Colonos, wester chilien

Un grand western chilien, de Chiloë à la Terre de feu (1000 km…), du Pacifique à l’Atlantique.

Beauté des paysages et cruauté génocidaire : la composition du western nous prend à la gorge  et se répète du nord de l’Amérique aux Andes méridionales. Ces dernières sont bien moi galvaudées que les Rocheuses des USA et blessures et les Sierras Madres mexicaines, depuis plus de 130 ans que le western existe.

Quand on parle de l’Or Blanc au Chili, il peut s’agir de nitrates, mais dans Colonos, ce sont les troupeaux de dizaines de milliers de moutons dans les Andes.

Certes, éliminer les indiens a été le projet des colons éleveurs de bétail, mais il n’a pas été menée partout de la même manière. Côté argentin, la Conquête du désert est systématique et radicale si bien que c’est le fondement de l’identité nationale. Côté chilien les épisodes de coexistence et de métissage sont beaucoup plus complexes, si bien que le film peut à la fois mettre en scène le héros métissé Secundo et faire dialoguer ce personnage avec le représentant du gouvernement central chilien qui prétend fonder la nation sur l’incorporation des indiens métissés, en particulier à Chiloë.

Les nombreux commentaires sur le film que j’ai lus développent le thème des ethnocides généralisés du continent américain. Ces commentaires méritent d’être nuancés : métisser n’est pas un crime en soi, c’est un non dit qu’il faut sans cesse enrichir, mettre à jour. Toutes les nations sont métisses et celles qui ne veulent pas le reconnaître entretiennent une maladie, le racisme.

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Retour à l’autonomie: bonne année 2024 après le blanc de 2023

Oui, les circonstances de l’année 2023 m’ont fait délaisser ce blog. Alors bonnes retrouvailles. En fait je m’étais de plus en plus investi à partir de 2020 dans l’alimentation du site de Coup de soleil, soit pour ses versions « de secours » soit pour son retour à la vie pour le site « principal », après plus de deux ans d’interruption (mars 2020/ septembre 2022).

 

Ce site m’est toujours cher, mais depuis juin 2023 je n’y ai plus qu’un accès restreint: seule la section « Midi Pyrénées m’est autorisée et des problèmes techniques m’empêchent de mettre des images. Parallèlement, ma force de travail a été fortement réduite pendant plusieurs mois. Je reprends donc en main ce blog et explore à nouveau sa richesse de quelques 250 articles accumulés depuis 11 ans.

Que dire de cette année 2023? Qu’elle a confirmé le réchauffement climatique mondial, que la « COP » réunie chez un des plus gros pollueurs du monde n’a malgré tout pas été un échec et que la population européenne a un peu plus pris conscience du changement climatique mondial. Et si la guerre Ukraine / Russie continue à ravager, presque à « bas bruit », celle du Proche Orient est encore plus intense et insupportable, pour mes amis comme pour moi. Alors voeux de moindres maux et d’espérance quand même pour nous tous.

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A partir de Fred Vargas, pour une prospective écologique


Fred Vargas
, L’humanité en péril : quelle chaleur allons-nous connaitre, quelles solutions pour nous nourrir ? Flammarion. Volume 1, 2019 (nouvelle édition augmentée 2020). Volume 2, 2022, 350 pages.

Dans son premier essai, ancien de trois ans, elle a esquissé ces problèmes, sous l’angle des actions quotidiennes que chacun peut mener maintenantpour réduire les disfonctionnement liés au changement climatique. Situer le livre de Fred Vargas nécessite de situer aussi son auteur : en dehors de ses polars à grand succès, elle avait écrit quelques essais, dont un très court sur les changements écologiques (2008), médiatisé en 2018 grâce à Charlotte Gainsbourg, qui en fait une lecture publique à la COP 24. Fred Vargas fait de ce texte l’origine de son essai de 2019, Virons de bord, cette fois-ci assez gros livre (340 p.), qui fut semble-t-il un best seller (il aurait un moment dépassé le niveau de ventes de Musso et Marc Lévy…). Un compte rendu (Rémi Barroux) du livre a été publié par Le Monde en Juin 2019. Un autre plus critique de Coralie Schaub dans Libération https://www.liberation.fr/livres/2019/05/01/fred-vargas-l-humanite-en-peril-le-lecteur-en-detresse_1724352/ Une polémique assez banale est montée par une spécialiste du genre à propos du livre où une écolo parano tire sur son propre camp. https://leblogdenathaliemp.com/2019/06/30/climat-fred-vargas-seme-la-peur-et-inquiete-surtout-son-camp/  Ce premier livre « écolo », regardé avec calme, est une oeuvre parfaitement improbable. En effet qui peut lire réellementun ouvrage de cette taille où la majorité les paragraphes dépassent une page, sans aucun découpage en chapitres qui permettrait au lecteur de respirer ?

Le dossier de Alternatives économiquesde décembre 2022, « Sobriété, ça va faire mal ? », beaucoup moins radical, a l’avantage de parler de transition énergétique à deux échelles de temps : L’hiver 2023 et les politiques pour les années proches (pas la prospective à 20 ans du second livre de Fred Vargas…). Et la sobriété y est « décortiquée » après avoir montré que réduire celle-ci à l’efficacité que permettent les technologies actuelles ou futures, c’est « évacuer les questions qui fâchent ». L’exemple donné est le déplacement des personnes, particulièrement évident. On peut en prendre un autre, la consommation énergétique des logements : occuper un seul logement est sobriété d’usage, mieux l’isoler est sobriété de substitution, avoir moins de mètres carrés dans son logement est une sobriété de dimension, cohabiter avec plusieurs personnes une sobriété de collaboration. Pour toutes ces formes de sobriété, il est clair que plus on est riche, plus on est confronté aux efforts nécessaires…

Fred Vargas elle-même se moque de la manière dont elle a écrit au fil du clavier, accumulant à peu près sans aucun ordre le fruit de ses immenses lectures et de ses indignations: elle se contente d’aménager des poses où elle dialogue avec un logiciel fictif ou avec ses lecteurs, pour aérer un texte souvent drôle, mais composé d’un mélange d’anecdotes vengeresses et de données scientifiques, par rebondissements, sans hiérarchiser ses préconisations ni dans le temps ni dans un espace mondial raisonné.

La seconde édition du livre (décembre 2019) comporte un chapitre annexe (p. 245-316) qui, malgré des développements  formant diverses parenthèses, est ciblé sur ce que sera la société française vers 2050 ou 2060, quand les énergies fossiles ne seront presque plus utilisées. C’est donc une préfiguration du livre de 2022. Ce « brouillon » est intéressant, parce qu’il permet de comprendre comment travaille l’auteure : elle lance ses interrogations sur un thême, développe, prolonge, corrige et bifurque si nécessaire.

Il me fallait donner ces quelques mots sur ce volume 1, déjanté et en fait illisible pour moi (ce qui a sans doute été une cause de son succès… beaucoup d’acheteurs s’indignent et feuillettent seulement). Ceci me permet de parler avec plus d’assurance du volume 2 de L’humanité en péril, lui aussi mélange d’anecdotes vengeresses et de données scientifiques innombrables, mais cette fois-ci organisé pour une prospective qui m’a convaincu, après avoir lu attentivement ce second livre.

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L’été 2022, exceptionnellement chaud et sec pour les Français, s’enchaine avec la crise probablement durable de l’accès aux matières premières liée à la guerre d’Ukraine depuis février 2022 : les sceptiques et les attentistes concernant les changements climatiques ont perdu beaucoup de points et la question d’une économie mondiale sans énergies fossiles vers 2040 (dans une génération) est enfin prise au sérieux.

Très souvent les études sur ce monde futur de « l’après pétrole » restent sectorielles et parcellaires : commerce international, ou bien technologies productrices de nouvelles énergies sans CO2, ou bien technologies et pratiques sociales pour diminuer les consommations d’énergie, ou bien encore gestion du stress social engendré par les changements inévitables, chaque secteur est traité séparément par d’excellents spécialistes. Pour l’immédiat, c’est aussi de manière sectorielle qu’on décrit l’urgence actuelle : capacité des citoyens à agir « conformément à la morale », actions nécessaires des Etats ou des acteurs économiques majeurs.

L’originalité de Fred Vargas est qu’elle se veut globale, essayant de décrire ce que sera sans doute la future société française, prise dans le nouveau contexte mondial, dans une génération. Elle parle très peu des situations que doivent prévoir d’autres sociétés que la nôtre, car son second brulot s’adresse comme le premier à un public français. Rappelons que cette romancière de polars « cultes » a pour métier la préhistoire, discipline où l’on dispose de très peu de données récoltées pour reconstituer des sociétés anciennes globalement. Dans son essai de 2022, elle décrit globalementla future société post- énergies fossiles à partir de l’immense masse de données actuelles, projetées dans un monde privé d’énergies à bon marché.

Son postulat est radical : vers 2050, les énergies renouvelables auront de toute façon remplacé les énergies fossiles parce que le peu qui en restera sera de toute manière très coûteux. Les énergies renouvelables seront aussi plus chères et plus rares que les actuelles énergies fossiles qui ont été sans cesse meilleur marché depuis plus d’un siècle. Donc, même sans bonne volonté des consommateurs ou des entreprises ni capacités des Etats à contraindre à la sobriété, l’énergie comme les matières premières seront beaucoup plus chers et rares. On les économisera nécessairement et l’ensemble des procédés techniques changera donc radicalement, en particulier tous les systèmes de transports qui depuis le XVIe siècle ont rendu en permanence plus rapide et moins coûteux le déplacement des marchandises et des hommes, sur mer puis sur terre puis dans les airs.

Fred Vargas en déduit ce que seront les changements de nos habitats, de nos alimentations et de tous nos modes de vie. Puisqu’elle s’adresse à un public français, elle décrit la future société française. Si bien qu’elle regarde celle-ci à l’échelle de la centaine de départements métropolitains, puisque c’est à l’intérieur de ceux-ci que les transports locaux ou régionaux pourront fonctionner, sauf rares (et couteuses) exceptions plus lointaines. Rappelons que cette centaine de département a été établi à la fin du XVIIIe siècle par la Révolution française en s’appuyant sur le maillage de villes et de transports de l’époque, c’est-à-dire quand les transports reposaient essentiellement sur les voitures à cheval, sauf là ou des fleuves et canaux privilégiaient quelques axes. Vers 2040 à nouveau les transports à courte distance seront privilégiés. Certes on pourra parcourir quelques centaines de kilomètres couteux (en trains électriques) pour déplacer les individus, ou bien, meilleur marché, quelques dizaines de kilomètres en vélos (partiellement électriques). Pour les marchandises lourdes quelques kilomètres seulement, au mieux quelques dizaines, sauf pour quelques produits rares et coûteux. Pour ces transports lourds, tout comme pour faire travailler les machines agricoles, comment utiliser des batteries électriques trop coûteuses ?  Pour l’essentiel il faudra donc utiliser la traction animale beaucoup moins coûteuse. Dans son livre précédent (fin 2019) il était question pour la France d’utiliser un demi-million de chevaux de trait, sans détailler le problème. L’auteure a évolué en deux ans et reconsidère le problème. Comme la constitution d’un cheptel de centaines de milliers de chevaux de trait (actuellement presque inexistant) prendra longtemps, l’urgence obligera à utiliser un cheptel de bœufs et vaches de trait. Ce cheptel semble beaucoup plus rapide à constituer à partir des actuelles races à viande et à lait, cheptel actuellement très nombreux dont la reconversion suppose un retour au dressage, mais aussi la formation de dizaine de milliers de conducteurs de ce bétail, pour ce travail agricole et ces transports lourds de proximité. Espérons que les races bovines en usage actuellement puissent donner des bœufs de traction performants. L’auteure évalue le cheptel bovin de trait nécessaire en France à huit million. Cet exemple ciblé sur le travail agricole est le plus poussé dans le livre, même si l’auteure décrit aussi les effets du manque de terres rares qui ralentira l’usage et l’évolution des systèmes électroniques actuellement sans cesse plus puissants et meilleur marché. Elle doute donc que les communications « immatérielles » sortent indemnes de la fin des matières premières bon marché : la fuite en avant grâce aux hautes technologies a donc sans doute aussi ses limites. Elle ne détaille pas cette question, alors que dans son livre de 2019 elle envisageait le retour à un usage principal du téléphone fixe (et donc son réseau essentiel de fils de cuivre), soit à domicile, soit par rétablissement de cabines sur les voies publiques.

