La BD, outil politique, de l’Afghanistan au Liban

La BD, carnet intime, carnet de bord – Barrack Rima, Noémie Honein, Brice Andlauer, Pierre Thyss

https://www.youtube.com/watch?v=d71suQLUg_E

Présenter ces trois ouvrages ensemble en une séance du MODEL 2021 n’a certes pas permis un vrai dialogue entre leurs auteurs, mais le public a pu se convaincre que la BD est au delà de « l’amusement » un art du journalisme, de l’histoire, de la politique. Certes écouter les auteurs ne permet pas de savourer des dessins. Mais comprendre la genèse de ces livres est passionnant.

Brice Andlauer et Pierre Thyss ont enquêté sur le sort des traducteurs employés par l’armée française de 2001 à 2012 en Afghanistan : problèmes d’exil, de reconnaissance. Quelque 250 ont pu émigrer en France, 60 essayaient en juillet 2021 de partir, déjà en passant par le Pakistan, incontournable. Le traitement des dossiers ne cesse d’être très aléatoire. Une avocate, Caroline Decroix, anime une association qui assure la défense de ces traducteurs. Les auteurs, journalistes, à partir d’un dossier de politique internationale, ont abouti à un témoignage visuel sur l’histoire des protagonistes. Ils ont appris l’usage de la BD par un travail artisanal collectif.

Rima Barrack  (Dans le taxi) nous donne un récit urbain situé à Tripoli  (Liban), mélange de rêve au passé et au présent et de description dans un taxi collectif : un lieu clos privilégié depuis lequel on regarde la ville ; pour composer une histoire personnelle du Liban, la BD documentaire est une expérience qui permet de dire ce que parfois le texte ne peut exprimer. L’auteur en est à son troisième ouvrage : le premier en 1995 (fin de la guerre civile), le second en 2015 (moment d’un fragile espoir jusqu’en 2019). Dans cette fiction les « puissants » qui détruisent le Liban sont représentés comme des extra-terrestres.

Libanaise elle aussi, Noémie Honein, en une autobiographie qui va des douleurs de la maladie à la renaissance, compose un langage graphique de la joie et de l’humour, s’adressant avec rigueur et pédagogie pour faire comprendre le Liban à un public français. Son livre représente une longue trajectoire professionnelle par Angoulême, Colomiers, Toulouse. C’est le dialogue au bistrot qui permet l’expression.

 

 

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Au MODEL 2021: Etre palestinien aujourd’hui

On peut « participer » au Model 2021 qui s’est tenu les 10/ 11 juillet à l’Hôtel de ville de Paris en regardant sur youtube les vidéos qui sont maintenant en ligne. La prouesse de cette manifestation « atypique » est à souligner, même si le public a réuni « seulement » quelque 1000 personnes en 2021 au lieu de 15000 en 2020.

: https://www.youtube.com/watch?v=d71suQLUg_E

https://www.youtube.com/watch?v=NX-iHzt4RYU

https://www.youtube.com/watch?v=74IRXtMGwnM

https://www.youtube.com/watch?v=uLDmDgo7nCM

https://www.youtube.com/watch?v=UtimvDGJd3U

https://www.youtube.com/watch?v=Wb3kkljcxtc&t=23s

https://www.youtube.com/watch?v=qzxdMNNIlxU

En attendant que le site web de Coup de soleil comme celui de l’IREMMO accueillent ces manifestations, nous commençons à les commenter.

Alain Gresh- Le fatah, la révolution palestinienne et les juifs, video de 39 minutes au MODEL 2021, carte blanche. https://www.youtube.com/watch?v=NX-iHzt4RYU&t=813s

Dialogue auquel Leïla Shahid n’a pu participer. A propos de la réédition (avec préface de Alain Gresh) du livre publié par Jérôme Lindon aux Editions de minuit en 1970 sous le titre La révolution palestinienne et les juifs. Sous la responsabilité de Mahmoud Amshari.

Alain Gresh cite une lettre de 1993 de Abraham Sarfati sur le sujet de ce livre, qui avait reçu un appui mesuré de la LICRA, maintenant très loin de ces positions.

Le livre se situe peu après l’énorme échec, en 1967, de la « coalition arabe » contre Israël. C’est le moment où le Fatah acquiert sa légitimité pour défendre les Palestiniens, à l’époque essentiellement par la lutte terroriste « révolutionnaire ». Certes il s’agit d’une lutte armée, mais aussi de la première prise de conscience côté palestinien qu’il va falloir un compromis avec un Etat juif fort de 3 millions de colons. La base serait un Etat tri-confessionnel (et non laïc), qu’on peut comparer avec la solution sud-africaine (bien plus tardive) de fin de l’apartheid.

