Virage de la décolonisation : nouvelles mutations dans l’éducation au Maghreb (1942- 1955/ 62)

2- Virage de la décolonisation : nouvelles mutations dans l’éducation au Maghreb (1942- 1955/ 62)

 Vers 1939, bien peu de politiques imaginaient que le progrès scolaire « à la française » dans l’Empire allait être mis en question trois ans plus tard. En Afrique du nord, l’avant guerre se termine avec le débarquement allié de l’automne 1942 : Maroc et Algérie sont « libérés », mais en même temps la Tunisie est occupée par les Allemands, puis après des mois de durs combats libérée à son tour.  Jusqu’en 1945, le Maghreb coupé de la métropole est le centre d’une France libre dont Alger est la capitale, et pas seulement par son université. Les populations « indigènes », mais aussi les responsables français, quand ils sont lucides, savent que le système impérial est mort et que l’heure est à une transition, négociée ou violente, vers une autonomie pour laquelle il faut former de nouvelles élites. La conjoncture mondiale est favorable aux nationalistes, si bien que les réformistes sont pressés d’agir, avec entre autre l’enjeu des choix, français ou arabe, pour développer l’éducation. Des situations d’urgence accrues par une croissance démographique qui s’accélère, enfin visible pour tous.

Le présent texte Virage de la décolonisation : nouvelles mutations dans l’éducation au Maghreb (1942- 1955/ 62) fait suite à  Education et culture au Maghreb, entre français et arabe, Monde précolonial et monde colonial : quelle modernisation ? (avant 1942) http://alger-mexico-tunis.fr/?p=958

Et a pour suite

Indépendances et politiques éducatives au Maghreb http://alger-mexico-tunis.fr/?p=981

J’ai déjà abordé dans ce blog ces questions sous l’angle des langues (darija, français, arabe littéraire, tamazight) http://alger-mexico-tunis.fr/?p=599 , http://alger-mexico-tunis.fr/?p=14 , http://alger-mexico-tunis.fr/?p=372 . Mais aussi sous l’angle de la coopération http://alger-mexico-tunis.fr/?p=565 , http://alger-mexico-tunis.fr/?p=189, http://alger-mexico-tunis.fr/?p=61 comme sous l’angle des politiques éducatives http://alger-mexico-tunis.fr/?p=192 , http://alger-mexico-tunis.fr/?p=113

Politique culturelle maghrébine de la France ?

Entre les trois pays, les actions sont loin d’avoir été cohérentes, dans leur déroulement sur plus d’un siècle et demi. On a pu cependant repérer quelques moments où une politique a été tentée. Et si non, des moments où des acteurs prenaient au moins conscience d’une communauté de problèmes à affronter. En voici quelques éléments. Ils concernent essentiellement l’immédiat après seconde guerre mondiale et se réfèrent principalement à l’enseignement de l’arabe, mais on cherche aussi à coordonner les institutions en vue d’une politique commune. Faute de mieux, pour ces initiatives très morcelées relevées essentiellement aux archives des Affaires Etrangères, nous suivons la chronologie de cette politique maghrébine centrée sur cet après seconde guerre mondiale.

En 1923 (selon J. Berque), une première conférence de concertation entre les trois autorités françaises du Maghreb sur le problème scolaire est tenue, puis une seconde (1924) sans prendre de décisions après un rapport du Commandant Marty. Le système éducatif ne produit pas d’effort lexical de modernisation de l’arabe maghrébin, à la différence de l’orient : il faut donc agir, sentir, se révolter en français. Le nationalisme  d’alors est très lié à la naissance de la radios, un seuil est franchi quand sont installés les trois émetteurs d’Alger, Tunis et Rabat, ces villes confirmant ainsi leur rôle de capitales culturelles dans leur pays respectif. Parallèlement l’envoi de boursiers étudiants en France crée des solidarités entre ceux-ci à Paris, lors de l’Exposition coloniale de 1931, mais aussi lors du Front Populaire de 1936. Encore un jugement lapidaire de Jacques Berque : « Dans l’entre deux guerres, l’indigène devient affaire de spécialiste, il n’intéresse plus que le révolutionnaire, le chercheur ou de rares attardés ».

En 1945 est créé un éphémère Ministre d’Etat aux affaires musulmanes, et le ministère de l’Education nationale affecte deux inspecteurs généraux à l’Afrique du Nord, un pour Tunisie et Algérie orientale, l’autre pour Maroc et Algérie occidentale.

Au même moment, un projet de 1930 est repris : créer un pavillon d’Afrique du Nord à la Cité Universitaire de Paris, parallèle à un projet de pavillon d’outre-mer. Il faudrait trouver un directeur logé « connaissant bien les indigènes et ayant leur confiance ». On y logerait l’élite des étudiants venus du Maghreb (musulmans ou français), les autres étant dirigés vers la province. Le maître d’œuvre du projet serait l’Ecole de la France d’outre-mer, qui elle aussi serait logée là, avec des services communs. Finalement, en 1953, naissent les deux pavillons du Maroc et de la Tunisie. Des projets postérieurs successifs de Pavillon d’Algérie n’ont pas encore vu le jour en 2014.

Octobre 1945 : à Londres se réunit un Congrès mondial de la jeunesse. Quels représentants du Maghreb ? Une fille et un garçon, tous deux indigènes, représentent l’Algérie : ils réclament l’égalité et la scolarisation et condamnent le nationalisme pour son racisme. La plupart des délégations « coloniales » se déclarent nationalistes, dont le délégué tunisien Azzeddine, président des scouts musulmans de Tunis (qui s’exile d’ailleurs à ce moment) : des conflits avaient empéché le départ d’autres délégués. Rabat n’a envoyé personne, faute de mouvement de jeunesse indigène dans le pays. En 1946, dix passages sont demandés à Tunis pour envoyer des délégués au congrès des Eclaireurs israélites de France. En 1947, le scoutisme musulman en Tunisie a deux branches, l’une religieuse, l’autre liée au Collège Sadiki et à l’enseignement franco-tunisien moderne, formateur d’élites modernes.