C’est donc un bricolage entre de l’ancien remis au gout du jour (bœuf, cheval, voile), du récent (vélo, train, éolienne, barrage sur rivière) et du contemporain (innombrables procédés et outillages nés depuis 100 ans parmi ceux qui consomment peu d’énergie et de matériaux rares et nouvelles productions d’énergie décarbonnée) qui assureront la vie de nos sociétés où la part du local, du régional, du « national », du continental et de l’intercontinental aura radicalement changé. Le lointain sera rare et cher, le proche accessible à la plupart.

Fred Vargas s’adresse au public français, si bien que l’impact de cette révolution mondiale n’est pas détaillé dans tous ses aspects dans son livre. Les changements démographiques ne sont pas évoqués et ils seront différents entre sociétés déjà vieillissantes (occidentales, russe, ou chinoise) et sociétés ayant gardé de fortes natalités (Afrique), peut-être plus faciles à adapter. Les différences seront notables aussi entre sociétés ayant gardé un tissu économique local dense facile à réexploiter, avec des habitats de type « villageois », et sociétés actuellement beaucoup plus dépendantes des transports à longue distance. La relative « autarcie » régionale sera beaucoup plus facile à aménager là où coexistent villes moyennes et populations « rurales » (certes de moins en moins occupées actuellement d’activités agro-pastorales), que là où sont implantées de grosses métropoles  sans tissus « ruraux » autour. Les sociétés restées peu consommatrices d’énergies fossiles nécessiteront moins d’adaptations que celles qui en consomment le plus actuellement (Etats-Unis en tête, puis Europe et Chine presque à égalité). Les schémas « départementaux » que modélise Fred Vargas pour la France s’approchent plus de la réalité hors des grandes métropoles, des zones côtières et des massifs montagneux. Les schémas de solutions avancés dans ces modèles font penser que l’adaptation sera plus facile dans l’Indre ou le Lot et Garonne que à Marseille, Paris ou Chamonix.

Fred Vargas a manifestement séduit peu de lecteurs avec ce second livre de prospective radicale (ventes en librairie médiocre et à peu près pas de commentaires sur le web ni dans les médias grand public ou spécialisés, aucune traduction publiée). Sans doute parce qu’il est très difficile d’admettre ce « retour en arrière » massif, même pour les militants désireux d’une politique « écologique » maximale. Mais aussi parce que les militants en question sont plus préoccupés par l’action immédiate que par les lents aménagements nécessaires, destinés à organiser un futur extrêmement incertain. On peut planifier maintenant (si l’on arrive à convaincre de vastes majorités ?) l’implantation de champs d’éoliennes ou de panneaux solaires, mais il est difficile de prévoir comment reconvertir les sols des surfaces commerciales et des aéroports qui seront largement surdimensionnés avec leurs immenses parkings, prévisions peu enthousiasmantes. Les transformations nécessaires des productions agro-sylvo-pastorales sont plus objet de polémiques enflammées que de prospectives très complexes et forcément lentes. Fred Vargas, préhistorienne, se sent à l’aise dans des retours à des technologies du XVIIIe siècle, mais sa prospective peut convaincre plus facilement les habitants de régions françaises « moyennes » que ceux de grandes métropoles françaises et de leurs annexes touristiques très spécialisées, en montagne skiable ou en bord de mer, et plus difficilement encore ceux de pays à contrastes beaucoup plus forts.

J’ai demandé à une quinzaine de collègues géographes de lire et de commenter le brouillon du texte qui précède : une dizaine ont répondu et aucun n’avait lu aucun des deux livres « écolos » de Fred Vargas. Des cercles différents, entre Toulousains, anciens co-auteurs de la Géographie Universelle Reclus (vers 1985-89), membres actuels de la revue Espace Géographique. La plupart connaissaient ses polars et en avaient apprécié certains ; quelques uns  étaient séduits à l’idée de lire prochainement ses essais « écolos », d’autres étaient a priori irrités par cette écologiste militante radicale et provocatrice. La plupart voyaient que tant pour la France qu’à l’échelle mondiale une restriction des transports à longue distance devenus plus couteux était à prévoir, que les économies régionales où il y avait interpénétrations du rural et de l’urbain à relativement courte distance se réorganiseraient plus facilement, que l’usage récent ou actuel de la traction animale et du cheptel de traction pouvait faciliter ces adaptations. Des interrogations aussi sur les éventuels avantages des bords de mer pour les transports à longue distance. Mais ceux dont l’engagement personnel est « écolo » pensent plus aux difficultés d’une action raisonnée et coordonnée ici et maintenant qu’à l’utilité d’une prospective « abstraite » pour 2050.

Confirmation, début février 2023, du succès du premier essai (2019) de Fred Vargas et de l’échec de son second essai (2022): à Paris comme à Toulouse, le nombre de bibliothèques municipales qui ont acheté le premier est le double de celles qui ont acheté le second…

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J’ai essayé de penser une prospective similaire à celle de Fred Vargas  (projection dans une génération) pour les sociétés sur lesquelles j’ai travaillé  des années 1960 aux années 2000, celles de l’Amérique latine. J’ai soumis ici aussi mon brouillon à mes amis géographes travaillant sur cette même région, ce qui m’a permis d’intégrer leurs réflexions au texte qui suit.

Les produits à haute valeur continueront à y circuler pour une exportation vers le reste du monde : en tête les drogues distribuées par les réseaux maffieux, soit provenant d’industries sans localisations exclusives, soit provenant pour la coca des zones forestières humides du Pérou à la Colombie. Mais aussi le café des zones montagneuses chaudes et humides, là aussi du Pérou à la Colombie, tout comme du Mexique et de l’Amérique centrale. Après épuisement des gisements d’énergie fossile ne seront plus exploitées pour l’exportation que quelques mines de produits rares comme le cuivre chilien, mais aussi peut-être le lithium des salars boliviens. Pour tous ces produits rares le transport par des caravanes de mules ou de lamas depuis des territoires mal desservis jusqu’aux littoraux n’est pas absurde.

Les grandes agricultures exportatrices (blé, maïs, soja, viandes du Brésil, d’Argentine, du Paraguay, d’Uruguay) seront très affectées par le coût des transports lourds, sauf pour la production distribuée régionalement de bio-carburants, où la canne à sucre semble la mieux placée, même si cette filière est très controversée comme productrice de CO2 indésirable. La réorganisation de ces grandes économies agro –pastorales vers des marchés locaux ou régionaux  sera très fragile. Les grandes métropoles ne pourront continuer à exister partiellement que si elles disposent à proximité de bassins ruraux où s’organiseraient des polycultures vivrières agro-pastorales. Les zones héritant de tissus paysans diversifiés anciens (Andes et Méso-Amérique) se convertiront à des économies locales et régionales plus facilement que celles héritant de faibles peuplements liés à des monocultures de masse. Dans ce contexte la réorganisation de Sao Paulo, Buenos Aires, Lima ou Monterrey semble plus difficile que celle de Mexico, Guadalajara, Bogota ou Quito. « La plupart des villes, à l’exception des sites miniers, sont dans des bassins agricoles, capables d’alimenter 100 000 personnes sans problèmes, mais pas 5 ou 10 millions. La logique serait de penser soit un effondrement démographique, soit une dispersion dans des villes secondaires capables d’organiser des bassins de production. Santiago et Buenos Aires s’alimentent déjà largement dans leur propre région. J’ai plus de doutes pour Bogota, où la poussée des agricultures d’exportation autour de la ville a repoussé dans un lointain imprécis, mais plutôt dans les terres chaudes, la production alimentaire – et notamment la riziculture et l’élevage. Je ne sais pas ce qu’il en est pour Mexico, où il semble que les agricultures urbaines soient encore importantes. Sur le fond, c’est plutôt le système d’industrialisation de l’agriculture et de transformation de ses produits qui fait question : la mécanisation remplacée par des animaux, mais les engrais ? on mettra du fumier ? Et la transformation des grains ou la conservation des aliments ? » (Sébastien Velut)

La réorganisation des relations entre ce que sont actuellement les zones rurales de départ de migrants et les métropoles d’arrivée sera complexe : retours vers certaines zones « rurales »  disposant de nouveaux emplois, départs depuis les métropoles vers des zones autres que les lieux d’origine. « On peut penser à un « retour au local », dans les zones de vieille tradition paysanne indigène, notamment dans les Andes indiennes, avec des circuits et des marchés réactivés autour des villes petites et moyennes, voire certaines villes plus importantes comme Quito, Medellin, La Paz ou Cochabamba… Avec quand même un avantage écologique aux Andes humides par rapport aux Andes plus sèches ! De ce point de vue le Pérou désertique, côtier et urbain sera très handicapé (60 % de la population du pays vit sur la côte); or l’essentiel des terres agricoles des oasis y a été urbanisé, les glaciers fournisseurs d’eau sont en voie de disparition totale et l’agriculture d’exportation (asperges, mangues, avocats…) repose en grande partie sur l’exploitation de nappes phréatiques sur-sollicitées. La mégapole de Lima est insoutenable par circuit local. Reste une interrogation : une décrue démographique possible (?), « volontaire », certaines couches de population, pouvant faire le choix de retourner à leurs lieux de départ d’anciens migrants (cf. le maintien important de liens socio-culturels entre certains quartiers populaires et les campagnes d’origine de leurs habitants, cela même après plusieurs générations de migration urbaine. On a même enregistré, lors de la Covid, des mouvements de « retour en Sierra » de populations pauvres de Lima – à pied même (!), quand les transports étaient limités pour éviter la diffusion du virus.

Pour la mégapole de Bogota, il pourrait y avoir des mouvements de cette nature, compte tenu du fait qu’il y a dans la métropole plusieurs millions de personnes déplacées par la violence et l’accaparement des terres chaudes par les grandes propriétés agro-pastorales (élevage, bananeraies…), ces populations pourraient souhaiter retrouver leurs terres spoliées et leur « vocation paysanne »… Un avantage comparatif pourrait-il favoriser certains versants amazoniens des Andes, relativement peu peuplés et arrosés ? Ce qui pourrait susciter un mouvement de colonisation agricole avec des cultures destinées à l’alimentation locale et régionale et aussi d’exportations de produits « faciles » à transporter (café, cacao) ». (Jean Paul Deler)

Cette esquisse rapide oblige à rappeler que l’Amérique latine, avant l’émergence de l’Amérique du nord, a été le premier continent à participer à une économie mondiale fondée sur des transports bon marchés à longue distance, avec un héritage très limité de sociétés « paysannes », elles-mêmes à peu près dépourvues d’animaux de traction (lamas des Andes), transformées par l’usage du cheval, du mulet et du boeuf dès le XVIe siècle.

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Rappelons (avec Fred Vargas) que 2022 est l’anniversaire du cinquantenaire du cri d’alarme du Club de Rome « halte à la croissance ». Pour moi, c’est aussi le cinquantenaire de la création du Centre commercial Carrefour à Portet-sur-Garonne (banlieue sud de Toulouse). Cette dernière célébration permet de nous souvenir qu’on a dit à l’époque que c’était « le plus grand d’Europe » (en surface commerciale ? en nombre de places de parking ?). Pourquoi ce gigantisme ? A l’époque il était seulà desservir un territoire immense vers le sud : aucun concurrent sur un demi-cercle jusqu’à la côte catalane ou la côte basque, soit plus de 300 km de diamètre. Dans 50 ans, voire avant, les terrains de ce Centre commercial auront changé d’usage, car seuls les commerce à proximité de leurs usagers garderont une clientèle (10 km à vélo ? c’est déjà loin…). Seuls les riches pourront se faire livrer à domicile des produits non périssables et rares (de l’électronique en particulier). C’est grâce à Fred Vargas que je peux remémorer ce souvenir de ma vie quotidienne.

Lançons un conte de Noël collectif : si Fred Vargas nous a montré une France somme toute vivable en 2040, mettons-nous au travail, géographes ou autres « penseurs » de bonne volonté, pour montrer un monde en 2040 qui dans sa diversité soit à la fois solidement pensé et vivable. Et puis, ce géofutur, on le mettra à jour tous les sept ans, à mesure que nos sociétés et nos technologies auront changé.

Décembre 2022

 

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Le combat de l’Iran est notre combat

Voici plus d’un mois et demi que l’Iran vit une révolution qui remet en cause son régime, mis en place en 1979. Pour nous qui avons un lien particulier avec «  le monde arabo- musulman », suivre ces événements devient de plus en plus prégnant. Bien sûr, dès le début, la remise en cause en Iran de la tutelle que doivent accepter les femmes nous a sensibilisés. C’est le courage extrême de celles qui affrontent la police politique qui a frappé dès le début.