Actuellement, après l’échec des accords d’Oslo, seule la solution d’un seul Etat est envisageable, mais quel Etat ? Un Etat où l’on met fin à l’apartheid, donc un combat de droit international.

Alain Gresh répond d’abord à une question évoquant la naissance de l’Iraq et la manipulation, essentiellement par le Royaume uni, d’un système colonial au Moyen Orient. Oui l’Etat d’Israël est un Etat colonial et pas un Etat de droit, tout comme les Etats coloniaux nés au XIXe siècle, puis pour l’Iraq en 1918. On doit se souvenir qu’encore en 1918, voire en 1945 « faire colonie » était politiquement « normal ». Le mouvement sioniste dès sa naissance est fondateur d’un futur Etat colonial, pour lequel la propagande est facile à mener, y compris auprès de l’Union Soviétique. La légitimité de cet Etat israélien est confortée actuellement par le consensus international dans la lutte contre le terrorisme, problème mondial.

La lutte palestinienne actuelle est de promouvoir au sein de l’Etat colonial israélien un Etat civil, non confessionnel (et non laïc : ce concept est strictement français, absent ailleurs en Europe…) et la revendication des nouvelles générations en Palestine depuis les printemps arabes est d’avoir des droits égaux, face aux répressions co-gérées par les polices d’Israël, du Fatah et du Hamas.

 

 

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Coup de soleil Marseille: autour du rapport Stora, juin 2021

Des discussions informelles sur ce rapport ont agité notre section toulousaine à la fin de 2020 http://cds-mp.e-monsite.com/forum/le-rapport-stora-et-ses-suites/ ; La séance « en video » à Marseille a été d’autant plus importante qu’un texte synthétique en a été tiré http://alger-mexico-tunis.fr/wp-content/uploads/Rapport-Stora-Resume-conference-Marseille-19juin2021.pdf

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Maghreb et catastrophes… pas si naturelles : se mobiliser et analyser

Tremblements de terre, inondations, incendies de forêts, pandémies : volonté de Dieu ? manifestations naturelles inéluctables ? A nous, dans notre groupe de Coup de soleil, d’aider avec modestie, mais aussi d’essayer de comprendre. Deux exemples :

Les incendies de forêts de l’Est algérien en aout 2021, une catastrophe naturelle ? Oui, bien sûr, mais si l’Algérie souffre, le nord du Maroc et de la Tunisie sont aussi atteints, mais sans catastrophe majeure. Au même moment la Grèce, la Sicile, la Calabre, en France les Maures, connaissent aussi chaleurs et sècheresses exceptionnelles. Alors nous nous mobilisons : déjà des centaines d’euros collectés en une semaine et à vous aussi de cliquer sur Helloasso pour verser votre contribution. https://www.helloasso.com/associations/coup-de-soleil-midi-pyrenees/formulaires/1

Mais quelles forêts et quels maquis sont particulièrement touchés ? Sans doute là où on laisse proliférer les broussailles abandonnées. Souvenons nous qu’en Kabylie plus qu’ailleurs l’armée française en guerre d’Algérie a imposé des zones interdites qui après 1962 n’ont jamais été réoccupées par les villageois : plus de bétail, plus d’arbres fruitiers, plus d’aménagement des versants, plus de maisons. Est-ce que ce sont les zones les plus touchées ? On va chercher à savoir…

Que savons-nous du COVID 19 au Maghreb ?Peu d choses. D’abord que les confinements ont affecté avant tout les couches populaires des villes, ceux qui n’ayant de quoi payer qu’au jour le jour achètent aussi de quoi vivre chaque jour au hanoutle plus proche : ils dépendent du crédit qu’on leur fait : comment fonctionnent les « corporations » de commerçants issues de Djerba (Tunisie), du Mzab ou du Souf (Algérie) du Sous (Maroc) ? Que sont les réseaux associatifs et caritatifs et comment pouvons nous les aider ?