En 1947 se profile un projet pour le bac d’épreuve d’arabe dialectal marocain en seconde langue vivante, qui pourrait être aussi adopté en Algérie. Le problème est moindre en Tunisie où la darija est plus proche du classique. Finalement, cette même année, l’arabe dialectal rejoint le classique dans les épreuves possibles du bac. De plus l’année suivante, une épreuve au bac dans la langue du pays est admise à Tunis comme à Rabat. Ces mesures donnent accès au bac à quatre fois plus de Tunisiens que de Marocains.

C’est sans doute dès 1945 que la France a systématiquement envoyé des fonctionnaires nouvellement recrutés par concours nationaux (en particulier dans l’enseignement) dans les pays de l’Empire, parfois sous forme d’une liste complémentaire de reçus aux concours. Un supplément de salaire (33%) est attribué aux partants, puis une prime d’expatriation. Ces avantages sont maximaux pour l’Indochine et Madagascar, moyens pour l’Afrique noire, moindres pour le Maghreb, où les postes proposés sont les plus nombreux. Parallèlement de nombreuses grandes écoles (ENA, écoles d’ingénieurs) envoient leurs élèves en stage de quelques mois en Afrique du Nord. Dès 1954 les volontaires vers l’Algérie se font rares, alors que les indépendances tunisienne et marocaine limitent (sans les tarir) ces débouchés. Dès 1963 la mise en place du statut de coopérant militaire pour les jeunes diplômés envoie un flux, renouvelé au bout de deux ans en général, qui entretient au Maghreb un stock de coopérants de l’ordre de 12000 (dont plus de 8000 pour l’Algérie).

Un essor de l’éducation populaire est marqué en 1947 par le succès des livres arrivant de France au Maroc (les livres en arabe commandés au Caire ne sont pas encore arrivés). Ce développement de la lecture, sensible aussi en Tunisie, y est pris en charge par les milieux de la gauche et du nationalisme. En 1948 El Alami, nationaliste marocain établi au Caire lance l’édition d’ouvrages scolaires en arabe pour le Maroc et un libraire de Fés va importer 10 000 exemplaires de cette production.

En 1947 un stage agricole est organisé dans le Lot, il accueille des juifs de Tunisie (Djerba), mais aussi du Maroc : l’encadrement agricole est notoirement faible et les services de sécurité découvrent que c’est en fait un camp d’entrainement pour émigrants potentiels vers Israel.

En 1950 la Corpo de droit de l’UNEF souhaite des enseignants à plein temps, et non des avocats donnant une formation pratique, pour Tunis, Rabat et Casablanca, pour de « vraies universités »… mais un commentateur de presse souhaite que les étudiants maghébins aillent en métropole, pour un meilleur brassage et pour éviter l’ambiance de l’Université d’Alger « qui a contribué à la création d’un type algérien qui tend de plus en plus à ignorer la métropole à laquelle rien ne le rattache [sinon peut-être] le sentiment de son infériorité numérique par rapport à la masse autochtone ».

En 1952 le projet de jumelage de lycées et collèges français avec leurs homologues d’outre-mer est lancé, avec un avis défavorable de la Résidence de Tunis. Un accord de principe cette année-là est donné pour coordonner entre les trois pays du Maghreb la production de films pédagogiques et de films pour adultes en éducation de base portant sur ces pays.

En 1953 est lancé le projet d’un hebdo pour enfants en arabe, alors que seul un magazine égyptien, de lecture difficile, circule un peu dans la seule Tunisie. Tanger est choisi, car l’éditeur Marcel Didier (propriétaire de Cœurs vaillants, hebdo catholique) y a une imprimerie avec caractères arabes. Le projet porte sur 20 000 exemplaires, dont 6000 pour la vente, le reste par abonnements gratuits vers les écoles essentiellement, pour le Maghreb, mais aussi pour le Liban et l’Egypte. Le projet est de 12 pages dont 6 de BD [pas de trace de réalisation du projet].

De 1950 à 1956 fonctionne à Paris un Centre de recherche en droit musulman

En 1955, François Mitterand lance l’idée d’un grand centre d’études islamiques à Paris, projet reçu avec méfiance à la Zitouna comme à la Karaouine, qui souhaitent une « assistance technique » pour se moderniser elles-mêmes : un Institut franco-musulman d’études traditionnelles à Alger serait plus judicieux. Une réunion interministérielle se tient pour la création d’un centre d’études pratiques d’arabe moderne : il a pour but principal de promouvoir une langue de presse et de radio des pays arabes, arguant de ce que les britaniques (dès 1945), les USA (en 1954) ont fait au Liban tout comme l’URSS à Tachkent pour les langues turques. Ce centre est nécessaire dans la perspective d’autonomie du Maroc et de la Tunisie et de poussée de la Zitouna. La décision de 1955 choisit le Liban, où on reprend le séminaire du RP d’Alvezy à Bikfaya, le centre créé étant dirigé par Jacques Berque, qui propose des professeurs et non des moniteurs, avec une ouverture sur la société libanaise. Rabat propose d’emblée d’y envoyer 13 stagiaires du corps des contrôles civils.

Jacques Berque, fils d'Augustin Berque, haut fonctionnaire du Gouvernement général de l'Algérie, fut lui-même contrôleur civil au Maroc. Cet arabisant sociologue et ethnologue, professeur au Collège de France, a dirigé le centre de Bakfaya au Liban dans les années 1950/60

Jacques Berque, fils d’Augustin Berque, haut fonctionnaire du Gouvernement général de l’Algérie, fut lui-même contrôleur civil au Maroc. Cet arabisant sociologue et ethnologue, professeur au Collège de France, a dirigé le centre de Bikfaya au Liban dans les années 1950/60

En décembre 1954 se réunit au Caire un congrès de l’enseignement arabe, où Maroc et Tunisie sont invités, ce qui exclut une délégation française qui « incluerait » les deux protectorats. Finalement, en s’excusant sur des délais trop courts, la France délègue un Français vivant au Caire, alors qu’un Espagnol et un Marocains vivant à Tetouan assistent comme observateurs

Ce panorama des initiatives françaises concentré sur l’immédiat après seconde guerre mondiale montre que l’essentiel des concertations en vue d’une politique culturelle maghrébine reposait sur des fonctionnaires compétents appuyés par des hommes politiques qui savaient que le monde colonial devait se transformer dans l’urgence. Ces initiatives ont accompagné les indépendances des deux protectorats, mais ont été bloquées par les sept ans de guerre d’Algérie. Dès avant 1962, la politique de coopération a massivement pris la suite.

