteur de respirer ?
Le dossier de Alternatives économiquesde décembre 2022, « Sobriété, ça va faire mal ? », beaucoup moins radical, a l’avantage de parler de transition énergétique à deux échelles de temps : L’hiver 2023 et les politiques pour les années proches (pas la prospective à 20 ans du second livre de Fred Vargas…). Et la sobriété y est « décortiquée » après avoir montré que réduire celle-ci à l’efficacité que permettent les technologies actuelles ou futures, c’est « évacuer les questions qui fâchent ». L’exemple donné est le déplacement des personnes, particulièrement évident. On peut en prendre un autre, la consommation énergétique des logements : occuper un seul logement est sobriété d’usage, mieux l’isoler est sobriété de substitution, avoir moins de mètres carrés dans son logement est une sobriété de dimension, cohabiter avec plusieurs personnes une sobriété de collaboration. Pour toutes ces formes de sobriété, il est clair que plus on est riche, plus on est confronté aux efforts nécessaires…
Fred Vargas elle-même se moque de la manière dont elle a écrit au fil du clavier, accumulant à peu près sans aucun ordre le fruit de ses immenses lectures et de ses indignations: elle se contente d’aménager des poses où elle dialogue avec un logiciel fictif ou avec ses lecteurs, pour aérer un texte souvent drôle, mais composé d’un mélange d’anecdotes vengeresses et de données scientifiques, par rebondissements, sans hiérarchiser ses préconisations ni dans le temps ni dans un espace mondial raisonné.
La seconde édition du livre (décembre 2019) comporte un chapitre annexe (p. 245-316) qui, malgré des développements formant diverses parenthèses, est ciblé sur ce que sera la société française vers 2050 ou 2060, quand les énergies fossiles ne seront presque plus utilisées. C’est donc une préfiguration du livre de 2022. Ce « brouillon » est intéressant, parce qu’il permet de comprendre comment travaille l’auteure : elle lance ses interrogations sur un thême, développe, prolonge, corrige et bifurque si nécessaire.
Il me fallait donner ces quelques mots sur ce volume 1, déjanté et en fait illisible pour moi (ce qui a sans doute été une cause de son succès… beaucoup d’acheteurs s’indignent et feuillettent seulement). Ceci me permet de parler avec plus d’assurance du volume 2 de L’humanité en péril, lui aussi mélange d’anecdotes vengeresses et de données scientifiques innombrables, mais cette fois-ci organisé pour une prospective qui m’a convaincu, après avoir lu attentivement ce second livre.
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L’été 2022, exceptionnellement chaud et sec pour les Français, s’enchaine avec la crise probablement durable de l’accès aux matières premières liée à la guerre d’Ukraine depuis février 2022 : les sceptiques et les attentistes concernant les changements climatiques ont perdu beaucoup de points et la question d’une économie mondiale sans énergies fossiles vers 2040 (dans une génération) est enfin prise au sérieux.
Très souvent les études sur ce monde futur de « l’après pétrole » restent sectorielles et parcellaires : commerce international, ou bien technologies productrices de nouvelles énergies sans CO2, ou bien technologies et pratiques sociales pour diminuer les consommations d’énergie, ou bien encore gestion du stress social engendré par les changements inévitables, chaque secteur est traité séparément par d’excellents spécialistes. Pour l’immédiat, c’est aussi de manière sectorielle qu’on décrit l’urgence actuelle : capacité des citoyens à agir « conformément à la morale », actions nécessaires des Etats ou des acteurs économiques majeurs.
L’originalité de Fred Vargas est qu’elle se veut globale, essayant de décrire ce que sera sans doute la future société française, prise dans le nouveau contexte mondial, dans une génération. Elle parle très peu des situations que doivent prévoir d’autres sociétés que la nôtre, car son second brulot s’adresse comme le premier à un public français. Rappelons que cette romancière de polars « cultes » a pour métier la préhistoire, discipline où l’on dispose de très peu de données récoltées pour reconstituer des sociétés anciennes globalement. Dans son essai de 2022, elle décrit globalementla future société post- énergies fossiles à partir de l’immense masse de données actuelles, projetées dans un monde privé d’énergies à bon marché.