Une émission « C’est ce soir » sur la cinq à la télévision du 3 novembre 2022, une double page du Monde des livres du 4 et deux articles de Smaïn Laacher et de Farhad Khosrokhovar dans ce quotidien du 3 novembre, nous permettent de mieux comprendre ce mouvement exceptionnel.

La société iranienne est sans doute dans le monde musulman la plus modernisée, la plus éduquée, celle où la place prise par les femmes est la mieux affirmée. D’où la radicalité de la mise en cause du sexisme, du cléricalisme, du pseudo traditionalisme de ceux qui sont au pouvoir.

Pour nous qui avons suivi les mouvements d’ouverture démocratique du Maghreb depuis bien avant les printemps arabes de 2011 et jusqu’au Hirak de 2019, mouvements qui se poursuivent, soutenir le mouvement iranien en cours est une tâche évidente. Notre rôle est de mieux le faire connaître par tous les moyens dont nous disposons. (5 novembre 2022)

Ce texte a provoqué plusieurs commentaires: en particulier l’envoi par Marc du poème suivant:

Ce n’est pas la première fois que les femmes iraniennes se révoltent contre le port du voile.
En 1848, la poétesse Tahireh a retiré son voile en pleine conférence religieuse pour réclamer plus d’égalité entre hommes et femmes.
Elle sera condamnée à mort quelques années après.
(https://www.radiofrance.fr/franceculture/tahireh-poetesse-et-premiere-feministe-iranienne-6574523

« Nul cheikh ne siégera plus
sur le trône de l’hypocrisie !
Nulle mosquée ne fera plus
commerce de la piété ! (…)
La tyrannie sera terrassée par la main de l’égalité.
L’ignorance sera démolie par la force de la vérité.
La justice étendra son tapis en tout lieu
et l’amitié plantera ses arbres partout. »

« L’aube véritable », Tahireh Qurrat al-‘Ayn, traduction de Jalal Alavinia

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Atlas d’Algérie, 2022

Cartes d’Algérie:

En complément d’un article de Coup de soleil, cartes détaillées

Algérie été 1962: Comment l’armée de Oujda a pris le pouvoir

Décennie noire: l’Algérie orientale relativement préserve, les zones menacées se vident au profit des villes restées calmes

 

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Souf 1846: cartographie

L’exposition (mai- juillet 2022) au Musée National de l’immigration (Paris, Porte dorée) nous donne une carte des « tribus » fort détaillée, mais pas exacte pour autant. J’ai saisi l’image du Souf qui montre que les autorités françaises se fondaient sur des renseignements, sans doute oraux, du genre « Guémar est à x heures de marche de El Oued »… sans indication précise des points cardinaux. D’où les erreurs que tous les familiers du Souf verront facilement…

Voir plus sur cette exposition: https://coupdesoleil.net/12762-2/

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De Marrakech à Matsouba : Roger Avidan

De Marrakech à Matsouba : Roger Avidan

https://www.flickr.com/photos/david55king/911922392

 Perdre à 90 ans un frère de 94 ans est presque une anecdote. Surtout si ce frère vit à quelque 3000 km, qu’une partie de sa mémoire fait défaut et que les échanges au téléphone sont de moins en moins fréquents, de plus en plus courts. Je perds cependant le plus important et le dernier de mes amis d’adolescence.

 Roger Abbou, dit Mikael Avidan, né sans doute en 1928 comme Olivier Ranson et Alain Barroux, ou Philippe Bataillon, était sûrement un élève brillant du lycée de Casa (puis Rabat en terminale, habitant chez un oncle) après une enfance à Marrakech. Sa mère y était institutrice à une école de l’Alliance Israélite. Elle était originaire de Smyrne : qui se souvient que l’Alliance Israélite universelle, fondée en France en 1860, entre autres par Adolphe Crémieux, qui fut son président pendant dix ans, fut le premier mouvement d’émancipation modernisatrice du judaïsme au XIXe siècle, une vingtaine d’année avant le sionisme, autre voie émancipatrice par l’affirmation nationaliste en Europe orientale. L’Alliance a donc recruté des juives et des juifs modernistes et francophones de l’ex-Empire ottoman pour « civiliser » les communautés traditionnelles, entre autre en Tunisie et plus encore au Maroc. C’est dans l’école de sa mère que Roger va en classes primaires. Cette institutrice s’est mariée avec un jeune commerçant juif de Marrakech. Je crois que Roger se débrouillait bien en espagnol parce qu’il gardait dans l’oreille ce que disait sa mère en ladino, le vieil espagnol, parlé et chanté plus que écrit, conservé dans les familles de la diaspora sépharade. Roger est un enfant choyé et brillant, qu’on n’engueule que quand il perd ses affaires (« avec les sacrifices qu’on fait, ça coûte », etc…)  Quand il craint l’engueulo, il pleure avant et on le console. Il ment peu. Son maître inscrit en gras au tableau : 1789 et commente, la date la plus importante de l’humanité depuis que Moïse a reçu les tables de la loi au Sinaï « Liberté, égalité… »). Roger a un frère plus jeune, je crois géologue.

En terminale à Rabat (comme avant à Casa sans doute), Roger pratique le scoutisme (israélite ou laïc ? je ne sais), où il est le « compagnon » d’une jeune fille de sa génération, de famille d’origine tunisoise. Il l’invite un jour à un spectacle, elle se décommande au dernier moment et cède sa place à sa jeune sœur et Roger « flasche » sur cette jeune sœur : elle s’appelle Mali.

Roger bachelier débarque à l’automne 1946 à l’hypokhagne du lycée Henri IV de Paris comme boursier, comme son copain Jacques Harbonn qui prépare Centrale. Tous deux « prennent en charge » une troupe EDF et non pas une troupe d’Eclaireurs israélites; Roger s’y implique plus que Jacques, dans ses deux (ou un peu plus ? je ne sais) années de scolarité à H4. Tous deux encadrent à Noël 1946/ 47 un cantonnement de la troupe à Séez (à côté de Bourg Saint Maurice en Savoie). Ils y découvrent le froid et la neige.

montage de Philippe Bataillon… c’est Roger qui boit, décembre 1947

L’été suivant, Roger est l’adjoint de Letellier pour encadrer au Jamboree de Moisson de juillet 1947 une troupe « du Montparnasse », composée d’Eclaireurs de France de lieux variés, dont une patrouille de jeunes de HIV dont je suis le « chef de patrouille ». Nous avons décidé de présenter au monde le cœur de la culture moderne : une exposition de reproductions de tableaux d’impressionnistes, fauves, cubistes. C’est Roger qui pour cela m’a initié à aimer pour la vie, plus encore que de comprendre, cette peinture moderne dont j’ignorais tout, dans ma vie de petit gosse d’intellos parisiens.

En août, quelques semaines plus tard, Roger dirige le camp d’une dizaine d’éclaireurs d’Henri IV au Gué du Loir, près de Vendôme, où il nous apprend deux choses essentielles : que la sexualité, connue par la psychanalyse, est un épanouissement et non une honte, comme le vivent à l’époque les jeunes bourgeois parisiens que nous sommes ; et que la laïcité n’empêche pas de vivre une religion, comme le fait pour le judaïsme notre camarade Gérard Lévi qui participe à ce camp.

L’année suivante, 1948, je me présente au « premier bac » (fin de première) et Roger, étudiant en khagne, découvre que je suis désemparé par l’épreuve orale de français (commenter un texte littéraire…). Pour me préparer, il me fait lire un passage de Phèdre (« Ariane ma sœur, de quel amour blessé, vous mourûtes au bord où vous fûtes laissée ». Pour la première fois de ma vie, grâce à Roger, je découvre qu’un texte littéraire est beau et émouvant, et pas seulement un objet d’étude aride.

Roger bricole en bas et à gauche

Quelques jours plus tard commence en Nord de la France, Belgique et Luxembourg le « camp volant » de la troupe Henri IV, aventure où les « chefs » sont Roger, Alain Barroux, moi, pour organiser spectacle, transports, ravitaillement; un rapport quelque peu romancé de cette expédition est rédigé en début d’automne et on y retrouve la verve de Roger.

Alain Barroux Roger Abbou Claude Bataillon dans la rue à Arlon (Belgique)

Quand en fait Roger renonce-t-il à la préparation de Normale sup et à une orientation vers l’enseignement secondaire, et essaie sans succès de se faire recruter comme éducateur spécialisé  (pour encadrer de jeunes délinquants) ? Après un stage dans cette direction, il est déclaré pas assez coriace pour ce métier et c’est peut-être cette barrière qui le fait basculer vers l’option sionisme qui sans doute le tentait déjà plus ou moins. En tout cas il rappelait que c’est dès l’année 1945/ 46 qu’il lisait avec passion La tour d’Ezra : cette même passion ne m’a pas rendu sioniste…

Roger renoue sans doute en 1949 avec Mali, qu’il retrouve au Maroc, mais qui vient à Paris peut-être pour des études.  Elle ne semble pas être dans le style boy scout ni sioniste. Ils se marient en vallée de Chevreuse en transformant en « témoins » juifs de leur mariage ses copains, dont Grandjouan, Ranson, Barroux, Jacquin et moi, tous aussi goys les uns que les autres. Je pense qu’aucun proche marocain de Roger n’assiste à ce mariage, sauf sans doute Jacques Harbonn. C’était joyeux et fraternel. Le couple rentre sans doute en 1950 à Casa où nait Yahel. Roger travaille d’abord au service de jeunesse et sport du protectorat, puis très vite avec l’Agence Juive pour faire émigrer vers Israël les Marocains juifs pauvres.

Je les retrouve fin été 1951 quand je fais un voyage au Maroc et dans le Sahara constantinois, bricolage d’adolescent qui se veut ethnographe. Ils m’accueillent à Casablanca où je participe à l’anniversaire de 1 an de Yahel et Roger m’organise mon voyage dans le sud marocain. Grâce à lui j’ai des contacts à Safi, Essaouira, Taroudant, mais aussi Rabat. Roger me fait découvrir le monde juif marocain et le métier qu’il y exerce : préparer des adolescents juifs pauvres venus des petites villes et campagnes à leur émigration vers Israël, leur donner un peu de modernité francophone et d’hygiène avant d’embarquer pour le voyage Casablanca Tel Aviv.

Roger et Mali émigrent sans doute en 52 ou 53. Mon frère Philippe va les voir dans leur kibboutz en 1955 à Tsélim, dans le Néguev. Avec deux voitures, dont celle de son copain Blancherie, ils arrivent par une piste alors que par la nouvelle route ils auraient été interdits dans cette zone militaire, qu’on les prie d’ailleurs d’évacuer au bout de quelques jours. Dans ce kibboutz, l’encadrement est fait d’anciens copains marocains de la troupe d’éclaireurs israélites de Casa ; la cousine germaine de Roger, Colette, est intendante du kibboutz, dans un contexte de pénurie et de rationnement. Roger garde un souvenir très dur de cette époque (peut-être d’autant plus que Mali n’accepte guère cette vie ?) Dans ce kibboutz, Roger et Mali, ce couple où lui n’a pas encore 25 ans et elle moins encore, sont donc les « chefs » d’adolescents azkhénases, pour la plupart rescapés des camps de la mort de la Shoa. Vers 1998 les anciens de ce kiboutz organisent une fête sur place, Jacques Harbonn, qui n’avait jamais mis le pied en Israël, y vient. Roger aussi et dort les deux jours sans participer aux cérémonies. Avec Roger et Mali, Philippe fait un voyage en Galilée, sans doute à leur futur kibboutz à Matsouba. Ils perdent totalement le contact, je ne sais quand, mais jusqu’en 2005. Le couple part quand le besoin d’une école pour Yahel le demande, sans doute en 1957, vers ce Matsouba, où ils trouvent un kibboutz ancien, prospère, aux mains d’azkhénazes installés dès avant 1939. Mali est je crois infirmière du kibboutz, Roger responsable de cultures d’agrumes et (en même temps ?) spécialisé dans les questions éducatives. Vers 1998, l’ex kibboutz du Neguev est prospère, sans doute parce que « privatisé » à temps, celui de Matsouba en début de faillite. Quand Roger Abbou est-il devenu Mikael Avidan ? sans doute très vite lors de leur arrivée en Israël. Alors que leurs voisins azkhénases gardaient leurs patronymes « allemands »…

Arrivant en 1959 à Casablanca avec Françoise, pour enseigner en lycée l’histégéo, je n’ai pas renoué avec les amis de Roger (en restait-il alors quelques uns ?). J’étais alors dans le tiers-mondisme militant  de la guerre d’Algérie finissante et marié à une jeune pied-noire. Mes amis casablancais n’affichaient aucun intérêt pour Israël, où une hostilité pour ce pays « colonial » pour certains, comme Edmond El Maleh, militant communiste nationaliste marocain et juif de Essaouira. Quel dialogue pouvais-je avoir avec Roger devenu militant sioniste dans ce contexte ? C’est Gilles Grandjouan, un peu Alain Barroux, qui me donnaient des nouvelles de lui.