Mais il faut aussi interroger ceux qui connaissent la circulation de la pandémie. Les statistiques de contaminations sont extrêmement incertaines, selon des capacités de test très dissemblables selon les trois pays mais plus encore selon les régions de ceux-ci. Il est clair que les chiffres de décès cumulés (au 15 aout 2021) annoncés sont sous évalués : beaucoup plus sous-évalués au Maroc (11000) qu’en Tunisie (20000) et infiniment plus encore en Algérie (4000). Sans doute les seuls chiffres proches de la réalité concernent la proportion de la population vaccinée. Aucun Etat n’a intérêt à sous-évaluer ce chiffre et inversement des annonces fausses et triomphalistes seraient vite démenties, car la capacité réelle de se procurer les vaccins et de mettre en place la vaccination ne s’invente pas. Alors donnons le chiffre de la proportion de population vaccinée (première dose semble-t-il) au 15 aout 2021 : Maroc 45%, Tunisie 29%, Algérie 8%. A nous maintenant de comprendre ce qu’est pour chaque Etat la capacité de se procurer les doses (quel vaccin, donné ou vendu par qui?), la capacité de les appliquer (à quels endroits ? à quel rythme ?), la capacité de convaincre les population de se faire vacciner (qui a plus peur du vaccin que de la maladie, pourquoi?). Que peut l’aide internationale pour la vaccination ?

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Model 2021 Programme

Le Model 2021 a réussi dans l’urgence à monter un programme… qui vous intéresse. Merci Georges, Jean-Baptiste, Mourad, l’équipe de l’IREMMO  et tous ceux qui  ont collaboré. Venez nombreux à l’Hotel de ville de Paris… et bonne visite

Cliquer pour accéder à Document5.pdf

 

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2021: Mémoires coloniales, Nora Stora

Mémoires coloniales[et autres textes : Jeunesse], Pierre Nora et Benjamin Stora

Ce livre à deux voix (février 2021) est tiré d’une conversation orchestrée par Alexis Lacroix. Deux propos en parallèle, plutôt qu’un dialogue serré. On y comprend que la mémoire coloniale de l’Algérie est centrale pour la France, aussi présente que niée. « Les Français voient moins l’islam comme une religion (ce que sont catholicisme et judaïsme) que comme une culture qui suppose un certain rapport hommes/ femmes, une certaine articulation du public et du privé. […]. Il y a « chez les français de souche ou ceux issus d’autres immigrations] un procès en illégitimité permanente des immigrés post-coloniaux de culture musulmane, [immigrés depuis un demi-siècle], les percevant comme des étrangers nouvellement arrivés » (ces propos de Stora sont repris textuellement par Nora).

Ce procès en illégitimité était fait déjà à ceux que l’on considérait comme des sujetsau temps de la colonisation : ils n’étaient pas légitimes à rester là (notons qu’aux mêmes moments les Tunisiens étaient des sujetsbeylicaux, les Marocains des sujetschérifiens… mais légitimes à « rester là »).

« La précocité de l’installation coloniale en Algérie […] par une colonie de peuplement, expérience inégalée dans l’histoire coloniale, aura des répercussions sur toute l’immigration post-coloniale ». Car l’immigration algérienne est politisée en France dès les années 1930, et elle est la force principale du FLN (par sa contribution financière) dès les années 1958 ; elle est en dissidence permanente par rapport au pouvoir militaire algérien qui se constitue alors.

Plus récent, sur des thèmes proches, Décolonisations françaises, la chute d’un empire, Pascal Blanchard (avec Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire, Benjamin Stora, Achile Membe), La Martinière

Paru presque en même temps Jeunesse, de Pierre Nora, donne quelque pistes sur ses deux années de professeur de lycée à Oran, sans que s’éclaire ce que fut son « service militaire » en ces années où c’était un problème pour tous les garçons de sa génération. Ses quelque rapports ave Jean Dresch sont aussi peu précis : il enjolive évidemment les performances de randonneur de celui-ci. Bien plus passionnants sont ses récits sur sa vie d’enfant dans l’exode de 1940 jusqu’à la frontière espagnole, puis à Grenoble et plus encore dans le Vercors.

 

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IMA Mai 2021: réouverture, Divas

Divas

L’IMA rouvre ses portes ave une exposition féministe. Des années 1920 aux années 1970, des femmes se sont émancipées de leur milieu familial pour devenir chanteuses ou actrices, depuis la naissance du disque de musique et du film. Elles sont présentes aussi dans les cabarets où elles se produisent et dans les salons littéraires qu’elles organisent. Ces formes de modernité font la gloire du Caire, de Beyrouth, voire d’Alger, mais la célébrité mène ces femmes dans toutes les capitales de l’ « Occident ».