Son postulat est radical : vers 2050, les énergies renouvelables auront de toute façon remplacé les énergies fossiles parce que le peu qui en restera sera de toute manière très coûteux. Les énergies renouvelables seront aussi plus chères et plus rares que les actuelles énergies fossiles qui ont été sans cesse meilleur marché depuis plus d’un siècle. Donc, même sans bonne volonté des consommateurs ou des entreprises ni capacités des Etats à contraindre à la sobriété, l’énergie comme les matières premières seront beaucoup plus chers et rares. On les économisera nécessairement et l’ensemble des procédés techniques changera donc radicalement, en particulier tous les systèmes de transports qui depuis le XVIe siècle ont rendu en permanence plus rapide et moins coûteux le déplacement des marchandises et des hommes, sur mer puis sur terre puis dans les airs.
Fred Vargas en déduit ce que seront les changements de nos habitats, de nos alimentations et de tous nos modes de vie. Puisqu’elle s’adresse à un public français, elle décrit la future société française. Si bien qu’elle regarde celle-ci à l’échelle de la centaine de départements métropolitains, puisque c’est à l’intérieur de ceux-ci que les transports locaux ou régionaux pourront fonctionner, sauf rares (et couteuses) exceptions plus lointaines. Rappelons que cette centaine de département a été établi à la fin du XVIIIe siècle par la Révolution française en s’appuyant sur le maillage de villes et de transports de l’époque, c’est-à-dire quand les transports reposaient essentiellement sur les voitures à cheval, sauf là ou des fleuves et canaux privilégiaient quelques axes. Vers 2040 à nouveau les transports à courte distance seront privilégiés. Certes on pourra parcourir quelques centaines de kilomètres couteux (en trains électriques) pour déplacer les individus, ou bien, meilleur marché, quelques dizaines de kilomètres en vélos (partiellement électriques). Pour les marchandises lourdes quelques kilomètres seulement, au mieux quelques dizaines, sauf pour quelques produits rares et coûteux. Pour ces transports lourds, tout comme pour faire travailler les machines agricoles, comment utiliser des batteries électriques trop coûteuses ? Pour l’essentiel il faudra donc utiliser la traction animale beaucoup moins coûteuse. Dans son livre précédent (fin 2019) il était question pour la France d’utiliser un demi-million de chevaux de trait, sans détailler le problème. L’auteure a évolué en deux ans et reconsidère le problème. Comme la constitution d’un cheptel de centaines de milliers de chevaux de trait (actuellement presque inexistant) prendra longtemps, l’urgence obligera à utiliser un cheptel de bœufs et vaches de trait. Ce cheptel semble beaucoup plus rapide à constituer à partir des actuelles races à viande et à lait, cheptel actuellement très nombreux dont la reconversion suppose un retour au dressage, mais aussi la formation de dizaine de milliers de conducteurs de ce bétail, pour ce travail agricole et ces transports lourds de proximité. Espérons que les races bovines en usage actuellement puissent donner des bœufs de traction performants. L’auteure évalue le cheptel bovin de trait nécessaire en France à huit million. Cet exemple ciblé sur le travail agricole est le plus poussé dans le livre, même si l’auteure décrit aussi les effets du manque de terres rares qui ralentira l’usage et l’évolution des systèmes électroniques actuellement sans cesse plus puissants et meilleur marché. Elle doute donc que les communications « immatérielles » sortent indemnes de la fin des matières premières bon marché : la fuite en avant grâce aux hautes technologies a donc sans doute aussi ses limites. Elle ne détaille pas cette question, alors que dans son livre de 2019 elle envisageait le retour à un usage principal du téléphone fixe (et donc son réseau essentiel de fils de cuivre), soit à domicile, soit par rétablissement de cabines sur les voies publiques.