Mon long silence avec lui a duré jusqu’en 1966, moment de notre retour du Mexique vers Paris, où lui-même était « en poste » depuis peu et c’est un remord très lourd que cette interruption de nos relations. Explication idéologique : mes visions du Tiers Monde étaient pour le Maroc, puis pour le Mexique, une forme de développement qui excluait colons et pluralisme culturel, pour la création de sociétés nationales homogènes, vision de mon jacobinisme implicite. Je savais qu’il travaillait pour l’ambassade d’Israël à Paris. Il m’a fallu des semaines au début de 1966 avant de décrocher mon téléphone et retrouver mon frère, chaleureux envers moi et envers Françoise qu’il découvrait avec nos deux enfants. J’ai découvert le métier de Roger dont il parlait sans complexes : « agent secret » visitant tous les pays d’où des juifs persécutés (à des degrés très divers) souhaitaient émigrer vers Israël, plus ou moins clandestinement selon les cas. En général c’est en Belgique qu’il changeait d’identité pour aller « travailler » (sauf au Maroc où il n’est jamais retourné…).

Je sais que la vie en kibboutz a été un problème pour Mali, d’où les emplois successifs de Roger dans la paradiplomatie, à Tel Aviv comme à Paris. A quel niveau s’identifiait-il avec ses tâches « nationalistes » ? Son pragmatisme l’amenait sans doute à penser aux juifs qui souhaitaient immigrer, plus qu’à l’Etat qu’il fallait alimenter en citoyens nouveaux.

C’est sans doute au kibboutz de Matsouba, milieu de vie pour lui convivial et bien délimité, qu’il a eu le plus de satisfactions pour son sens du social, son don de gente. Il en a été plusieurs années (une dizaine ?) le « maire » (secrétaire) : organisateur, conciliateur, confident de gens en détresse. Je me souviens qu’il a considéré comme un échec grave de n’avoir pas réussi à convaincre ses concitoyens, je pense dans les années 1990, d’accepter l’intégration d’un jeune couple (hétéro…) dont l’homme était malade du sida : le préjugé « anti-homo » et la crainte de la maladie étaient trop forts pour ne pas rejeter ce couple d’arrivants. Il a compris que le kibboutz était en partie une bourgade repliée sur elle-même plus qu’un foyer dans un monde ouvert.

Sauf erreur, sur les conseils de Roger, aucune de ses filles ne se marielégalement, car le mariage israélien est un mariage religieux qui est fort inégalitaire pour la femme en cas de divorce….

En février 2006 Françoise et moi passons 10 jours en Israël, louant à Tel Aviv une voiture, logeant chez Roger et Michèle à Matsouba et faisant du tourisme avec lui en Galilée comme à Tel Aviv et un peu à Jérusalem, avec Gérard Lévi à Jérusalem, rendant visite aux filles (Yahel est à Jérusalem, les autres au nord de Tel Aviv à Haïfa). Chaleur de ces accueils, découverte de cette vie d’un pays à la fois ultra moderne et sous plusieurs contraintes (celle de la cohabitation avec les Palestiniens de l’intérieur, des territoires, ou du voisinage libanais, celle du poids des religieux qui pénètrent cette société semi-laïque).

Roger, mal opéré des genoux et / ou mal rééduqué, marche déjà très mal au début des années 2000 quand il vient encore à Paris, pire quand nous visitons Israël grâce à lui, Michèle et les filles, moment où monter un escalier est déjà un problème. C’est je crois dès 2015 que sa mémoire le lâche peu à peu.

Parce qu’il s’est forgé dans un monde incertain, plus que la plupart d’entre nous, il a sans doute été exceptionnellement à l’écoute des autres, presque jusqu’à la fin, et jusqu’à la fin à l’écoute des musiques et des livres qui le faisaient vibrer. Ciao Mikael !

En correspondance avec ces souvenirs de Roger, « mon Maroc » selon mes lettres familiales…http://alger-mexico-tunis.fr/?p=2054

J’ai gardé beaucoup de lettres de Roger. Elles forment pour moi un témoignage précieux, drôle, émouvant, dont je mets quelques morceaux en annexe de ce texte rédigé au fil des années récentes, mais mis au point dans les jours qui ont suivi sa mort, le 26 mars 2022. Qu’il soit parti en quelques heures, sans souffrance et en gardant tout ce qui faisait sa lucidité « au présent », comme dans certains secteurs de sa mémoire, permet de parler de lui avec sérénité et de digérer la tristesse à mesure qu’elle se répand.

Claude Bataillon, Paris/ Portet, 4 avril 2022

Suivent 24 lettres :

 Juin 1949

J’ai bien reçu ta lettre m’invitant à passer à Alger, mais à l’époque j’avais d’autres préoccupations et je n’ai guère eu le temps de répondre. Je pense que tu as retrouvé notre belle Afrique du Nord avec toute l’œuvre civilisatrice de la mère patrie et que ton frère Pierrot, ses burnous et ses chameaux vont bien. Ici il a plu pendant un mois tous les jours à la grande stupéfaction des dits chameaux qui n’avait jamais imaginé Marrakech inondé, les fleuves hors de leur lit, les douars détruits. Bref un beau spectacle. Le soleil revient peu à peu, hier j’ai été de nouveau de la plage avec la jeune fille en question dont je venais d’arracher la main à des parents récalcitrants. C’est encore plus difficile que d’arracher un camp à des cheftaines FFE. La mer était très belle et nous étions tout heureux d’être « officiellement »… Je t’envoie ci-joint une dragée morale, une pour Philippe et une pour Bébéric. Bon pour 3 dragées que je vais payer dès mon arrivée en France.

Mon travail se poursuit assez bien. Je me suis trouvé tout à coup des raisons on ne peut plus valables de rester à Casablanca et de remettre aux calendes héllènes mes déplacement prévus à Oujda, Tanger etc. Ce que c’est que la conscience professionnelle, quand même. Et les petits juifs de Tanger et Oujda resteront abandonnés à leur triste sort. Tout cela par la faute d’un sourire gracieux. Mais tu dois préparer ton bac. Amitié Roger.

21 octobre (Tel-Aviv ? 1969 ?)

[…] Au point de vue de travail, c’est le seul point noir depuis notre retour, je n’arrive pas à m’adapter. Ni dans mes rapports avec les collègues, je me croyais pourtant un type très coopératif, ni dans mes rapports avec tout cet immense appareil, dans le sens où l’on parle de l’appareil du parti, je n’arrive à trouver ma place. Roger

2 février 1970, Herzlya

J’écoute la radio, les nouvelles du six heures. Nous avons perdu un avion sur le front syrien. Yahel interrompt ma lettre, elle téléphone de sa base, elle est dans les transmissions, elle s’ennuie.

Je n’ai repris mon travail que ce matin après avoir fait une période à l’armée. Vu mon âge et mon inexpérience, je suis dans une unité tout ce qu’il y a de moins combattante et cela a été plutôt agréable, surtout de ne plus voir les têtes intelligentes et bornées de mes collègues de bureau. […] Je suis libre et je fais ce que je veux, mais si je disparaissais deux mois, personne ne s’en apercevrait et cela est souvent déprimant et surtout cela me change de ce que je faisais à Paris où j’avais la vanité et la naïveté de me croire indispensable.

On s’habitue peu à peu à la guerre, il passe actuellement dans le pays une vague d’hystérie anti française (avec les avions de Libye et compagnie) aussi exagérée que l’était l’amour passion d’il y a cinq ans. Décidément ce peuple si sûr de lui et dominateur est un peuple anxieux et quelquefois paranoïaque, qui a un besoin éperdu d’être aimé, d’être compris, d’être loué, inquiet, jaloux, sensible. Le plus admirable des peuples et le plus insupportable. Un pays où il se passe chaque jour quelque chose et si il ne se passe rien on accueille cette journée avec méfiance, la santé étant un état passager qui ne présage rien de bon.. Roger

1970,  5 mai

Les journaux du monde sont pleins de nos malheurs et de nos exploits, un peu trop pleins pour mon goût. Il n’y a pas de doute que ces dernières semaines, une légère démoralisation se fait sentir, pour la première fois depuis la fin de la guerre. Non que quelqu’un ici ait de véritables doutes sur le sort d’une prochaine bataille, s’il y a une prochaine bataille, même l’histoire des pilotes russes n’a rien changé assez d’assurances de notre supériorité militaire. Mais d’abord parce que chacun sait qu’une nouvelle victoire n’est pas une solution et surtout parce que les gens ici commencent à douter du postulat élémentaire de la politique israélienne : nous n’avons pas le choix. Non que quelqu’un ait un véritable choix à proposer, voir une alternative claire, mais chacun se dit « peut-être après tout y’a-t-il un choix », en tout cas le gouvernement devrait prendre une initiative quelconque plutôt que de décider de ne pas décider, plutôt que de le répéter « nous avons raison et le voulons la paix ». Cette solution d’immobilisme, […] est à la fin déprimante, particulièrement pour les parents dont les fils s’approche de leurs 18 ans et pour les jeunes eux-mêmes.

Il y a sûrement un congrès d’études hispano mauresque ou d’esthétique mexicaine cette année au Moyen-Orient Roger

30 décembre 1970

Je vous écris de Jérusalem où je dirige pour mes péchés un séminaire international consacré au problème de l’émigration et tous les refroidis de Toronto, de Cleveland, de Paris, de Stuttgart, qui ont quitté leur pays sous la neige, se réchauffent les os et ont demandé avant même le début des discussion d’immigrer au moins pour l’hiver, même les Australiens et Argentin qui ont laissé l’été avant-hier ne peuvent se plaindre. C’est une chance : il y a deux jours il neigeait et ventait ici, c’était horrible.

J’ai raconté dans une récente lettre aux Ranson mon voyage [au Chili] : la lettre est un peu pour tout le monde, pour vous aussi. Le dictionnaire n’a pas été tellement utile, il s’avère que je parle espagnol mieux que je ne le croyais et que la plupart des Chiliens parlent sois anglais, soit hébreu, les juifs bien entendu, et que l’on s’est compris plus ou moins.

En Israël on trouvé un pays qui a peu à peu oublié la guerre d’usure du printemps dernier, nous nous sommes installés dans le cessez-le-feu, nous prenons les nouvelles pour savoir les résultats des jeux asiatiques de Bangkok et la vie recommence presque normale avec son cortège le drames, d’accidents de la route, de petits scandales, de revendications. Il y a eu entre autres une grève de tous les professeurs du secondaire qui a duré quelques six semaines et qui vous aurait intéressés. Pourtant dans cette tranquillité retrouvée deux sujets excitent le public et éveillent l’imagination, à part le sport bien entendu. Le premier : faut-il aller vers des pourparlers dont on sait à l’avance qu’ils échoueront. Il y a eu de notre part un certain dégonflage : on avait juré de ne pas entamer les discussions avant le retrait des missiles et puis sans retrait on plonge quand même. La population a tellement envie que le cessez-le-feu continue qu’elle est prête à tout, même à un accord qu’il soit moins que la paix.