Les étudiants maghrébins avant les indépendances, Paris avant tout.

Les cadres politiques du nationalisme maghrébin appartiennent majoritairement à la poignée d’étudiants formés à partir des années 1930, qui font leur apprentissage essentiellement en France, entre une ambiance de liberté inimaginable dans aucun pays du Maghreb et l’impression qu’un plafond de verre bride leurs ambitions. Avant 1914, ils sont une vingtaine de Tunisiens (futurs avocats ou médecins). Vers 1930, les étudiants irakiens ou égyptiens sont en France plus nombreux que les maghrébins. Parmi ceux-ci les Tunisiens sont quelque 500, à côté d’Algériens un peu moins nombreux et de 50 Marocains très actifs au bureau de l’Association des étudiants musulmans nord-africains en France créée en 1927. Cette association est le noyau du parti nationaliste alors commun, l’Etoile nord-africaine. Les deux tiers de ces Tunisiens se concentrent à Paris, où certes la vie est plus chère qu’en province, mais où les « petits boulots » son plus faciles à trouver. Mais la mobilité de ces étudiants est grande : on les trouve en en petit nombre au Caire, à Damas, à Genève ou à Tanger. Si les autorités françaises souhaitent la formation de techniciens et de scientifiques, peu de vocations dans ce sens car les carrières d’ingénieurs sont bridées dans les administrations coloniales : 40 Tunisiens et 5 Marocains seulement entrent dans les écoles d’ingénieurs.  Alors que les carrières de médecins et d’avocats sont porteuses de modernité « libre », au demeurant comme dans l’Europe du XIXe siècle où ceux qui ne bénéficiaient pas d’une bonne « naissance » n’avaient pas place dans l’appareil d’Etat. Pour les Tunisiens (mais pas pour les Algériens), on leur interdit en 1935 de se présenter aux concours d’agrégation de lettres, histoire et philo, puis en 1937. C’est au niveau le plus élevé qu’en 1935, un rapport signé de Louis Massignon et d’Augustin Bernard prône une politique systématique pour s’attacher ces jeunes élites en formation.

Si l’essentiel des étudiants maghrébins va en France, le petit noyau du Caire dès est renforcé en 1945 lors de la création de la Ligue arabe et en 1947 ces étudiants créent un Comité de libération du Maghreb, auquel participent Allal el Fassi et Bourguiba. Plus d’étudiants tunisiens que de Marocains, surtout au Caire où la science moderne est enseignée à El Azahr, mais aussi à Damas. On trouve aussi quelques départs individuels d’étudiants vers la Suisse, le Royaume Uni, les Etats-Unis.

Guy Pervillé a analysé la situation des étudiants « algériens » sur la longue durée (1880-1962). Il montre que dans les pays où un self government est plus ou moins envisagé (protectorats français, systèmes anglais), les élites locales ont une perspective d’avenir tracée, alors que là où le jacobinisme français est omniprésent, le plafond de verrre de l’inégalité de statut est une impasse : alors que les élites d’Afrique noire, peu nombreuses, ont quand même un avenir, en Algérie les élites montantes issues de petite classe moyenne moderne (instits, personnel de santé, commerce moyen, employés des services publics) ne voient de débouché vers le haut que dans les professions libérales. Ce sont cependant tous des privilégiés, par rapport aux cadres du FLN qui se veulent les représentants du « peuple » algérien, et qui affirment que ces étudiants ne peuvent appartenir à ce peuple tant qu’ils n’ont pas choisi l’option nationaliste. Ces cadres entretiennent ensuite la mauvaise conscience de ceux qui s’engagent, essentiellement à partir de l’ordre de grève universitaire lancé en 1956 par le FLN. A ce moment une minorité étudiante engagée est prise dans la répression et décimée (soit au maquis, soit en ville) alors que la majorité continue à mener ses études, pour un tiers à Alger (malgré la pression plus ou moins forte du FLN), un tiers en France (avec acceptation du FLN et enrôlement par celui-ci), un tiers à l’étranger ( où ils sont pris alors comme propagandistes et auxiliaires de la politique étrangère du FLN). L’UNEF estime le nombre d’étudiants algériens  à 1000 en 1960. Alors qu’une évaluation plus large (tous les post- bac y compris lesprépas diverses) donne hors Algérie 1780 ( 1954), 2080 (1956), 2190 (1958), 2288 ( 1961). Sur environ 1500 étudiants à l’étranger en 1960/61 les pays arabes sont largement en tête (Tunisie 536, Maroc 440, Egypte 130, Irak 123). L’ « occident » ensuite (Suisse 135, Allemagne ouest 75, USA 41, Belgique 11), puis le bloc communiste (Allemagne est 82, Yougoslavie 42, Tchécoslovaquie 35, URSS 32).

1945-1962 : Algérie, effort scolaire massif, surtout lié à la guerre d’indépendance

En juillet 1944 la Commission scolaire du Comité de libération propose la création de 400 classes par an pour passer de 100 000 scolarisé(e)s à 1 200 000. Une autre projection  prévoie 20 000 classes pour un million d’élèves, soit une projection de 1000 classes à créer en 1958 pour 50 000 nouveaux élèves et en 1965 2500 classes pour 125 000 nouveaux élèves.