L’exposition nous donne une profusion de vidéos, d’affiches de films, de pochettes de disques et nous fait entendre la voix de ces « divas, parmi lesquelles peu vivent encore. Les puritanismes qui ont pris en main ces sociétés « arabes » ont restreint ces espaces de modernité. Ils ressurgissent bien sûr sous des formes dont on espère que l’IMA nous montrera les espérances.

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Sahara algérien, film 143 rue du désert

« 143 », est-ce le kilométrage de la route? Sans doute… Quelle route? sans doute Ouargla- Tamanrasset…

En tout cas l’idée même de rue est ici problématique. Vaste sol plat caillouteux (on dit « reg’) et à l’horizon des dunes (ou dit « erg »). L’héroïne  (Malika « la reine ») est presque toujours immobile dans sa masure: son logis et la boutique où elle vend de quoi boire et manger. Sans doute vend-elle aussi du carburant? Elle se plaint d’avoir été chassée (par qui? quand?) d’une bourgade vraiment urbaine. Elle prétend que le chantier en cours du Kabyle qui va installer une « vraie » cafétéria avec station-service ne l’inquiète guère: c’est elle qui connait la clientèle.

Sa vie est faite de longues conversations avec des voisins improbables. Avec l’un d’eux ils se donnent du « hadj » et « hadja », sans doute par plaisanterie. Elle accueille avec le même calme les camionneurs, policiers, militaires, quelques voyageurs qui vont à leurs affaires et même une touriste. Elle ne sait pas lire, mais s’intéresse aux affaires du monde et comprend le français et l’anglais.

Un film lent et prenant, roman d’une vie minuscule et document irremplaçable sur la manière de vivre sur une route saharienne.

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200 mètres… ou la vie quotidienne dans un non-Etat

200 mètres…

Dans ces collines, c’est la distance, coupée par un mur dans le vallon, entre les deux domiciles d’un couple palestinien dont la femme est de nationalité israélienne.

Le film nous raconte la vie quotidienne dans un double non-Etat. La ligne de démarcation interne à la France était linéaire, stable, et n’a duré que de l’automne 1940 à l’automne 1942. Elle a cependant été contournée, franchie, par tous ceux pour qui cela était nécessaire à leur survie. Les lignes et murs qui « unissent » Israël à ses voisins (principalement « Palestiniens », mais aussi quatre voisins « extérieurs »), sont perméables, changeantes au gré des investissements israéliens en terres à coloniser, en barbelés, en béton pour les murs et les routes. C’est maintenant la quatrième génération qui vit ce monde de lignes.

Pour un Palestinien, c’est au quotidien qu’il faut franchir les lignes pour sa vie familiale, sa survie dans le travail. Chaque passage donne la peur au ventre, même quand on est « en règle ». Prétendre que « Musulmans » et « Juifs » sont sur cette terre (qui fut la « Palestine ») deux peuples séparés est hors de propos : inextricablement, les uns et les autres sont condamnés à une vie commune. Le film en montre la modernité, la drôlerie en même temps que la colère de tous, la rouerie des passeurs maffieux, la bêtise (mais parfois même la gentillesse) des petits chefs si contents de leur petit s pouvoirs.

Pas un film bon enfant, mais c’est souvent chaleureux et drôle plus que dramatique : des tensions douloureuses qui frisent l’insupportable, et finalement quelques fractures soignées dans un hôpital qui semble compétent…

Film réalisé par Ameen Nayfeh avec Ali Suliman, Anna Unterberger.

 

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Des hommes, film après le livre

Film vu à Muret en avant première le 29 mai 2021. Le roman à l’origine du film a plus de dix ans (2009). Ce film intense, ce livre si dur, sont l’homologue du livre de Raphaelle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » http://alger-mexico-tunis.fr/?p=296