C’est donc un bricolage entre de l’ancien remis au gout du jour (bœuf, cheval, voile), du récent (vélo, train, éolienne, barrage sur rivière) et du contemporain (innombrables procédés et outillages nés depuis 100 ans parmi ceux qui consomment peu d’énergie et de matériaux rares et nouvelles productions d’énergie décarbonnée) qui assureront la vie de nos sociétés où la part du local, du régional, du « national », du continental et de l’intercontinental aura radicalement changé. Le lointain sera rare et cher, le proche accessible à la plupart.
Fred Vargas s’adresse au public français, si bien que l’impact de cette révolution mondiale n’est pas détaillé dans tous ses aspects dans son livre. Les changements démographiques ne sont pas évoqués et ils seront différents entre sociétés déjà vieillissantes (occidentales, russe, ou chinoise) et sociétés ayant gardé de fortes natalités (Afrique), peut-être plus faciles à adapter. Les différences seront notables aussi entre sociétés ayant gardé un tissu économique local dense facile à réexploiter, avec des habitats de type « villageois », et sociétés actuellement beaucoup plus dépendantes des transports à longue distance. La relative « autarcie » régionale sera beaucoup plus facile à aménager là où coexistent villes moyennes et populations « rurales » (certes de moins en moins occupées actuellement d’activités agro-pastorales), que là où sont implantées de grosses métropoles sans tissus « ruraux » autour. Les sociétés restées peu consommatrices d’énergies fossiles nécessiteront moins d’adaptations que celles qui en consomment le plus actuellement (Etats-Unis en tête, puis Europe et Chine presque à égalité). Les schémas « départementaux » que modélise Fred Vargas pour la France s’approchent plus de la réalité hors des grandes métropoles, des zones côtières et des massifs montagneux. Les schémas de solutions avancés dans ces modèles font penser que l’adaptation sera plus facile dans l’Indre ou le Lot et Garonne que à Marseille, Paris ou Chamonix.
Fred Vargas a manifestement séduit peu de lecteurs avec ce second livre de prospective radicale (ventes en librairie médiocre et à peu près pas de commentaires sur le web ni dans les médias grand public ou spécialisés, aucune traduction publiée). Sans doute parce qu’il est très difficile d’admettre ce « retour en arrière » massif, même pour les militants désireux d’une politique « écologique » maximale. Mais aussi parce que les militants en question sont plus préoccupés par l’action immédiate que par les lents aménagements nécessaires, destinés à organiser un futur extrêmement incertain. On peut planifier maintenant (si l’on arrive à convaincre de vastes majorités ?) l’implantation de champs d’éoliennes ou de panneaux solaires, mais il est difficile de prévoir comment reconvertir les sols des surfaces commerciales et des aéroports qui seront largement surdimensionnés avec leurs immenses parkings, prévisions peu enthousiasmantes. Les transformations nécessaires des productions agro-sylvo-pastorales sont plus objet de polémiques enflammées que de prospectives très complexes et forcément lentes. Fred Vargas, préhistorienne, se sent à l’aise dans des retours à des technologies du XVIIIe siècle, mais sa prospective peut convaincre plus facilement les habitants de régions françaises « moyennes » que ceux de grandes métropoles françaises et de leurs annexes touristiques très spécialisées, en montagne skiable ou en bord de mer, et plus difficilement encore ceux de pays à contrastes beaucoup plus forts.
J’ai demandé à une quinzaine de collègues géographes de lire et de commenter le brouillon du texte qui précède : une dizaine ont répondu et aucun n’avait lu aucun des deux livres « écolos » de Fred Vargas. Des cercles différents, entre Toulousains, anciens co-auteurs de la Géographie Universelle Reclus (vers 1985-89), membres actuels de la revue Espace Géographique. La plupart connaissaient ses polars et en avaient apprécié certains ; quelques uns étaient séduits à l’idée de lire prochainement ses essais « écolos », d’autres étaient a priori irrités par cette écologiste militante radicale et provocatrice. La plupart voyaient que tant pour la France qu’à l’échelle mondiale une restriction des transports à longue distance devenus plus couteux était à prévoir, que les économies régionales où il y avait interpénétrations du rural et de l’urbain à relativement courte distance se réorganiseraient plus facilement, que l’usage récent ou actuel de la traction animale et du cheptel de traction pouvait faciliter ces adaptations. Des interrogations aussi sur les éventuels avantages des bords de mer pour les transports à longue distance. Mais ceux dont l’engagement personnel est « écolo » pensent plus aux difficultés d’une action raisonnée et coordonnée ici et maintenant qu’à l’utilité d’une prospective « abstraite » pour 2050.