Dans la zone saharienne, très sous-équipée, l’effort est rapide à partir de 1945 et en trois ans « il n’y a plus une seule oasis sans école » : c’est effectivement un milieu de populations groupées et réceptives où combler le retard marche sans problèmes. Plus globalement, on crée en 1945 et 1946 pour 24000 nouveaux élèves 500 classes, avec un cadre spécial  qui permet d’incorporer comme nouveaux instituteurs des diplômés de medersas, du brevet élémentaire, du diplôme d’études secondaires, de la première partie du bac. Ce sont les problèmes de locaux qui créent le plus de difficultés, d’autant plus que certaines écoles ont été réquisitionnés par l’armée. Les créations sont surtout en ville, et les ¾ des classes nouvelles sont à mi-temps pour ces raisons. Les réalisations immédiates portent sur un relèvement du niveau des maîtres. On monte de 21000 filles scolarisées en 1939 à 38 000 en 1946, en poussant à aligner leur scolarité sur celle des garçons (en s’éloignant de l’ouvroir).  Si en 1892 les filles scolarisées formaient  1/10 des classes d’âge concernées, en 1945 on est monté à 1/5 et les classes sont pleines. On intensifie la fusion entre école européenne et indigène : 41000 enfants musulmans scolarisés dans les premières sur un total de 164 000 enfants indigènes scolarisés en 1946.

Cette poussée scolaire se poursuit avec beaucoup de classes à mi-temps (25% en 1953) et avec beaucoup de maîtres ayant seulement le brevet élémentaire plus un stage de formation de 3 mois.

En 1955 sont créés les Centres sociaux (initiative de Germaine Tillion), dans un but prioritaire d’alphabétiser des adultes ruraux, tout en leur donnant une formation professionnelle. C’est une tentative exceptionnelle, car jusqu’alors, tout comme après 1962, l’effort d’alphabétisation porte sur les jeunes, non sur les adultes.

En 1956, les Documents algériens dressent un bilan de la « formation universitaire des élites algériennes », au moment où l’on a pris conscience de la guerre qui s’est installée. Le texte débute par un bilan concernant le primaire. Depuis le début de la grande politique annoncée en 1945, le nombre d’élèves indigènes du primaire a doublé : en gros l’effort a tenu ses promesses. Depuis les « évènements » les écoles fermées pour cause d’insécurité (et souvent de destruction par les « rebelles ») sont justes compensées par les nouvelles ouvertures dans les « régions plus calmes », sans doute surtout urbaines. « Dans les régions pacifiées, l’armée a ouvert des « écoles de plein air, sous tentes, dans des locaux récupérés, avec des instits appelés ou mobilisés » : c’est le début de la politique des SAS. Les SAS montent des classes de dépannage pour scolariser dans l’urgence : il y en a 2000 en 1960, avec un personnel improvisé ; celui-ci est parfois peu apprécié par les enseignants du Ministère de l’éducation nationale, soucieux de préserver les normes scolaires habituelles. Ces enseignants sont installés souvent dans des lieux où la scolarisation n’existait pas avant. Leurs élèves sont certainement plus de 100 000 ainsi alphabétisés, en français exclusivement, peut-être près du double, avec pas mal d’enseignantes mais aussi beaucoup de militaires faisant la classe, entre scolarité formelle parfois et alphabétisation élémentaire souvent. Parfois une cantine scolaire rend l’école plus attractive. En 1960, l’armée revendique la scolarisation de 50% des jeunes ruraux, contre 15% en 1954. En 1961, 109000 européens sont scolarisés pour 735000 « algériens ».

L’article de 1956 des Documents algériens détaille les formations allant au delà du primaire. Outre les écoles normales décrites ci-dessus, l’ensemble des filières rattachées au primaire (artisanal, agricole, technique) accueille quelque 18800 garçons dont 1/3 d’indigènes et 10000 filles dont 1/4 d’indigènes. Le secondaire « général » accueille 37000 élèves dont 20% d’indigènes, pour 50 établissements dont 4 « francomusulmans » [les anciennes medersas transformées en 1952]. Le secondaire technique et agricole accueille 6000 garçons dont 55% d’indigènes, 3900 filles dont 43% d’indigènes. Il est composé de quatre écoles (Sidi bel Abbes, Philippeville, Guelma, Aïn Temouchent).

L’Université d’Alger, elle aussi, est saisie par l’urgence. Elle accueille vers 1960 quelque 5000 étudiants dont 500 indigènes, ceux-ci sans doute plus nombreux parmi les 2000 étudiants « algériens » en métropole. On y crée un Institut d’études politiques. L’école nationale agricole de Maison Carrée s’accroit elle aussi jusqu’à une centaine d’élèves ingénieurs, dont très peu d’indigènes.

Tunisie, décennie de transition vers l’indépendance (1942- 1955)

Le tableau de l’année scolaire 1945 énumère les filières : le programme primaire français est ouvert à tous et accueillait (en 1942) 2300 muslmans et musulmanes.  Ce programme scolarise les Européens à 100%, les juifs à 20%.Dans les écoles franco-arabes (on vient d’en ouvrir une pour les filles) les cours sont en français, sauf 1/3 d’horaire pour l’arabe littéraire et le coran. Le débat en cours porte sur une école « adaptée aux besoins », en particulier en milieu rural, ce que contestent les milieux tunisiens qui refusent une « école au rabais ». Dans le technique existent 6 établissements de garçons et 3 de filles (6000 élèves dont 2500 musulmans). Le secondaire pratique des programmes  purement français, sauf le Collège Sadiki, à forte composant d’arabe classique. Pour le décongestionner, on crée des sixièmes sur son modèle dans trois collèges (Sousse, Sfax, Tunis). Au total 7600 élèves dans le secondaire, dont 1671 musulmans. Un secteur privé primaire et secondaire accueille 4000 élèves pour les catholiques, 3000 pour l’Alliance israélite, 10 500 pour le « coranique modernisé ». Le sevcteur public accueille globalement 97000 élèves et le plan quiquennal doit aboutir à 135000 en 1949, grâce à 2 à 300 classes crées par an.

Cette politique est critiquée, car elle augmente les scolarisés de 10000 par an, quand les classes d’âge concernées augmentent de 50 000 par an. L’ensemble des musulmans scolarisés est de 54000, soit 5% des classes d’âge concernées. En 1949 (« Scolarisation de la Tunisie et milieu social » Semaine pédagogique, Tunis), Jean Poncet, professeur de lettre au Collège Sadiki énonce que, sur  700 000 enfants scolarisables, 150 000 sont scolarisés (dont 30 000 dans le privé), seulement 1/6 pour les musulmans, avec de grosses disparités géographiques : ¼ dans le Sahel, 7% dans le sud, avec situations intermédiaires dans l’ « intérieur ». C’est en 1949 que le plan lancé par Lucien Paye prévoit pour … 1969 une scolarisation primaire complète pour les musulmans. Il prévoit en même temps un enseignement professionnel post-primaire. En 1952 on a incorporé au système scolaire 20% des classes d’âge primaire, 30% en 1955. A cette date 20% des enfants de cet âge sont scolarisés en Algérie et 15% au Maroc.