A l »époque l’auteur du livre n’avait pas été reçu au Maghreb des livres: trop loin des préoccupations de Coup de soleil à l’époque? A Grenoble, récemment, Coup de soleil a été participant au lancement du film. C’est le président toulousain de la Ligue des droits de l’homme qui assure le commentaire du film dans la salle de Muret : cet homme de 80 ans présente cette histoire de la guerre d’Algérie (1954/ 1962) en train de sortir des mémoires vivantes de nos concitoyens, comme les guerres précédentes (1914/ 18 ou 1939/ 45). Certes les scènes de la guerre, atroce, ne sont plus dans la mémoire directe que d’une poignée de nos concitoyens. D’autres films, en fait nombreux, nous ont déjà donné ces images. http://nezumi.dumousseau.free.fr/film/filmguerrealgerie.htm Mais le livre, comme le film, parle essentiellement des souvenirs gravés, enfouis, dans la tête du héros et de ses proches. Personne n’a presque jamais parlé de rien. Sa sœur a gardé précieusement ses lettres, où seule la face racontable de la vie militaire était racontée. Certes la Ligue des droits de l’homme, née de l’Affaire Dreyfus, a raison de soutenir que l’honneur de l’armée française est de dire ses fautes quand nécessaire. Mais ce qui importe ici, c’est de dire ce que fut la vie de toute une classe d’âges, les garçons français nés entre 1928 et 1943 (« rappelés », « appelés », « engagés volontaires »… sans oublier ceux qui avaient la chance de ne pas « y aller » ou craignaient d’y aller bientôt). Et parmi les garçons de ces âges, certains étaient des « sujet français de confession musulmane », futurs citoyens algériens, confrontés aux mêmes peurs (être enrôlés dans l’armée française, déserter, être enrôlés par le FLN ou le MNA). Des jeunes Soviétiques ont été confrontés eux aussi à l’obligation militaire en Afghanistan, comme des jeunes Etatsuniens au Viet Nam, mais sans qu’on leur dise que c’est dans et pour leur propre pays qu’ils allaient combattre. Peu de jeunes Français doutaient alors de ce que le service militaire soit un passage obligé pour devenir un homme. Ce « service » particulier, dans la violence et la peur, était aussi la découverte des Autres : les notables musulmans, anciens de Verdun, ou les filles pieds-noires. Ou tout simplement dormir avec vue sur la baie d’Alger, avec sa chambre à soi pour la première fois de sa vie.

Ces jeunes hommes n’ont pas dit ce qu’était leur « guerre » sur le moment, mais pas plus pendant de longues décennies. Plusieurs raisons à cela : sur le moment, ils sont tous reliés au monde « normal » quotidiennement, parce qu’ils ont une radio transistor, si bien qu’ils sentent particulièrement clairement que le monde de la peur où ils vivent est « anormal ». Dans les décennies suivantes, où l’obligation du service militaire se transforme complètement pour disparaître ensuite, comment dire aux cadets, puis aux enfants qui sont « coopérants » ou « objos » s’ils veulent éviter le « service », que eux « appelés » n’avaient pas d’alternative imaginable, sauf à déserter ? Comment parler de « ma guerre » (que j’ai perdue et non gagnée) à des anciens qui « ont gagnée » leurs guerres ou à des jeunes qui vivent dans un monde où la guerre a disparu ?

Lire le livre après avoir vu le film n’est pas simple. Le livre est beaucoup plus dur que le film, parce que le récit haché donne beaucoup plus de détails insoutenables sur les souvenirs des bidasses, alors que film met en scène beaucoup plus de souvenirs précieux d’un pays vécu, qui a existé, et qui existe toujours.

Dans le livre, la tension ne cesse de monter : au départ on est dans la grisaille du village où les gens de soixante ans gèrent des tensions qui se renouent sans cesse, vers l’an 2000. Ce n’est que progressivement que le lecteur est envahi par les souvenirs des jeunes hommes de vingt ans, aveuglés par le soleil d’Oranie. Le film a dû choisir des scènes moins nombreuses pour leur consacrer au moins quelques minutes, alors que le même souvenir dans le livre tient en une phrase.

Quelques phrases retenues :  « P 86 Au village, c’est en 1979 qu’on a vu pour la première fois un couple d’arabes, [même si Chefraoui est là depuis longtemps, tout simplement].  P 202 Il pense aux Algériens. Il se dit que depuis qu’il est ici il ne connaît que la petite Fathia, pas même ses parents, que la population est pour lui comme pour les autres une sorte de mystère qui s’épaissit de semaines en semaines et il se dit que, sans savoir pourquoi, sans savoir de quoi, il a peur. P 241 Est-ce que c’est la même trouille qu’à Verdun ou en quarante ou comme toutes les guerres ? »

C’est Isabelle qui m’envoie le lien du dialogue avec le cinéaste dans La Croix… https://www.la-croix.com/Culture/Lucas-Belvaux-Je-voulais-apporter-regard-apaise-guerre-dAlgerie-2021-06-01-1201158770?fbclid=IwAR3h1P5wGR9WM_4Sq3Cd9v5KQWtoh9bJaDEO8VEOZfGVYFnEBdmKL1tXx28

 

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