Fadhma Aïth Mansour Amrouche, Histoire de ma vie, La découverte poche, [1968], 2010, 219 p., préfaces de Vincent Monteil (1967) et de Kateb Yacine (1967).
Ce récit a été suscité par le fils de Fadhma, Jean Amrouche, en 1945 ; elle l’a écrit d’une traite l’année suivante, en français. Elle ne souhaitait pas qu’il soit publié du vivant de son mari, ni que les noms propres des protagonistes apparaissent. En 1962, à la mort de Jean, en suivant l’opinion de celui-ci, sa sœur Marie-Louise Taos a décidé une publication intégrale. Taos y a ajouté sept poêmes composés oralement par Fadhma en tamazight en 1940, qu’elle a recueillis et traduits.
Le destin de cette femme (1883-1967) appartient au monde kabyle pénétré très tôt par l’école française, monde très restreint, attaché à la fois à une scolarisation laïque aussi précoce que limitée, qu’au milieu des religieux catholiques qui eux aussi scolarisent, mais en même temps soignent les indigents et font des conversions. Fadhma, rejetée par la tribu en raison de ses origines « hors norme », est d’abord éduquée « à la laïque » en français, puis prise en charge pour soigner à l’hopital catholique. Venue d’un village de Grande Kabylie assez ouvert sur l’extérieur, elle se marie à un instituteur de Petite Kabylie converti au catholicisme et se convertit alors, si bien qu’elle subit les pressions et interdits de la famille puissante de son mari, longuement décrite en un récit sans doute unique comme ethnographie des relations sociales en montagnes kabyles avant 1914. En 1909 le couple et ses enfants migre à Tunis, où le père est employé aux chemins de fer. Ils y passent l’essentiel de leur vie, les enfants s’installant en France où Fadhma les rejoint et finit sa vie.
Un témoignage exceptionnel sur la « promotion » de familles paysannes au sein des systèmes coloniaux (Algérie et Tunisie), essentiellement à travers ce que que l’on obtient grâce à la langue française : un statut, des métiers, une indépendance vis-à-vis des lignages, mais aussi une mise à l’écart vis-à-vis des communautés qui cessent de protéger les « renégats ». Une anecdote : en Petite Kabylie, habitant dans sa belle famille, Fadhma a certes le droit d’aller à la messe, mais en se déplaçant exclusivement au cœur de la nuit pour être sûre de ne rencontrer personne, car une telle rencontre ferait perdre son honneur à la famille, éventualité qui entrainerait peut-être des crimes de sang.
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