Dans ce contexte d’effort vigoureux de scolarisation s’inscrit le problème des langues servant à cet enseignement. Ceux qui proposent [en 1945] comme base de scolarisation l’arabe parlé ignorent que c’est une langue pauvre, pour laquelle les instituteurs, tunisiens ou français, ne sont pas formés, et ne peuvent s’appuyer sur une littérature écrite, en outre ils n’auraient pas de passage possible vers le secondaire existant. Par ailleurs regrouper l’existant en un enseignement franco-arabe unique est impraticable, probablement pour les européens enracinés dans le pays, mais sûrement pour ceux qui sont de familles françaises « expatriées temporaires ».

En 1946 la question linguistique surgit à nouveau, avec un point de vue inverse : pour lutter contre la désaffection de l’enseignement de l’arabe, il faudrait deux heures hebdomadaires de dialectal dans toutes les écoles françaises, ce qui aiderait au rapprochement entre « les gens des deux langues » et aiderait à la fixation écrite et à l’enrichissement culturel du dialectal. Pour éviter que cette mesure fasse fuir les mécontents vers les écoles privées, il faudrait l’étendre à tout le système. Ce projet, qui est approuvé par Paris, suppose une formation des enseignants et la création de bons manuels. En 1949, le directeur de l’Instruction publique, Lucien Paye (Semaine pédagogique, Tunis) insiste sur la nécessité d’enseigner le dialectal dans le primaire pour enseigner le classique dans les lycées.

Lucien Paye à Tunis comme à Rabat, oeuvre avant et après la seconde guerre mondiale, pour une modernisation des élites maghrébines, et particulièrement pour la prise en compte de la darija dans l'éducation élémentaire

Lucien Paye à Tunis comme à Rabat, oeuvre avant et après la seconde guerre mondiale, pour une modernisation des élites maghrébines, et particulièrement pour la prise en compte de la darija dans l’éducation élémentaire

En 1945, la Résidence commente l’ouverture de la première école coranique de filles « moderne » (à Sfax) : c’est l’initiative de milieux modernistes qui appartiennent à la Zitouna « indice d’une propagande dangereuse menée par les nationalistes ».

C’est à partir de 1947 que la Résidence de Tunis produit une note bimensuelle sur les nouveautés culturelles en arabe, sur un ton entre neutre et favorable : théâtre, radio, presse (y compris revues techniques), scoutisme. Mais aussi un Institut de droit rattaché à la Zitouna, où des professeurs et avocats tunisiens font des conférences. L’Union des jeunes filles tunisiennes lance des cours d’arabe.

Les milieux tunisiens critiquent un système scolaire où l’arabe a une part mineure, tout comme dans l’administration (pour celle de l’éducation par exemple, le personnel administratif est aux 9/10 français). Le syndicat tunisien de l’enseignement public demande une réforme des programmes et une tunisification de l’administration.

La politique de modernisation des élites passe par de nouveaux collèges selon le modèle de Sadiki créés à Tunis, Sousse, Sfax, ce qui fait baisser la demande d’entrée au Lycée de Tunis de ceux qui veulent accéder au bac. Au delà, les débats sont entre l’accès des étudiants tunisiens aux grandes écoles comme aux universités en France, et la création d’établissements à Tunis. Pour la première option, dès 1945 le flux d’étudiants tunisiens en France reprend, appuyé par des prêts d’honneur : vers 1956 on a quelque 300 étudiants tunisiens, autant que de Marocains, alors que la population marocaine est plus du double de la population tunisienne. Il se développe en ces années en Tunisie un syndicalisme commun aux  élèves du secondaire et aux étudiants, qu’ils soient en France ou à Tunis. C’est le moment où le syndicalisme étudiant cesse d’être commun aux trois pays du Maghreb, pour être pris en main par les partis nationalistes. C’est en 1955 que le FLN algérien crée un nouveau syndicat étudiant.

A Tunis même, un projet pour le supérieur, dès 1942, regrouperait les instituts existants en un Institut des Hautes Etudes de Tunis à trois sections (droit, science, humanités). Cet Institut voit le jour en 1947 : sa création avait été prévue dès 1944 et les promoteurs étaient prestigieux : Marçais (arabisant), Rodière (juriste) Saumagne (arabisant) Zerfuss (architecte), Mzali (arabisant), Picard (archéologue). Il inclut un Centre d’études juridiques, dont l’Université d’Alger s’inquiète qu’il puisse être rattaché, non à celle-ci, mais à Paris. Cette rivalité pointait dès le début et continuera (en 1949 Tunis veut développer les études politiques, mais en rattachement à Paris, non à Alger). L’IHET regroupe 8 institutions (concernant la médecine, les sciences naturelles, l’agronomie, l’océanographie, les antiquités, la Zitouna). Globalement les étudiants sont 1673, dont 770 musulmans en 1946. En 1948 on y enseigne pour un ou deux ans le droit, les sciences, l’histoire ancienne, la philologie et la littératur arabes et on veut y rajouter des branches spécifiques, sur l’archéologie et l’histoire tunisiennes, sur la biologie méditerranéenne. La priorité est aux recherches par rapport à l’enseignement et pour d’autres spécialités, Tunis se contente d’être centre d’examen pour l’Université de Paris (littérature française, histoire médiévale ou moderne) et la cérémonie de rentrée de 1949 accueille le doyen de la Faculté des lettres de Paris, le géographe André Cholley.

En 1948 est créée une Ecole d’administration, destinée à la formation des cadres moyens.