L’autre les publics ( ?) de Leningrad : qu’y a- t-il d’artificiel, de fabriqué, dans ces manifestations de masse, particulièrement de jeunes, dans cette grève de la faim, dans ce mouvement général ? Je crois que le mouvement est spontané. Une fois de plus nous avons la preuve que seul un État d’Israël fort peut être une forteresse, et la dérision même de ces protestations, de ces lettres collectives, de ces appels à la conscience universelle, de ces gémissement à la Jean-Paul Sartre, nous prouve que rien ne peut remplacer un hélicoptère avec quelques dizaines de parachutistes bien entraînés ; si seulement Leningrad n’était pas si loin.

je vous embrasse Bonne année Roger

1ernovembre 1973

Je suis rentré hier à la maison après deux semaines d’absence. Que vous dire que vous ne sachiez déjà. Le peuple d’Israël panse ses plaies et digère peu à peu la nouvelle situation. Toute cette image qu’il avait de lui-même et qu’il distribuaient dans le monde avec tant de prétention exaspérante et d’assurance insupportable, cette image de l’armée invincible, des services de renseignement les meilleurs du monde, de l’écart technologique tellement grand entre lui et ses voisins qu’ils n’oseraient jamais s’y frotter, toute cette image disparaît comme un ballon qui éclate. Et l’on n’a pas grand chose à mettre à la place. Si ce n’est celle, que l’on croyait éculée, du peuple pourchassé, massacré, dont personne ne veut et que personne n’aime. Chacun de nous a perdu un ami, un parent, un collègue, un voisin dans cette guerre. Il se demande si ce massacre aura servi à quelque chose ou s’il n’est que le quatrième acte d’une guerre qui n’aura jamais de fin.

Pour moi qui ai toujours soutenu des idées très hétérodoxes sur le génie politique et l’intelligence de nos dirigeants je me trouve encore une fois isolé et les discussions autour de moi me montrent que le moral est encore plus atteint que je ne le croyais : peuple hystérique au fond, passant du désespoir à la confiance avec le même excès et la même rapidité.

Je vous embrasse tous les cinq Roger

14 février 1982

Lilah, quand elle a su que tu t’es trouvé cet été de l’autre côté de la mer à trois quarts d’heure d’ici et que tu n’as pas réussi à arriver jusque chez nous, t’a traité de plusieurs noms oiseaux, en hébreu cela fait très éloquent. En tout cas tu aurais pu te faire une idée du village où je vis, revoir en imagination la vallée, la ligne de crête avec ses radars et ses antennes de télécommunication, la mer à l’horizon, les bosquets fleuris, le goulache dégueulasse servi à la salle à manger collective et la piscine entre les cyprès. Cet été justement nous étions presque seuls, la seule visite (à part celle des obus une petite semaine assez chaud), a été celle de Nathalie Ranson qui n’a pas eu l’air mécontente. Quant à moi je vis une espèce de retraite active, si l’on peut joindre ces deux mots. Retraite parce que j’ai rayé, oublié avec une rapidité qui m’a surpris moi-même toutes les ambitions, les intrigues et les vanités d’une carrière qui a tenu une telle place dans ma vie pendant 15 ans. Je me rends compte à quel point je détestais ce monde médiocre, même dans sa férocité. Occupé, parce que en fait mes journées sont très pleines, je dirige sans y connaître grand-chose les plantations d’agrumes, je passe donc de longues journées dans les arbres entre les fleurs d’oranger et les nouveaux plants de pomelos. Je suis également responsable des problèmes scolaires, ce qui me prend une grande partie de mes heures libres. Il y a peut-être 70 enfants à l’école, mais 150 problèmes quotidiens à résoudre. Roger

8 août 1982 dans le train Haïfa à Tel-Aviv

Je reviens d’un séjour chez Rogers, au kibboutz de Matsouba, dans le luxe austère des fleurs et des laitages à profusion. Cette graphie ataxique n’est due qu’aux cahots du train, un vieux train, le seul qui soit encore assez fréquent dans un pays essentiellement sillonnée par des autocars fréquents et bon marché dans lesquelles on bénéficie de la radio en permanence, dispensée par plusieurs haut-parleurs et poussée à l’intensité maximale lors de chaque bulletin d’information, le reste étant consacré aux miaulements et aux secousses standardisées qui bercent aujourd’hui tous les mondes civilisés.

J’ai été heureux de retrouver la gentillesse et la lucidité de Roger chez qui j’ai débarqué à l’improviste et qui m’a reçu comme un voisin qui devait bien finir par venir le voir de cette façon là et qui vous recevrait sûrement aussi de la même façon, à en juger par la façon dont il demandait de vos nouvelles et évoquait vos lettres.

Il est toujours plein d’idées et d’histoires qui me paraissent claires et vivantes malgré un travail qui me semble très astreignant : Dans les champs de cinq à huit, déjeuner à huit heures, puis retour aux champs jusque midi, sacro-sainte sieste jusqu’à trois ou quatre heures puis réunions diverses, préparations, animations pour les enfants etc. Souvent jusque tard le soir. Chaque repas donné lieu au mois à une vingtaine de conversations, depuis l’ustensile à emprunter, les rendez-vous à fixer, jusqu’aux conciliabules.

C’est peut-être cette dépendance multiple, cette obligation de consulter une foule de gens pour la moindre initiative qui me semble la contrainte la plus lourde de ce système communautaire, sans parler de l’assemblée générale, qui peut être amenée à discuter et à statuer sur tout changement dans une situation personnelle : voyage d’études etc… Roger dit en souriant que c’est l’esprit des phalanstères selon Fourrier, dans lesquelles la règle voulait que les chemises se boutonnent dans le dos en vue de rappeler que dès que l’on s’habille on a besoin d’autrui. Roger est également accablé et horrifié par les bombardements des quartiers civils, sa réprobation est évidemment plus concrète que les condamnations systématiques que j’entendais en France et qui, quoi que sans effet à court terme sur ce qui ce passe ici, me faisaient peur comme l’expression d’une inaptitude traditionnelle à comprendre et à prévenir un drame similaire éventuel.

Sur ce point, Roger se sait en minorité dans le pays. Le terrorisme palestinien apparait ici comme une menace mortelle qu’il faut périodiquement réduire et le caractère totalitaire et barbare de la colonisation palestinienne au Liban confirme ces Israéliens dans leurs convictions. Au dernier sondage, si le pourcentage de ceux qui estiment que cette guerre était inévitable a légèrement baissé, il reste voisin de 80 % de même que la cote du premier ministre actuel, tandis que celle du chef du parti socialiste est de 3 % . À ce sujet Roger suggère que si chez nous l’un des mythes essentiels est celui d’Œdipe, par contre un mythe important dans ce pays ici pourrait être celui d’Abraham qui est décidé a tué son fils, son fils unique, celui qu’il aime dit la Bible, pour obéir à son dieu, à son idéologie. Et ce fils ne résiste pas, ne proteste même pas.

Fidèlement

Gilles Grandjouan

16 mai 1986

J’aimais bien cette nièce que Gilles a rencontrée, intelligente, acerbe,  quelquefois virulente, imprévisible et incertaine, connaissant des enthousiasmes soudains et éphémères et des dépressions sans préavis, qui le jour où a éclaté la guerre de Kippour a quitté le pays, ne jugeant pas cet événement assez grave pour modifier ses projets. Son père, le jeune frère de Mali vit à Nahanya, le chef-lieu du canton dont Matsouba serait la perle, à 10 km nous ne nous voyons pourtant que assez rarement.

Hélène donc me téléphone il y a quelques semaines « tonton Roger ? » : il n’y a que les français pour employer des mots aussi bêtes, « tonton », voilà j’ai un cadeau pour toi, un livre de quelqu’un que tu connais bien, Gilles. Elle est arrivée quelques minutes après à Matsouba, il faisait déjà nuit, avec son géant de Normand de mari et son fils. Et tandis que j’essayais d’expliquer ce qu’est un kibboutz et que son fils me disait froidement que c’était très beau tout ça mais son école à lui à Paris, c’est bien mieux que ça, elle m’a parlé de Gilles, de la rencontre, de l’accord, de ce pont qu’ils avaient découvert entre eux « j’ai grandi et mes parents vivent en Israël … je connais moi-même un Israélien et il se trouve que parmi les 4 millions d’Israéliens qui se débattent, le seul que connaisse ton fils soit justement l’oncle paternel de cette jeune femme. Tu diras à Gilles que j’ai lu avec conscience et avec intérêt presque tout le numéro d’Esprit donc il a dirigé la rédaction [numéro spécial Amérique Latine]. C’est bien. Nous avons à Matsouba une vingtaine de latino-américains, argentins pour la plupart, il y a aussi un couple mexicain, mais ils ne savent pas assez bien le français pour lire avec profit ce texte.

Depuis février comme te l’ont dit les amis je me trouve maire du village, fonction qui exige du temps, des nerfs, de la patience, de la modestie et plus que tout de l’humour. Toutes mes soirées sont prises, mes repas sont entrecoupés de discussions, d’interventions « j’en ai pour une minute », de questions dont je n’ai pas la réponse, mais enfin comme disait feu ma vieille maman « il n’est pas née encore le type qui empêchera mon fils de lire » : je lis quand je peux, j’écoute de la musique dans mon bureau ou le soir avant de dormir et comme tu vois entre deux réunions j’arrive à écrire une petite lettre.

Peut-être la description un peu exagérée des splendeurs de Matsouba vous donnera-t-elle envie enfin de faire un pèlerinage en Terre Sainte : je suis sûr que Françoise y trouvera des milliers de sujets d’intérêt, de colère, de rigolade et de réflexion, alors à quand ? Roger

9 février 1991

J’ai été très heureux de recevoir ta lettre et plus tard de t’entendre au téléphone. Il y a longtemps que je voulais t’écrire, entre autres pour te remercier de Vidal et les siens(Edgar Morin 1989) : je n’avais pas ton adresse, je me rappelais ribouldingue mais ne savais si c’était un nom de rue, de village, de lieu-dit. J’ai été très content de lire ta lettre parce que tu prévoyais avec sagesse et ingénuité qu’il n’y aurait pas la guerre et que j’ai une grande confiance en ton jugement. Cette confiance, elle date du jour de juin ou juillet 1967, quelques heures après la fin de la guerre des six jours, où tu m’avais dit : « qu’est-ce que vous allez faire avec tous ces territoires et avec un million ½ de citoyens hostiles, de terroristes en puissance, et tu avais ajouté « je ne vois pas Israël en puissance occupante ». Je m’étais dit alors « facile à dire, mon petit Claude, on voit bien que les menaces ce n’est pas envers ta maison et ta famille ». Nous vivions alors dans l’euphorie de la victoire rapide autant qu’inespérée, dans l’optimisme radieux et le soulagement, rien ne pouvait être pire à la vérité que l’angoisse qui avait précédé la guerre des six jours et puis j’étais sincèrement persuadé que les territoires et leurs habitants n’étaient qu’un gage et que la paix nous attendait au coin de la semaine. Sancta simplicitas. Tes remarques me sont souvent revenues à l’esprit et j’ai acquis la conviction que tu étais capable de mettre l’événement en perspective historique, c’est pourquoi ta lettre m’a fait plaisir : « si Claude pense qu’il n’y aura pas la guerre » et puis au téléphone aussi, parce que c’était une marque d’amitié. Depuis nous avons la guerre au jour le jour, un peu désorientés par cette guerre, non parce qu’elle se prolonge (la guerre du Liban elle aussi a été longue relativement) mais parce que tout s’y passe à l’envers : le front est à Tel-Aviv ou Haïfa, et pas Matsouba et le reste des villages de la frontière nord. Les combattants sont américains, anglais et autres, et nous, on nous demande poliment d’encaisser les coups et de nous tenir tranquilles. Nos alliés sont les Saoudiens et Syriens, ils nous portent la même tendresse que les Irakiens, mais ils en feront preuve la prochaine fois. Les « patriots » sont desservis par des soldats américains, nous qui avons proclamé que jamais nous ne demanderions à un soldat étranger de participer notre défense (on est pas des sud- vietnamiens, nous autres), tout ce peuple sûr de soi et dominateur redevient soudain celui des rescapés des pogroms et des chambres à gaz, des milliers de vieilles dames se terrent depuis un mois, les mères gardent auprès de leurs jupes leurs enfants, d’ailleurs les écoles ne sont pas encore toutes ouvertes, dans la rue les gens marchent leur masque à gaz en bandoulière, et au lieu de faire peur aux arabes c’est nous ou la plupart d’entre nous qui avons peur.