Confirmation, début février 2023, du succès du premier essai (2019) de Fred Vargas et de l’échec de son second essai (2022): à Paris comme à Toulouse, le nombre de bibliothèques municipales qui ont acheté le premier est le double de celles qui ont acheté le second…
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J’ai essayé de penser une prospective similaire à celle de Fred Vargas (projection dans une génération) pour les sociétés sur lesquelles j’ai travaillé des années 1960 aux années 2000, celles de l’Amérique latine. J’ai soumis ici aussi mon brouillon à mes amis géographes travaillant sur cette même région, ce qui m’a permis d’intégrer leurs réflexions au texte qui suit.
Les produits à haute valeur continueront à y circuler pour une exportation vers le reste du monde : en tête les drogues distribuées par les réseaux maffieux, soit provenant d’industries sans localisations exclusives, soit provenant pour la coca des zones forestières humides du Pérou à la Colombie. Mais aussi le café des zones montagneuses chaudes et humides, là aussi du Pérou à la Colombie, tout comme du Mexique et de l’Amérique centrale. Après épuisement des gisements d’énergie fossile ne seront plus exploitées pour l’exportation que quelques mines de produits rares comme le cuivre chilien, mais aussi peut-être le lithium des salars boliviens. Pour tous ces produits rares le transport par des caravanes de mules ou de lamas depuis des territoires mal desservis jusqu’aux littoraux n’est pas absurde.
Les grandes agricultures exportatrices (blé, maïs, soja, viandes du Brésil, d’Argentine, du Paraguay, d’Uruguay) seront très affectées par le coût des transports lourds, sauf pour la production distribuée régionalement de bio-carburants, où la canne à sucre semble la mieux placée, même si cette filière est très controversée comme productrice de CO2 indésirable. La réorganisation de ces grandes économies agro –pastorales vers des marchés locaux ou régionaux sera très fragile. Les grandes métropoles ne pourront continuer à exister partiellement que si elles disposent à proximité de bassins ruraux où s’organiseraient des polycultures vivrières agro-pastorales. Les zones héritant de tissus paysans diversifiés anciens (Andes et Méso-Amérique) se convertiront à des économies locales et régionales plus facilement que celles héritant de faibles peuplements liés à des monocultures de masse. Dans ce contexte la réorganisation de Sao Paulo, Buenos Aires, Lima ou Monterrey semble plus difficile que celle de Mexico, Guadalajara, Bogota ou Quito. « La plupart des villes, à l’exception des sites miniers, sont dans des bassins agricoles, capables d’alimenter 100 000 personnes sans problèmes, mais pas 5 ou 10 millions. La logique serait de penser soit un effondrement démographique, soit une dispersion dans des villes secondaires capables d’organiser des bassins de production. Santiago et Buenos Aires s’alimentent déjà largement dans leur propre région. J’ai plus de doutes pour Bogota, où la poussée des agricultures d’exportation autour de la ville a repoussé dans un lointain imprécis, mais plutôt dans les terres chaudes, la production alimentaire – et notamment la riziculture et l’élevage. Je ne sais pas ce qu’il en est pour Mexico, où il semble que les agricultures urbaines soient encore importantes. Sur le fond, c’est plutôt le système d’industrialisation de l’agriculture et de transformation de ses produits qui fait question : la mécanisation remplacée par des animaux, mais les engrais ? on mettra du fumier ? Et la transformation des grains ou la conservation des aliments ? » (Sébastien Velut)