En 1949 Al Khaldounia organise à Tunis un congrès international culturel islamique, et reçoit un avis très positif sur cette manifestation qui s’appuie sur la Zitouna et le Vieux Destour, mais il est ignoré par le Néodestour. Le commentaire du général Duval est aussi à l’encontre : c’est une manifestation xénophobe où la venue de Bourguiba provoque l’enthousiasme : c’est sur sa présence militaire que la France doit compter à Tunis, pas sur son action culturelle.

Globalement ces années avant 1956 ont créé en Tunisie des élites modernes, ouvertes aux sciences plus tôt qu’au Maroc. 84 ingénieurs tunisiens sont formés, dont 48 agronomes souvent formés à Alger (Ecole de Maison Carrée). Une centaine de médecins tunisiens aussi. Si le discours nationaliste a revendiqué un meileur usage de la langue arabe, entre autre dans l’administration, les nouvelles élites bilingues héritent du prestige très fort du système éducatif français et s’empressent de signer avec la France les conventions culturelles qui assurent leur propre pouvoir par rapport aux monolingues, mais aussi un développement technique lié à la culture française.

 

Au Maroc, course à la modernité entre Palais et Résidence entre 1942 et 1956

Si politiques et historiens ne peuvent éviter de parler ensemble des « deux protectorats » maghrébins autour de la seconde guerre mondiale, nous savons que la société marocaine reste en ces années ancrée dans une tradition dont les autorités politiques ont conscience qu’il faut la moderniser en urgence, en s’appuyant sur « les tribus », les medinas, le pouvoir du Sultan – Cherif (c’est à dire descendant du Prophète).

Le souverain, Mohamed V, lance le volet « national » de cete modernisation : création d’écoles coraniques (« msid ») rénovées avec enseignement du calcul, développement d’un enseignement privé musulman, qui accueille 25000 élèves en 1948, ouverture d’un premier collège de filles musulmanes en 1945 à Rabat, un second à Fez en 1946. Et une rénovation de la Karaouine. Pour le cercle du pouvoir est créé en 1942 le Collège impérial de Rabat, réservé à une poignée de fils de notables, internes et boursiers, avec un programme moderniste style Ecole des Roches.

En 1944 un « programme de l’instruction publique aux populations indigènes »  établit un plan de scolarisation primaire moderne : passer de 2% des classes d’âge primaires scolarisées à 13% en 1956. Malgré un « principe » d’enseignement gratuit en arabe, pour lequel on n’a pas d’enseignants, on fait appel à la venue d’enseignants de France, pour le primaire, le secondaire ou le technique. Le manque d’enseignants est préoccupant pour les écoles franco-musulmanes « au moment où nous nous sommes engagé devant l’opinion publique marocaine à accroître notre effort de scolarisation de la jeunesse musulmane ». C’est le moment où l’on scolarise une couche privilégiée d’urbains qui apprennent à parler et écrire le français et seront les futurs étudiants des années 1960.

Au même moment il faut régulariser la situation administrative d’enseignants recrutés comme auxiliaires, faute d’argent, dans les années 1930 (18 personnes pour le secondaire, 150 pour le primaire, autant pour l’enseignement musulman, où la minorité est composée d’instituteurs indigènes). Il faut réquisitionner des places de bateau pour l’arrivée de 40 enseignants de France (comme pour le départ du Maroc vers la France de 150 étudiants…)

En 1946, le problème de recrutement d’instituteurs est beaucoup plus aigu au Maroc qu’en Algérie ou Tunisie, où la majorité des candidats est trouvée sur place. Au Maroc il faut recourrir, surtout pour les postes isolés dans le bled, à des métropolitains. Même en ville, la séparation entre ville indigène, lieu de travail, et ville européenne, lieu de résidence, pose problème aux enseignants. Une meilleure rémunération et un alignement sur le statut « normal » d’instituteur améliorerait la situation et permettrait d’attirer vers cet enseignement public des candidats indigènes. On peut maintenant recruter des femmes, car les « obstacles de bienséance » opposés à cela dans les milieux coloniaux d’avant 1940 ne sont plus vrais pour les jeunes filles modernes (modernisme approuvé par le Résident général). La Société des agrégés fait pression pour que soient intégrés dans les cadres métropolitains les contractuels recrutés au Maroc (comme en Tunisie), arguant que le supplément de salaire de 33% ne compense pas les conraintes particulières du travail « expatrié ».

L’enseignement primaire pour les filles se développe, encadré en 1946 par 330 enseignantes, institutrices vraiment formées pour la moitié d’entre elles seulement.

Croissance de l’enseignement primaire féminin au Maroc

année 1922 1930 1940 1944 1946
Ecoles 3 15 27 40 50
Elèves 390 2200 5700 7100 9900

 

En 1947, le primaire « européen » accueille 26000 élèves, dont 2100 locaux, les écoles musulmanes (1aire et secondaire) 77 250 élèves, les écoles israélites 21000 élèves. Le technique accueille 2600 élèves dont 250 marocains.

En 1950, à Tanger (de statut international et non pas sous protectorat français), les écoles françaises accueillent 200 marocains musulmans, 1300 marocains juifs, 1500 espagnols, 550 français.

En 1951, l’enseignement public masculin aux musulmans compte 137000 élèves, 1180 certificats d’études primaires leurs sont délivrés.

Dans le cadre de la politique musulmane du gouvernement, une note insiste sur le développement de l’arabe langue vivante, à développer chez les Français d’Afrique du Nord, alors qu’à l’encontre de cela les chefs d’établissement déconseillent souvent ce choix aux familles. Il faudrait que le public français dans le protectorat ait un enseignement d’arabe obligatoire dans le primaire. Cette volonté est parallèle à celle que nous avons rencontrée en Tunisie, et sans doute aussi peu acceptée par les familles européennes.

En 1949 le budget chérifien de l’enseignement (2500 millions) est à 43 % « musulman », 40% « européen avec un accueil de musulmans », 2% « israélite », et le reste commun.