Peur assez naturelle et l’essentiel et de ma tâche, ces dernières semaines, a consisté à convaincre les éducatrices, les moniteurs et surtout les mères que le danger est infime et qu’a la frontière du Liban il est infime au carré, que si danger il y avait, ils viendrait plutôt des « katiouchkas » en provenance du Liban, auxquelles nous sommes plus ou moins habitués, que les scuds provenant d’Irak, conventionnels ou chimico-biologiques. J’eusse souhaité que dans ces circonstances Israël fût dans la même situation que en 1967, je veux dire qu’elle n’ait rien à se reprocher, qu’elle gardât cette image de petit qui n’a pas peur des gros, de gentil dont la cause est bonne et que les méchants continuent de persécuter, un peu Astérix, un peu Tintin, un peu Cosette, et puis non, on est sympas aujourd’hui parce qu’on reçoit des missiles sur la gueule, mais en 24 ans Israël a bien changé, le peuple jeune, enthousiaste, démocrate et au fond de lui-même humain, a durci, a vieilli, est devenu cynique, quelquefois violents et compte des marges importantes de fascisme et de stupidité politique. Je ne crois pas que si le problème palestinien avait été résolu (ou en passe de l’être, au moins sinon résolu, pas par notre faute, et il n’est pas de notre fait) le phénomène  Sadam ne se serait pas manifesté, la guerre n’aurait pas éclaté. Nous n’y sommes pour rien comme nous n’étions pour rien dans la guerre d’Iran il y a 10 ans, mais je me sentirais mieux si l’on ne pouvait même pas, même comme prétexte, même comme mensonge, lier les deux affaires.

Mais peut-être qui sait cette guerre permettra un règlement définitif de tous les problèmes de la région, peut-être nous contraindra-t-elle à nous alléger, à nous libérer de ces territoires occupés et maudits, qui  pourrissent la société israélienne comme la guerre d’Algérie avait risqué de pourrir la société française, et celles du Vietnam ou d’Afghanistan les sociétés américaine ou soviétique. Sauf que la société israélienne est bien fragile, bien jeune encore et bien moins assurée d’elle-même que les puissances historiques aux quelles j’ose les comparer.

Bien, suffit de toutes ces considérations du café du commerce, bien à toi, Roger

 

5 novembre 1991 j’ai tout heureux de recevoir ta lettre. Comme aux galeries Lafayette il se passe toujours quelque chose au Moyen-Orient ce qui me permet de te lire quelque fois avant une guerre ou après une conférence de paix ; je compte passer quelques jours en France du 15 décembre au 10 janvier, je vais me retrouver seul : en effet, car Michèle part pour six semaines à Saint-Pétersbourg y enseigner l’hébreu aux futurs émigrants ou plutôt il me semble y enseigner des méthodes d’enseignement à de futurs professeurs qui sur place préparent les futurs immigrants à leur nouvelle vie ; j’en ai froid pour elle et pourtant je l’envie un peu. Je te raconterai où j’en suis. Pour l’instant je vieillis doucement, descendant tous les matins avaler ma dose d’oxygène sous les orangers À bientôt donc Roger.

10 février 1992

La dernière fois que Matsouba était couverte de neige c’était en 1950, il en reste quelques photos fanées et un film sautillant en super huit que l’on passe dans notre salle des fêtes chaque fois que l’on célèbre l’anniversaire du kibboutz ou pour d’autres raisons liées à la nostalgie. En 1950 je n’étais pas encore en Israël, j’étais resté au Maroc avec Mali enceinte qui attendaient la naissance de Yaël, mais mon frère y était et les autres copains du groupe marocain. À cette époque les maisons n’étaient pas chauffées, pour autant qu’il y eut des maisons, notre groupe vivait sous la tente. Mais Matsouba n’avait encore planté ni avocats, ni pamplemousses, ni manguiers et commençait sur un petit terrain de deux ou trois ha un début d’essai de plantation de bananes. Je ne sais trop ce que cette neige et le gel qui a suivi fera à nos vergers,  c’est seulement dans quelques semaines ou peut-être cet été que nous saurons à quel point ils auront souffert des intempéries.

En tout cas c’est très beau, les grands gazons tout blancs et les toits couverts de neige, des flocons qui tombent doucement sur le paysage tropical ou du moins méditerranéen, sur les énormes oliviers et les caroubiers rabougris qui se trouvaient sur la colline avant l’arrivée des premiers pionniers en Galilée.

Depuis mon retour il n’a presque pas arrêté de pleuvoir, pluie, tempête, rafales, inondations : le Mont Hermon fait tout à fait Jung Frau ou Mont Blanc, le Jourdain nous prend des allures de Mississippi et le Yarmouk qui vient de l’est joue à l’Amazone.

Michelle est revenue de Russie quelques jours après que je sois rentré de France. Elle est bien sûr pleine d’histoires, d’anecdotes, de photos, d’enthousiasme, et aussi pas mal pessimiste sur les possibilités qu’a cet immense pays à s’en sortir ; il est vrai qu’elle n’a vu que Saint-Pétersbourg qui semble une ville tout à fait exceptionnelle, différente des autres par son architecture, sa culture, son regard vers l’Europe, et un petit peu Moscou.

Il semble vraisemblable qu’elle ait un poste à Paris dès cet été : il ne reste à régler que des détails bureaucratiques, il est vrai que dans ce pays la dynamique est si déroutante que tout peut être arriver d’ici juillet, quant à moi la tournée que j’ai faite avec le dénommé xxx, qui nous avait tenu au téléphone un dimanche soir de janvier, ne m’a pas enthousiasmé, mais tout compte fait j’ai accepté de faire un essai à Marseille, ce qui veut dire de Toulouse à Nice, pour quelques mois. Après soit se libérera un autre poste, soit je trouverai du goût à celui que l’on me propose, soit ma foi je rentrerai près de mes orangers et de mes petits-enfants. Quoi qu’il en soit la perspective de me trouver dans une région où je retrouverai des amis très chers chez lesquels je me sens comment en famille, les Grandjouan à Montpellier, les jeunes Hellman à Cette, Charles Assor, que tu ne connais pas je crois, à Marseille, et près des tiens, que j’ai retrouvés comme si je les avais quittés avant hier, alors que je crois bien que je n’avais pas vu Françoise et Cécile depuis plus de 14 ans, cette perspective a pesé un poids décisif dans ma décision d’accepter, même à l’essai, le poste.

Dans le pays il ne se passe pas grand-chose, la météo prend la place de la politique dans les conversations, mais les élections sont proches, mai ou juin je crois, et le gouvernement est bien capable de faire « chauffer » un ragoût convenable, qui pourrait lui sauver des voix, tant à la conférence de paix ou ce qui en tient lieu, à Washington, Moscou ou ailleurs, que sur la frontière. Quelques fusées bien placées au moment opportun, et le sursaut patriotique peut jouer. C’est un peu cynique ce que je t’écris, mais hélas j’habite trop près du Liban pour avoir oublié. bien à toi Roger

21 mars 1992

J’ai reçu l’ouvrage que tu m’avais montré à Toulouse sur l’Amérique latine, je me sens tout fier d’être copains d’un type qui a dirigé l’élaboration d’un aussi beau et si savant livre, et encore avec sa photo sur la page de garde, un peu comme si j’avais participé moi-même. J’ai commencé à le lire ou du moins le parcourir. Comme je te l’ai dit je fais cette année un cours à l’université du troisième âge sur « les deux Amériques » et certains chapitres croisent juste les sujets des prochains cours, quelques termes de vocabulaire et l’usage de certains graphiques : il doit y avoir une nouvelle géographie comme il y a une nouvelle histoire à laquelle que je suis plus habitué, ou de nouvelles mathématiques, mais ce n’est pas si difficile je crois, si l’on fait l’effort.

Il est possible que tout compte fait j’arrive à Marseille cette année, bien que il y a trois mois ma présence dans le secteur était très très très urgente… depuis que j’ai donné mon acceptation de principe, les responsables à Tel-Aviv se sont endormis sur le dossier, ils doivent être sans doute trop occupés par la cuisine préélectorale, à leur échelon j’entends, qui n’est d’ailleurs que subalterne. C’est bien pourquoi je pense que je serai encore en Israël à Pâques et peut-être à la Trinité.

J’avais raconté à Gilles Grandjouan comment il y a 5 ou 6 ans j’avais organiser une balade mi à pied mi en voiture louée dans le Neguev, quatre ou cinq jours dans des gorges et des cañons sauvages et désertique, avec haltes dans des refuges du désert qui ressemblent un peu aux refuges de montagne dont nous avons l’usage dans les Alpes pour les grande randonnée. Nous étions trois copains de Marrakech, Jacques Harbonn que tu connais bien, Charles Astor qui est avocat à Marseille, balade pleine de nostalgie de notre enfance, chansons scoutes, pleins de fierté, la soixantaine, bilan de notre vie, sans masques, sans épate, sans impudence, soleil et marches pas trop longues, Jacques qui est un peu géologue, pétrole oblige, nous expliquait les failles et les couches, Charles qui s’intéressent plus que tout à la Bible qu’il connait presque par cœur sans être le moins du monde religieux orthodoxe sautant de joie devant le nom des kibboutz ou des wadis qui étaient cités et il retrouvait le verset ou le chapitre de l’Exode ou du Deutéronome, moi qui suis disons sioniste, je commentais l’aspect historique, stratégique ou quoi… de tel ou tel site. A notre retour bruns et heureux, nos femmes que nous avions bien sûr laissées à la maison nous ont trouvés fort rajeunis, puérils… Que penses-tu de faire une semblable randonnée ce printemps ? Gilles avait salivé, j’imagine que Gérard Lévi qui est un guide admirable serait d’accord, cela ne coûterait pas trop cher, le billet d’avion, une voiture partagée en quatre, le reste du temps tu serais chez moi ou chez Gérard qui habite Jérusalem, bon qu’en dis-tu ? Téléphone à Gilles si cela t’intéresse, le mieux serait les vacances de Pâques, cette année qui a été exceptionnellement pluvieuse nous promet un désert exceptionnel lui aussi, des fleurs, des wadis encore humides, des oiseaux et des papillons plus nombreux, de grandes taches de verdure, le désert fleuri quoi, quand même le désert. Amitiés à tout le monde (j’ai répondu non)…

30 mai 1995

J’ai bien reçu ta carte du Japon et ta dernière lettre qui me donne toutes les informations sur les Bataillon grands et petits. Je t’écris le lendemain des élections chez nous. Nous avons tous le cœur gros pour Peres, l’éternel looser, pour le processus de paix qui risque de s’enliser pour longtemps, et plus que tout sans doute à cause de la montée inattendue des religieux extrémistes avec tout ce qu’ils risquent d’amener de régression, de réaction, d’obscurantisme, de contraintes. Pays étrange que cet Israël qui a envoyé un satellite (par Ariane) la semaine dernière (je ne sais si il y a un autre pays de cette taille qui l’ait fait avant nous) et qui en même temps élit à la chambre 20 % de députés vêtus de houppelandes noires et de chapeaux à bords.

Suffit de se désoler, c’est la démocratie, paraît-il.

Depuis mon retour à Matsouba je suis libre comme je ne l’ai jamais été, et je t’avouerai que je suis même un peu vexé, j’imaginais que l’on viendrait me proposer quelques postes importants que j’aurai le plaisir de refuser vertueusement, mais un peu comme les héroïnes de Jane Austen qui se préparent à refuser l’invitation à danser du jeune baronnet et qui font tapisserie durant tout le bal, je reste avec un refus rentré. Je ne fais donc pas grand chose, descends dans les vergers le matin, trois ou quatre heures quand il fait beau, et qu’il y a du travail pour quelqu’un de mon âge.

Je lis pas mal, j’écoute des disques, je prépare des conférences que je donne à l’Université du troisième âges de notre région. Cette année j’ai choisis comme thème : grandeur et chute de l’Union soviétique. Je suis devenu imbattable sur Staline les kolkhozes, le Spoutnik, mais enfin cela me donne l’impression d’être encore intelligent, pas trop racorni quoi. À quand un congrès de géographes en Galilée ? Roger

26 mai 1997

Mais oui mon cher Claude, la Poste fonctionne entre le Yémen et Israël, je l’ignorais d’ailleurs. Je ne connaissais que les relations folkloriques ou artistiques des chanteurs israéliens d’origine yéménites ou des danseuses qui maintiennent en Israël les très vieilles traditions de là-bas. Ils sont quelquefois invités par le prince ou l’imam ou bien est-ce de nouveaux une république, J’ai retrouvé mon kibboutz après trois années d’absence à ce point différent de celui que j’avais laissé et bien sûre de celui que j’avais connu et aimé il y a 10, 20 ou 30 ans, que je m’y sens quasi étranger.