La réorganisation des relations entre ce que sont actuellement les zones rurales de départ de migrants et les métropoles d’arrivée sera complexe : retours vers certaines zones « rurales » disposant de nouveaux emplois, départs depuis les métropoles vers des zones autres que les lieux d’origine. « On peut penser à un « retour au local », dans les zones de vieille tradition paysanne indigène, notamment dans les Andes indiennes, avec des circuits et des marchés réactivés autour des villes petites et moyennes, voire certaines villes plus importantes comme Quito, Medellin, La Paz ou Cochabamba… Avec quand même un avantage écologique aux Andes humides par rapport aux Andes plus sèches ! De ce point de vue le Pérou désertique, côtier et urbain sera très handicapé (60 % de la population du pays vit sur la côte); or l’essentiel des terres agricoles des oasis y a été urbanisé, les glaciers fournisseurs d’eau sont en voie de disparition totale et l’agriculture d’exportation (asperges, mangues, avocats…) repose en grande partie sur l’exploitation de nappes phréatiques sur-sollicitées. La mégapole de Lima est insoutenable par circuit local. Reste une interrogation : une décrue démographique possible (?), « volontaire », certaines couches de population, pouvant faire le choix de retourner à leurs lieux de départ d’anciens migrants (cf. le maintien important de liens socio-culturels entre certains quartiers populaires et les campagnes d’origine de leurs habitants, cela même après plusieurs générations de migration urbaine. On a même enregistré, lors de la Covid, des mouvements de « retour en Sierra » de populations pauvres de Lima – à pied même (!), quand les transports étaient limités pour éviter la diffusion du virus.
Pour la mégapole de Bogota, il pourrait y avoir des mouvements de cette nature, compte tenu du fait qu’il y a dans la métropole plusieurs millions de personnes déplacées par la violence et l’accaparement des terres chaudes par les grandes propriétés agro-pastorales (élevage, bananeraies…), ces populations pourraient souhaiter retrouver leurs terres spoliées et leur « vocation paysanne »… Un avantage comparatif pourrait-il favoriser certains versants amazoniens des Andes, relativement peu peuplés et arrosés ? Ce qui pourrait susciter un mouvement de colonisation agricole avec des cultures destinées à l’alimentation locale et régionale et aussi d’exportations de produits « faciles » à transporter (café, cacao) ». (Jean Paul Deler)
Cette esquisse rapide oblige à rappeler que l’Amérique latine, avant l’émergence de l’Amérique du nord, a été le premier continent à participer à une économie mondiale fondée sur des transports bon marchés à longue distance, avec un héritage très limité de sociétés « paysannes », elles-mêmes à peu près dépourvues d’animaux de traction (lamas des Andes), transformées par l’usage du cheval, du mulet et du boeuf dès le XVIe siècle.
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Rappelons (avec Fred Vargas) que 2022 est l’anniversaire du cinquantenaire du cri d’alarme du Club de Rome « halte à la croissance ». Pour moi, c’est aussi le cinquantenaire de la création du Centre commercial Carrefour à Portet-sur-Garonne (banlieue sud de Toulouse). Cette dernière célébration permet de nous souvenir qu’on a dit à l’époque que c’était « le plus grand d’Europe » (en surface commerciale ? en nombre de places de parking ?). Pourquoi ce gigantisme ? A l’époque il était seulà desservir un territoire immense vers le sud : aucun concurrent sur un demi-cercle jusqu’à la côte catalane ou la côte basque, soit plus de 300 km de diamètre. Dans 50 ans, voire avant, les terrains de ce Centre commercial auront changé d’usage, car seuls les commerce à proximité de leurs usagers garderont une clientèle (10 km à vélo ? c’est déjà loin…). Seuls les riches pourront se faire livrer à domicile des produits non périssables et rares (de l’électronique en particulier). C’est grâce à Fred Vargas que je peux remémorer ce souvenir de ma vie quotidienne.
Lançons un conte de Noël collectif : si Fred Vargas nous a montré une France somme toute vivable en 2040, mettons-nous au travail, géographes ou autres « penseurs » de bonne volonté, pour montrer un monde en 2040 qui dans sa diversité soit à la fois solidement pensé et vivable. Et puis, ce géofutur, on le mettra à jour tous les sept ans, à mesure que nos sociétés et nos technologies auront changé.
Décembre 2022
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