En 1947,  l’enseignement secondaire accueille 12000 élève, et sur 2000 candidats au bac au Maroc, 250 sont des « locaux », juifs ou musulmans, effectif en forte croissance. Au programme d’histégeo de première (« la France et l’Union française », histoire de la Révolution à 1848) on a ajouté (pour un total de six heures d’enseignement) : la France en Egypte, la rivalité franc-anglaise en Méditerranée,  le Monde musulman méditerranéen après 1815, l’Afrique du nord au début du XIXe siècle, la géographie générale de l’Afrique du nord + les trois pays du Maghreb. Pour la terminale (histoire 1848-1914 + géographie, les grandes puissances du Monde), les ajouts sont : la formation des empires coloniaux, l’affaire marocaine et l’état du Maroc, l’évolution de l’Empire turc 1905- 1913, l’éveil turc et l’évolution des pays musulmans depuis 1919, et en géo : le rôle de la Méditerranée. En 1949, au Conseil de gouvernement, une longue discussion est menée par Lyazidi, qui veut arabiser en particulier l’enseignement de l’histégéo. En 1951 sont délivrés aux musulmans 227 brevets élémentaires, 83 bacs de fin de 1ère et 45 bacs de terminale.

En 1945 on transfert de Rabat à Paris l’Institut d’étude de l’orient contemporain (il s’agit peut-être du CHEAM, créé en 1936 par Robert Montagne, et « réfugié » au Maroc temporairement avec l’occupation allemande). A Rabat les institutions universitaires sont l’Institut des Hautes Etudes  Marocaines, l’Institut scientifique chérifien, le Centre d’études supérieures scientifiques. L’IHEM s’est vu rattacher l’Ecole de droit de Rabat et il prépare un diplôme équivalent de la licence d’arabe. On envisage que les personnels  de ces centres soient assimilés aux enseignants du supérieur français, pour éviter que, dès qu’ils le peuvent, ils partent vers Alger ou Paris, comme ce fut le cas dans les années 1930.

En 1947, les étudiants au Maroc sont 760, dont 89 marocains. L’Union des étudiants juifs de France proteste face au refus du protectorat d’autoriser l’ouverture à Casablanca d’une section de cette Union. En 1950, 1500 originaires du Maroc (européens, musulmans ou juifs) sont étudiants en France. Un projet de l’Ecole d’agriculture d’Angers veut créer une filiale au Maroc pour fils de colons et de notables marocains.

Dès 1945, on prévoie d’accueillir des stagiaires marocains à l’ENA française juste créée: l’administration marocaine peut en envoyer une vingtaine. En 1949, l’école Dar el Beida se réforme, après que son couplage avec le Collège d’Azrou qui aurait été sa préparation n’ait pas abouti. Dar el Beida recrute moins de fils de notables et plus de ruraux. En 1948 est créée l’Ecole marocaine d’administration (EMA). De 1950 à 1953, les quatre premières promotions fournissent 78 diplômés, dont certains refusent au début leur affectation, jugée trop peu gratifiante, alors que le maghzen n’a pas de places prévues pour les recruter, que l’Istiqlal est hostile à cette école et que les nouveaux fonctionnaires, quand ils viennent en remplacement d’un Français, provoquent parfois des chocs entre juifs, berbères et arabes. En fait l’EMA place ses élèves dans les emplois moyens du protectorat et guère dans le Maghzen lui-même (caïds, etc). En 1955, on préconise une meilleure coordination avec l’ENA de Paris, où les élèves de Rabat pourraient faire un stage de six mois, pour éviter que le gouvernement marocain recrute ses fonctionnaires par d’autres filières que l’EMA.

Quand prend fin le protectorat, le Maroc dispose d’une élite moderne « nationale » infiniment plus limitée que celle de Tunisie. Sur 875 médecins exerçant dans le pays, seulement 19 sont marocains. Seulement 30 ingénieurs marocains, dont 15 juifs. Dans la haute administration, peuplée de fonctionnaires français, seulement 3% de Marocains (en comparaison avec 36% de nationaux pour la haute administration tunisienne).

Le présent texte Virage de la décolonisation : nouvelles mutations dans l’éducation au Maghreb (1942- 1955/ 62) fait suite à  Education et culture au Maghreb, entre français et arabeMonde précolonial et monde colonial : quelle modernisation ? (avant 1942) http://alger-mexico-tunis.fr/?p=958

Et a pour suite

Indépendances et politiques éducatives au Maghreb http://alger-mexico-tunis.fr/?p=981

 Sources

Chez les historiens, sociologues et autres qui ont écrit des ouvrages, souvent militants, sur le Maghreb de leur époque, les chapitres sur l’éducation sont toujours présents et m’ont été utiles. De même les revues « généralistes » ont abordé ce thème. Nous suivons un seul ordre chronologique pour tous les textes utilisés.

Truphémus Albert, Ferhat, instituteur indigène, Alger, Soubiron, 1935. Republié dans Algérie, un rêve de fraternité, Paris, Omnibus, 1997, textes commentés et sélectionnés par Pierre Dugas, p. 155- 297. Roman fondateur écrit vers 1926 au plus tard. L’auteur, inspecteur primaire pour 20 ans en Algérie depuis 1908, décrit la Petite Kabylie, dans l’arrière pays de Collo. Deux thèmes essentiels pour ces années de part et d’autre de la guerre de 1914-18 : la vie quotidienne autour d’une famille d’instituteurs en milieu rural indigène, venus de France au début du siècle et, sous la plume de leur élève indigène devenu instituteur à son tour, le récit de l’ « acculturation » de ce dernier, incorporé à la culture scolaire française et de ce fait dramatiquement coupé de son milieu familial, sans avoir accès réellement au milieu moderne qui a assuré sa « promotion ».  Truphémus, rédacteur en chef de l’hebdomadaire de la SFIO (parti socialiste) en Algérie, Demain, à partir de 1926, ne publie qu’après sa retraite, cette année là, peu à peu ses romans qui apparaissent comme des pamphlets anticolonialistes, dont le dernier est Ferhat.