« Un étrange pays en mon pays lui-même » avais dit je ne sais quel poète. Certes le kibboutz est une société organique vivante, bien sûr elle évolue avec le temps, la société ambiante, la technologie. Et j’aurais mauvaise grâce à m’en plaindre, moi qui lorsque j’étais « au pouvoir » (le mot pouvoir n’a aucun sens, disons en charge en responsabilité) avais lutté pour une aération, pour une modernisation, une humanisation, une défossilisation en quelque sorte du kibboutz. En quelques années le processus est devenu incontrôlable, en trois ans (sans que mon absence ait d’ailleurs joué le moindre rôle, le processus est plus ou moins semblable dans les autres kibboutz) la privatisation se fait sauvage et dans tous les domaines (sauf pour l’instant la santé et l’éducation) et les anciens dont moi-même se sentent de moins en moins concernés. Mais je ne me vois pas du tout et encore moins Michèle faisant partie du groupe des anciens, des pilgrim fathers, des héros fondateurs, amers, désabusés et anciens combattants. Ils sont d’ailleurs beaucoup plus âgés que moi et de toute autre culture (Mittel Europa plutôt). Les quelques amis avec lesquels je me sentais bien, ou bien ont quitté ou bien comme moi-même vivent dans un exil intérieur tout à fait stérile. Tout cela pour te dire à quel point vous me manquez.

J’imagine aussi que d’autres facteurs ont joué. À mon arrivée – retour, le préposé m’avait dit avec un grand et chaleureux sourires « ah tu nous manqué, un homme comme toi, y aura pas de problème pour lui trouver quoi faire… » ben ils ont rien trouvé ! J’ai essayé de trouver moi-même : mes vieilles occupations d’antan, les vergers, mais je me suis vite rendu compte que j’étais plus une charge qu’une aide à la nouvelle équipe : « qu’est-ce qu’on va bien trouver à faire à ce vieux con ? » L’équipe se compose d’ailleurs d’un responsable bédouin musulman, très doué d’ailleurs, et de six ouvriers thaïlandais efficaces. Quand je te disais que le kibboutz avait bien changé ?  Ou bien l’éducation informelle, les ados, mais alors là l’écart est tellement énorme non pas avec les jeunes, avec les ados ça marchait à peu près mais avec les éducateurs, les parents, les moniteurs, les profs du lycée…  que j’ai très vite laissé tomber. Il n’y a plus de maison des enfants, de quartier des jeunes, c’est devenu un hôtel, disons gîte rural, il rapporte d’ailleurs pas mal. Les enfants dorment chez papa et maman comme des enfants de Toulouse ou Strasbourg au moins jusqu’au bac ou à la mobilisation. Je me suis trouvé donc non seulement retraité d’après mon acte de naissance mais en fait. Il a fallu s’y faire, surmonter les blessures de l’égo , trouver de quoi remplir mes journées. La vie active, le travail dans la nature, le verger, les rapports constants avec les jeunes adolescents et les enfants, tout cela m’avait sans doute permis de traverser le parcours et de sauter les obstacles et les haies sans difficulté.

Je ne te parle pas de ce qui se passe dans le pays, vous avec le chômage vous n’êtes pas gâtés, mais alors nous… Je sens qu’on fonce à pleins gaz,  avec un chauffeur qui n’a pas le permis de conduire et qui a pris des euphorisants ou autres drogues il y a deux heures, vers une catastrophe de granite. Je t’embrasse et tout la famille Roger

14 octobre 1998 Lakhish

Je vous dois un compte rendu des agapes en l’honneur de Roger […] Je lui ai remis solennellement le cahier que Claude a photocopié, ainsi que les photos et la lettre initiale, qui ont provoqué des oh et des ah. La rencontre anniversariste avait bien lieu lundi 12, un jour de petit Sirocco, sur le vaste gazon d’une piscine publique. Michèle avait préparé un album commémoratif, oui Claude apparaissait très tôt en photo comme témoin du mariage de Roger en compagnie de Alain Barroux, Denis Ranson, Jean-Claude Jacquin et moi. Cet anniversaire à la piscine était presque aussi amical et romantique qu’un mariage en redingote. Gilles Grandjouan

27 mai 1999 (saisi à l’ordinateur par Roger)

Cher Claude je te remercie de ton message. J’ai confiance en Barak malgré son passé militaire et ses décorations, après tout il est né au kibboutz et y a grandi et ça doit compter. Il peut difficilement faire pire que son prédécesseur dont il hériteite une situation compliquée.

Les problèmes essentiels ne sont plus les problèmes de défense nationale, de conflit international mais plutôt des choix de société : dans quelle sorte de pays nous voulons vivre. Cela a été la force de Barak de comprendre que c’est cela qui intéresse les électeurs, mais les gens sont optimistes et pleins d’espoir, un peu comme vous après l’élection de Mitterand en 1981. Sans se cacher que le clivage se perpétue : Laïque et religieux, arabes et juifs, vétérans, russes, etc.

Roger.14 juin 2001

J’ai essayé de répondre par e-mail comme un grand, vivant à part entière au XXIe siècle, j’ai même suivi cette année en élève assidu de l’Université du troisième âge de Galilée occidentale un cours dit « premiers éléments d’informatique », j’ai appris à bouger une souris, à chercher le résultat des élections sur Internet, et bien sûr tout ce qui concerne le @ le www et les icônes oranges, je me suis empressé d’oublier de semaine en semaine, alors que je me souviens encore des Fables de La Fontaine et du théorème de Pythagore que j’ai appris au CM2.

J’ai quand même essayé mais le clavier restait rétif à mes supplications : chaque fois que je voulais une virgule, il me donnait une parenthèse et effaçait tout soudain, sans prévenir et sans aucune provocation de ma part. J’ai décidé donc, j’en suis tout à fait honteux, d’en revenir au vieux bic qui, s’il ne me corrige pas les fautes d’orthographe, au moins n’en fait pas exprès.

Quant aux pays sauvage en question, je suis ton angoisse et ta sympathie pour ce qui se passe chez nous : quand la gauche gagne tu te réjouis et quand quelque part, à Camp David ou à Charm el Cheik il y a une lueur d’espoir, tu m’envoies un mail. Je suis bien persuadé que la distance, la perspective, si elles sont accompagnées de sympathie permettre de voir et le comprendre ce que l’on ne distingue pas, comme nous, lorsque l’on a le nez collé sur images. Cette sympathie, même si elle s’adresse d’avantage à Roger et sa famille qu’à Israël et sa politique, est d’autant plus méritoire quelle survit dans l’atmosphère d’hostilité et de condamnation générale qu’expriment les médias français et son gouvernement. Quelle que soit votre indépendance d’esprit à tous les deux, vous ne pouvez pas ne pas être influencés par votre passé de militants de gauche, par la guerre d’Algérie, par le ton et le contenu des éditoriaux du Monde, de Libé, d’Antenne 2.

J’évite, d’instinct, les discussions politiques où personne ne convainc personne, surtout quand il s’agit du Moyen-Orient. Je les évite avec Gilles, plus sioniste que moi prétend-il, comme avec Denis qui avait juré de ne pas mettre les pieds en Israël tant que les territoires seraient occupés. Il est venu une fois pourtant, je l’ai fait travailler une journée entière à la cueillette des pamplemousses, je ne sais quel souvenir lui en était resté. Ni presque jamais avec vous et pourtant je dois bien te dire que ta phrase sur « les cons terroristes suicidaires, ils n’ont pas encore compris qu’ils n’avaient pas d’autre solution que de faire la paix », cette phrase m’a laissé insatisfait. Tuer 20 adolescents qui vont danser dans une boîte le vendredi, ce n’est pas de la connerie, c’est un crime. Celui qui l’a commis en est mort (« suicidé ») si tu veux, ceux qui l’ont convaincu et entraîné et armé sont inexcusables, pas des cons, des salauds couverts de sang, mais non moins excusables ceux qui les comprennent, ceux qui les excusent, ceux qui disent après tout on occupe leur pays depuis 43 ans, après tout les hélicoptères israéliens dans les actions dites de représailles etc, etc. Non un terroriste est un terroriste ; Camus s’est fâché avec la moitié de l’intelligentzia française quand il a osé écrire cela, mieux que moi certes. Il y a dans l’attitude des médias, des intellectuels français, une espèce de pharisaïsme benoît qui me répugne. Pas un mot de repentir sur les conneries (ici encore le mot est faible) qu’ils ont écrites à l’époque du Grand Bond de Mao, du Cambodge, de l’Afghanistan, ou de la guerre d’Algérie, pas un moment essayer de comprendre ce qui s’est passé et quels sont les alternatives. Mais voilà que je pêche de ce péché que je veux éviter, parler politique.

Roger.

3 septembre 2002

Tu es quand même un type bien de m’écrire à la plume et par la poste de la république au lieu de te servir du e-mail.

Cet été je n’ai pas rejoint les colonies de vacances juives en France ni dirigé le séminaire de « cadres » en Israël. Les parents, sionistes certes, mais pas à ce point, ont refusé que les dits séminaires se déroulent en Israël et j’ai donc été invité à diriger un séminaire européen à Prague, je n’ai pas demandé longtemps à réfléchir, et n’écoutant que mon devoir j’ai rejoint les jeunes en Tchéquie. Il y a tellement de synagogue du XIIe siècle, de vieux cimetières et de souvenirs juifs à Prague que c’est presque Israël, en tout cas un ersatz très convenable. C’est une ville super que je connaissais à peine, j’ai pu en visiter l’essentiel. Je n’avais pas quitté la ville qu’il s’est mis à pleuvoir et que les souvenirs juifs ont été balayé par les inondations : il n’était que temps…

Tu fais bien de ne presque pas évoquer la situation politique dans tes dernières lettres, il est vrai qu’il n’y a rien à dire, si ce n’est d’espérer ; pour ma part je suis assez pessimiste. Il y a trois ans après les accords d’Oslo, j’avais presque cru au Père Noël et j’étais sûr d’être du bon côté, la gauche israélienne avait raison, la droite était fascisante. Et que les opprimés allaient prendre la main qui leur était tendue. Pour moi personnellement je suis arrivé à l’âge où l’on fait, en essayant de garder son humour et la tête saine, une espèce de bilan, d’examen de conscience, de se poser une question naïve et un peu adolescente : qu’ai-je fait de ma vie ? adolescent on se demande que ferai-je de ma vie ? J’ai l’impression d’un vaste et douloureux échec ; j’avais eu l’ambition, l’outrecuidance ou la naïveté, de vouloir donner un sens à cette vie : le kibboutz, Israël, c’était un choix existentiel, justement parce que j’avais été préservée de la Shoah, je voulais etc. Le kibboutz est un échec total. Il s’effrite, et le nôtre en particulier, qui semblait si solide, si enracinée dans cette Galilée que j’aime, si assuré, quasiment indestructible, compte ses jours. Sans doute restera-t-il un village sur la carte, mais rien de l’idéal de la communauté humaine, de cette incroyable prétention de vouloir « changer l’homme », peut-être aurais-je la chance de mourir avant lui.

Le kibboutz n’était que le cadre, que le moyen. C’est Israël qui me semble en danger, de moins en moins légitime ou plutôt chaque jour davantage délégitimisé ;pas par le Monde, Antenne 2 ou une conférence internationale du tiers-monde, mais aux yeux de ses propres bâtisseurs ou de ses meilleurs amis. Antenne 2, je m’en balance, mes enfants et petits-enfants, c’est d’eux qu’il s’agit et de leur vie. Israël, ce n’est pas la France qui peut-être conquise et occupée quatre ans sans perdre sa raison d’être, ni la Pologne qui peut être partagée trois fois en un siècle sans cesser d’être la Pologne, quand Israël disparaît c’est pour 2000 ans.