Documents algériens (http://alger-mexico-tunis.fr/?p=113)

4 documents sur l’éducation, 1946, 1947 (2) L’historique que nous suivons est donné sans doute par M Chaffaud, vice recteur de l’académie d’Alger pour trois « Documents algériens » de décembre 1947, 1956

Temps modernes 1956, n° 123 mars-avril

Robert Davezies, Le front, 1959, Editions de minuit [l’auteur est prêtre à Paris, il fréquente durant plusieurs mois en 1958-59 les camps d’Algériens « réfugiés » en Tunisie et en tire une vision militante et unanimiste de la révolution algérienne. Il aborde la question culturelle de celle-ci et de l’après guerre jugé imminent, en particulier p 209 sq.].

Jacques Berque, Le Maghreb entre deux guerres, Seuil, 1962, fait suite à Les Arabes d’hier à demain (1960), Seuil. Série de monographies très habilement menées, avec des présentations inédites d’élèves en sociologie, d’instituteurs, de fonctionnaires français, de romans, d’analyses de la presse d’époque, [reprend un article signé F. Jabre de Annales ESC 1937].

Yvonne Turin, Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale, école, médecine, religion, 1830-1880, Maspero, Textes à l’appui, 1971 [tiré d’une thèse et dédié à Fernand Braudel]. Décrit le « progrès » chaotique par rapport à une France où celui-ci est encore un enjeu non gagné et où les « élites » algériennes ne sont pour l’essentiel pas concenées.

Charles André Julien. L’Afrique du Nord en marche, Juliard, 1972, 353 p. + annexes, bibliographie et index. Ecrit d’une traite aout octobre 1952, publié novembre 1952, diffusé alors presque sous le manteau en AFN. Juste un mot sur les propositions de CAJ en été 1952 : un secrétariat d’état aux affaires nord-africaines auprès du 1er ministre capable de contrer Quai d’Orsay et Place Beauvau, une vraie organisation de l’Union Française : il le souhaite et n’y croit pas, en prônant pour l’immédiat des négociations d’autonomie interne, puis d’association réelle, pour Tunis et Rabat, et pour Alger des élections non truquées et un collège unique.

« Algérie 20 ans, que savons nous vraiment de cette terre, de ses révolutions aujourd’hui ? » Autrement, n°38 mars 1982, 280 p., Georges Chatillon éditeur.

Guy Pervillé, Les étudiants algériens dans l’université française, 1880-1962, Paris, CNRS, 1984, 346 p.

Jack Goody, Entre l’oralité et l’écriture, Paris, PUF- Ethnologies, 1994, 323 p. Pose le double problème : l’existence d’usages de l’écrit dans la longue durée dans des sociétés où cet usge se restreint à une petite élite religieuse et administrative ; l’introduction généralisée de l’écrit dans des sociétés prises dans une modernisation rapide « exogène » (dans l’Afrique noire coloniale).

Esprit 1995-1 « Avec l’Algérie ».

Elisabeth Antebi, Les missionnaires juifs de la France, 1860- 1939, Calman Lévy, 1999 (histoire des écoles de l’Alliance Israélite Universelle)

Pierre Vermeren, La formation des élites marocaines et tunisiennes, des nationalistes aux islamistes, 1920- 2000, 2002, La découverte, 513 p. [thèse 2000, autre édition Alizés, Rabat, 2002]. Seul travail synthétique d’historien, sur le long terme (remonte au XIXe siècle pour la Tunisie), comparant les deux pays mais aussi parfois aussi l’Algérie. Le point de vue est politique : création d’élites modernes en insistant sur les institutions d’enseignement, sur les stratégies des familles, sur les initiatives de politiques publiques. Les problèmes des langues d’enseignement, du rôle des colonisateurs puis des coopérations,  sont présents en sous main.

Dalila Arezki, L’enseignement en Algérie, l’envers du décor, Séguier/ Atlantica, 2004, 324 p. [thèse de psychologie], mélange des données vécues (pas toujours nouvelles) à des développements assez convenus de théorie psychologique de l’apprentissage scolaire.

Kateb, Kamel, Ecole, population et société en Algérie, l’Harmattan, histoires et perspectives méditerranéennes, 2005 ( ? copyright ?), 2008, 130 p. (pas mal de comparaisons au Maghreb et au Machrek chez ce sociologue- démographe)

Histoire de l’éducation [Ecole Normale supérieure de Lyon], n° 122 avr- juin 2009, Pierre Singaravelou « L’enseignement supérieur colonial, un état des lieux », p. 71-92.

Histoire de l’éducation [Ecole Normale supérieure de Lyon], n° 128 oct-déc 2010, spécial Enseignement dans l’Empire colonial français (XIXe-Xxe siècles) « La politique française pour l’adaptation de l’enseignement en Afrique après les indépendances (1958-64) », p. 163- 190.

Sur le chemin de l’école, documentaire de Pascal Plisson (2012) prend en reportage, sans misérabilisme, divers enfants des « tiers-mondes » d’Asie, d’Amérique ou surtout d’Afrique (dont un groupe de filles du Haut Atlas marocain) : éloignement des villages et internat pour la scolarisation des jeunes marocaines…

 

Sites web :

 

Ils sont nombreux surtout sur l’enseignement primaire dans l’Algérie coloniale : il est clair que de nombreux enseignants retraités en France ont des matériaux précieux et abondants et ont voulu témoigner.

 

http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/11/Pays/algerie.html (sur la francophonie en Algérie)

http://telemly.pagesperso-orange.fr/ens/index.html (sur la scolarisation coloniale en Algérie

http://193.48.221.4/amp/page/genese.do (sur la scolarisation coloniale en Algérie)

 

Archives :

Tunisie, Maroc : Affaires Etrangères, les dossiers consultés concernent essentiellement la période 1940- 1955. Ils sont particulièrements riches pour le Maroc et permettent de repérer l’amorce (essentielement vers 1945-47) d’une politique cohérente concernant l’ensemble nord-africain.

Algérie : Archives d’Outre-Mer, Aix en Provence, que j’ai à peine effleurées (une chronique de l’Université d’Alger depuis ses commencements).

 

Acteurs :

Les textes de Georges Hardy (1884-1972) et de Lucien Paye (1907-1972), l’un et l’autre hauts fonctionnaires en charge de l’enseignement, deux visions politiques et deux générations

Ce contenu a été publié dans Algérie, Education, Maghreb, Maroc, Tunisie, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.