Nous avons changé de maison, avons bâti à nos frais (il y a plus de kibboutz) avec une terrasse, une grande cuisine, une chambre à coucher de plus, nous pouvons ainsi recevoir les petits-enfants. Et puis je lis et je relis. Je vous embrasse fraternellement Roger

8 décembre 2002 Tel-Aviv

Nous n’avons pas fait de tourisme dans un pays en guerre, ç’aurait été inconvenant ; nous sommes juste venus voir Roger dans son kibboutz de Galilée et Gérard Lévi à Jérusalem. À vrai dire le kibboutz a perdu son statut communautaire, il reste une juxtaposition d’entreprises privées, deux petites usines, deux jardins d’enfants, une épicerie et puis naturellement la production de bananes et de pomelo, certaines maisons sont loués à des locataires de passage, en somme une reconversion raisonnable malgré quelques morceaux sous employés comme le théâtre. La famille de Roger évite les autobus et les supermarchés. Ils ne trouvent pas la meilleure solution contre la nouvelle forme de guerre qui se développer depuis deux ans ni contre la crise économique qui en est résultée. Ils y pensent beaucoup, ils en parlent peu, ils sont soudés par les attentats comme les passagers d’un bateau secoué ; il suffit que les attentats cessent pendant cinq ou six jours pour qu’ils reprennent espoir, en somme la situation est pratiquement viable et sentimentalement intolérable. C’était la première fois que notre fille Anne venait en Israël. Elle est plongée comme beaucoup de ses contemporains dans une ambiance religieusement anti israélienne et anti américaine Elle a au moins été touchée par l’amitié quasi familiale des amis de là bas. Fidèlement.  Gilles Grandjouan

18 décembre 2002

Pour Anne, c’était le premier séjour dans le pays (son frère et sa sœur il y avaient fait de longs séjours durant l’adolescence, une espèce de voyage initiatique donc ils avaient gardé je crois un souvenir durable et donc ils ont fait sans doute tinter les oreilles à la petite).

Les Grandjouan sont beaucoup plus sionistes que nous. Nous, nous sommes loin d’être inconditionnels, nous voyons les erreurs, les crimes et surtout les stupidités de nos dirigeants mais celles de ceux d’en face ne leur cèdent en rien, hélas.

Cette année je ne passe pas le réveillon en France comme les années précédentes j’ai plus ou moins cessé de m’occuper des mouvements de jeunesse juifs qui permettaient ce voyage, cela commençait à devenir pathétique de diriger le séminaire ou de rédiger des programmes éducatifs à mon âge ; j’aimais bien, mais je sentais que la source se tarissait peu à peu et que l’enthousiasme chez moi comme chez eux baissait, tout compte fait je m’en console aisément, plus vite que je ne le craignais.

Je viens de lire avec beaucoup d’admiration un roman traduit de l’espagnol : Pleine lune, de Muñoz Molina. Michelle l’avait acheté à la Fnac parce qu’il est traduit par Philippe Bataillon et qu’elle sait le lien d’amitié qui m’a uni à ton frère, il y a plus de 50 ans. Le livre était dans la bibliothèque sans que je le touche depuis des mois, je l’ai pris un soir et je n’ai pu m’en détacher. Le roman est admirablement construit et certains des personnages me parlent personnellement, touchent à ma biographie personnelle secrète. J’ai été surtout ravi par la qualité de la traduction : je me souvenais de Philippe comme un excellent photographe et donc d’un artiste, mais assez peu littéraire, entre ton père, ton beau frère et toi-même, il était comme le manuel ou le technicien de la famille Bataillon. J’ai trouvé très bonne cette traduction qui est la première de lui je lis, j’en avais vu plusieurs de Laure il y a quelques années, je ne me souviens pas qu’elles me semblaient supérieures à celle de Philippe : si tu le vois, tu lui transmettras ma plus vive admiration. Je vous embrasse tous Roger

26 avril 2005

J’ai été très émue de lire quelques lignes de ton journal de Fès en 1951. Je me suis aussitôt souvenu de ta visite chez nous à Casablanca en octobre. Nous fêtions le premier anniversaire de ma fille Yahël qui s’appelait alors Joëlle ou Marie Joëlle. Nous étions allés chercher ensemble le grand gâteau chez le pâtissier du quartier, et à force de discuter en route nous l’avons renversé sur le trottoir et nous étions revenus assez penauds à la maison « en grand danger d’être battus » comme Perette du Pot au lait. Tu nous avais quittés ensuite pour rejoindre ton frère Pierre dans les confins sahariens je crois.

Trêve de nostalgie. J’ai retrouvé à mon retour le pays dans une atmosphère genre la France avant et après les accords d’Evian, les Français moins hystériques que les Israéliens. Ils avaient alors évité la guerre civile, j’espère qu’il en sera de même ici. La situation est assez semblable, une immense majorité qui veut en finir avec cette colonisation qui ruine le pays et cette guerre insensée et une minorité mystique, extrémistes qui défendent aussi des intérêts matériels, pas seulement une promesse divine. Il y a aussi un sincère désespoir, un vrai crève-cœur, à devoir quitter une maison, le village des champs où l’on vivait depuis 20 ou 30 ans. La grande différence étant que les soldats du contingent, pas les généraux, les troufions, semblent être plutôt du côté du colons. Là est le danger.

15 / 27 février 2006 : voyage en Israël de Claude et Françoise : 126 photos.

8 juillet 2007

Le livre de Morin sur le judaïsme et la modernité (2006) m’a au contraire plutôt déçu. Et souvent irrité. La première partie, ce parcours à vol d’oiseau de 3000 ans d’histoire du peuple juif m’a paru un peu superficiel, un peu tendancieux, avec cet entêtement à employer ce néologisme qui ne veut pas dire grand-chose, judéo-gentil, avec cette jouissance assez juive d’ailleurs à trouver des juifs partout, pardon des judéo-gentilsou des marranes partout où il s’est fait quelque chose d’important, Montaigne, Cervantes, Christoph Colomb, les jésuites, les communistes, les francs-maçons, les gangsters, les escrocs, les savants, les banquiers et les explorateurs. La seconde partie de l’ouvrage, ce tableau du judaïsme aujourd’hui, où Israël est totalement diabolisé, joue le rôle du grand méchant, à la fois borné, cruel, oppresseur, quasi nazi, m’a plutôt dérangé : j’ai envie après lectures de voter Likoud ou plus à droite encore. Il y a en fait chez Morin, pas seulement chez lui, un problème clinique, à psychanalyser comme s’il n’avait pas encore réglé son œdipe. J’ai beaucoup d’amis juifs qui vivent au Golan, en diaspora, ils sont raisonnablement juifs, certains totalement assimilés, d’autres continuent à suivre certains préceptes, les fêtes, la circoncision, d’autres enfin comme mon ami Raphael observent tousles préceptes. Vis-à-vis d’Israël leur attitude est plus ou moins équilibrée, se réjouissant de ses succès, inquiets quand il est en danger, critiques quelquefois acerbes. Jacques Harbonn m’avait dit un jour à quel point il avait été mal à l’aise le jour du match de foot France Israël au Parc des Princes : il ne savait plus avec quel camps s’identifier. Morin lui, semble régler un contentieux, ne pardonne pas de ne pas vivre en Israël, de ne pas avoir choisi quand c’était possible et à la mode, et ne pardonne pas à Israël d’être ce qu’il est, avec ses faiblesses, ses stupidités, sa vulgarité, sa violence, mais aussi son goût de (sur)vivre ; il me semble que dans la situation tragique où se trouve le Moyen-Orient les responsabilités sont au moins partagées. Bon tout cela c’est de la psychologie à deux sous. Je vous embrasse.

Cette lettre est la dernière échangée avec Roger : toutes les années suivantes, jusqu’en 2021, c’est par téléphone, devenu un produit bon marché, que nous avons échangé. Il ne reste donc pas de trace. A l’époque, la lettre permettait plus de nuances, parfois plus de profondeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Salut François!

Géographie des airs, François Durand-Dastès, 1969, collection Magellan N° 4, 275 p.

François Durand-Dastès nous a quitté en décembre 2021. J’ai mis quelque temps à retrouver, dans les rayons mal classés de « géographie générale » de ma bibliothèque (problèmes urbains, ruraux, naturels ?), son livre Géographie des airs, dernier volume de « géographie générale » de la collection Magellan, aux Presses universitaires de France, en 1969. Cette collection, dirigée par Pierre George, comporte initialement 30 volumes, donc essentiellement des petits manuels qui couvrent le monde entier en une sorte de Géographie universelle.

Les géographes de notre génération, en France, en début de carrière autours 1968, se préoccupaient de boucler au plus vite leur « thèse de doctorat d’État », moyen d’accéder aux postes de professeurs de l’enseignement supérieur. Au plus vite, c’était au moins une dizaine d’années le plus souvent. Les volumes de Magellan était donc pris en main par des collègues plus vieux, déjà arrivés. Trois exceptions pour Pierre Gentelle (Chine), Yves Lacoste (sous-développement), François Durand Dastès (géographie des airs).

Prendre en charge un petit manuel était un travail léger pour qui puisait dans ses propres dossiers professionnel, dans sa spécialité. Il est clair que pour plus du tiers de sa Géographie des airs, François a dû explorer des champs totalement extérieurs à son domaine scientifique, les climats du monde. Il commence par une mise à jour claire et concise de ce qui avait été le gros livre de Maximilien Sorre, Les fondement biologique de la géographie humaine, 1943. Un ouvrage à l’époque très original, mais aussi indigeste par sa taille que par l’accumulation de fiches successives. François poursuit avec les problèmes essentiellement urbains de pollution atmosphérique, à peine abordés en France : hors de Londres et Los Angeles qui s’en souciait alors ? Il continue avec les transports aériens, encore un problème lié aux grandes métropoles du monde, mais qui concernait une très minces couche de privilégiés et restait encore comme un sous-produit de l’activité militaire de la seconde guerre mondiale et de la guerre froide qui en avait pris le relais. Il conclut avec le monde des télécommunications et de la naissance des communications de masse, pour montrer le développement de l’usage, voire de l’encombrement, de l’atmosphère par les besoins de la radio et de la télévision, en signalant que des engins appelés satellites de télécommunication viennent de naître au dessus de l’atmosphère et qu’ils vont peut-être changer la donne, là aussi en connexion avec les besoins militaires. Toute une géographie entièrement nouvelle de la technologie du monde « développé » où s’affrontent Etats-Unis et Union soviétique.

François publie ce livre à 39 ans. Maximilien Sorre avait lancé le premier tome de ses Fondements de la géographie humaine à 63 ans, pour conclure le dernier volume à 72 ans.

Peu nombreux en 1969 étaient ceux qui utilisaient le terme de systémiquepour exprimer l’explication des phénomènes géographiques. François s’y lançait tranquillement.

Pour moi, parallèlement à la géographie des réseaux administratifs, celle des communications de masse a formé un chantier que j’ai voulu explorer dans les années 1970, avec peu de succès et peu de continuité, mais le livre de François me confortait dans l’idée que c’était un thème légitime au sein de la géographie.

 

 

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Le choc des décolonisations, Pierre Vermeren

Le choc des décolonisations, Pierre Vermeren Odile Jacob, 2015

Livre qui dérange par ses rapprochements d’événements éloignés mais comparables, par une vue de spectateur sans engagements ou illusions en faveur des Etats post-coloniaux. Pour un si large panorama de l’histoire du « Tiers-Monde » des années 1950 aux années 2015, l’auteur ne pouvait éviter des mélanges entre survols rapides et flashs examinant de près les événements qui pour lui sont essentiels. Ce connaisseur du Maroc et du Maghreb étend son panorama à l’ensemble de l’Afrique francophone, y compris le Congo ex-belge, pour rappeler ce que l’on aimerait souvent oublier. Ainsi les millions de morts de la longue guerre civile congolaise, ou les boutades de Chirac (« ne cherchons pas à éviter le truquage des élections par des chefs d’Etats qui sans cela cesseront toute élection »).

C’est sur le Maghreb que le livre est le plus cohérent, pour montrer comment fonctionne l’osmose des élites locales avec la France, les larges ombres et les quelques lumières qui éclairent ces sociétés fragiles

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Serveyrole : cinq candidats au prix de Coup de soleil, 10 octobre 2021

Bibliothèque Serveyrole 10 octobre 2021

Nous étions 14 dans le salon de la Bibliothèque Serveyrole à Toulouse pour la présentation des cinq romans en compétition pour le « prix des lecteurs » Coup de cœur de Coup de soleil. Réunion d’autant plus chaleureuse qu’elle permettait de renouer avec une pratique interrompue en 2020 pour cause de pandémie. Claudine, Françoise, Isabelle, Jacqueline, Yasmina avaient pour interlocuteurs un public d’autant plus averti que certains connaissaient déjà plusieurs des livres présentés :

Aussi riche que le roi (Abigail Assor)

Dans les yeux du ciel (Rachid Benzine)

La petite dernière (Fatima Daas)

Le tailleur de Relizane (Olivia Elkaim)

Noces de jasmin (Hella Feki)

C’est au printemps 2022 que sera organisé entre les lecteurs, souvent organisés autour de librairies et bibliothèques, le vote pour décerner le prix à l’auteur qui sera invité à présenter son livre.

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