Foot, le couple algéro- français, à propos des Fennecs, avec Célia Sadai
Au Mondial de juin- juillet 2014 : pour un béotien, savoir que l’Algérie est « montée » en 8e de finale et la France en quart de finale ne dit pas grand chose. Je sais seulement que certains ont rêvé d’un match Algérie/ France, que les explosions de joie devant les succès algériens ou français ont été plus consensuelles, en Algérie comme en France, que les épisodes agressifs (même si c’est lors de succès algériens que des voitures ont brulé en France).
Pour moi l’essentiel est que tout un chacun souligne la part des franco-algériens dans l’équipe d’Algérie ; comme la part des algériens dans les équipes françaises depuis fort longtemps, avec des héros sans cesse remémorés. Et le reportage du Monde (Serge Michel le 7 juillet 2014) à Bondy, où pour parler de l’équipe de France on passe du « ils » au « on », où les beurs disent que « les Allemands, ça c’est des crapules qui me font peur ». Le Bondyblog dit que « l’Algérie a perdu deux fois contre l’Allemagne [quand la France perd] », et que « le drapeau de la France aurait sûrement été agité partout en cas de victoire, et par des binationaux […] montrer qu’on est fier de sortir le drapeau algérien quand l’Algérie gagne, parce que c’est le pays de nos parents, et de sortir le drapeau français quand la France gagne, parce que c’est notre pays ». Le couple algéro-français peut être conflictuel, parce que c’est un couple, depuis bientôt deux siècles.
Rappelons qu’un héros de l’indépendance algérienne, Boujemaa Souidani, http://alger-mexico-tunis.fr/?p=241 nous est connu en partie grâce à son rôle actif au club de foot de Guelma.
Rappelons plus généralement en quoi le foot est le sport universel (voir le livre et le film http://alger-mexico-tunis.fr/?p=531 les étoiles de Sidi Moumen au Maroc) : tous les gosses du monde, dans un terrain vague, de campagne, de quartier ou de banlieue, avec une pelote de chiffon, peuvent taper la shoot, devenir virtuoses, apprendre l’esprit d’équipe, devenir les héros du village, de la rue, du quartier, à qui ils donnent son identité face aux rivaux et voisins, avec souvent moins de brutalité que d’autres bagarres puisque tout le monde connaît les règles mondialement reconnues du foot, et les applique parfois.
Nous retrouvons le thème grâce à Rue 89, cité en revue de presse du 7/ 9 de France Inter à 8h 38 le vendredi 12 septembre 2014
« Izem ma yellouz, ik-chak. « Quand le lion a faim, il te mange ». Tout a commencé par ce proverbe kabyle, posté sur mon profil Facebook avec la photo d’un fennec inoffensif au pelage couleur de drapeau d’Algérie. Ma façon d’encourager une équipe en laquelle je ne croyais pas vraiment, parce que comme tout supporter de la Copa, j’avais les yeux tournés vers les équipes du Brésil, de l’Espagne, de l’Italie ou de l’Angleterre. Pascal Riché […]
Au cours de la Coupe du monde, Célia Sadai a publiquement soutenu sur Facebook l’équipe d’Algérie, pays dont sont originaires ses parents. Plusieurs personnes de son entourage le lui ont reproché. Elle a donc écrit ce texte pour témoigner du lien particulier qu’entretiennent les « secondes générations » et binationaux à leur pays d’origine.
Célia Sadai, doctorante, travaille pour une thèse à l’Université de Paris IV-Sorbonne sur le concept de « citoyen du monde »… :
La plupart des équipes européennes sorties du championnat, le Brésil s’effondrant petit à petit sous la pression des entraîneurs, des journalistes sportifs et des mouvements sociaux « anti-Copa » – adorateurs de ce petit garçon qui mange un ballon de foot pour le dîner – j’ai commencé à prendre les Fennecs au sérieux.Quatre ans plus tôt, en 2010, j’avais suivi les matches de qualification pour la Coupe du monde en Afrique du Sud. Le soir où les Fennecs se sont qualifiés (la première fois depuis 32 ans), nous avons fait un tour de la Place de Clichy à Barbès (Paris), en klaxonnant comme des petits fous. J’ai passé ma tête hors du toit ouvrant de la Smart de mon ami pour scander avec un accent emprunté mon premier « One. Two. Three. Viva L’aldjiri ! ».
A l’époque, comme aujourd’hui, j’étais en quête d’un moment symbolique, d’un moment d’inversion de l’ordre du monde. Je voulais voir gagner une équipe africaine. Mi-marxiste, mi-fanonienne, j’espérais l’inversion de l’état de domination, selon l’idée qu’être le meilleur sur un terrain de football, c’est déjà être le meilleur quelque part. Un premier lieu de réussite, une bataille non armée, des règles du jeu identiques des deux côtés : voilà de quoi nourrir symboliquement d’autres victoires en d’autres lieux.
La Coupe du monde 2014, je l’ai vécue pour la première fois en tant que binationale, ayant acquis récemment la nationalité algérienne. J’ai exprimé mon soutien sur Facebook, j’ai posté la photo du petit fennec. Et j’ai dérangé une partie de mon entourage, désarmé face à la complexité de mon identité bicéphale, désormais perçue comme un aveu public de désamour pour la France […]
Fille d’immigrés algériens de Kabylie, j’ai nourri un rapport particulier à mon pays d’origine – le privilège des « secondes générations ». Enfant, je n’ai pas connu l’Algérie parce que mes parents ne reconnaissaient plus leur pays, défiguré par des intérêts particuliers et les débuts de la « décennie noire ».
Puis, quand on s’en est pris aux intellectuels – de Tahar Djaout à Matoub Lounès – j’ai compris que mes parents ne pardonneraient pas et que je devrais découvrir l’Algérie par mes propres moyens. Les écrivains algériens ont été mon premier « feu des origines », de Mohamed Dib à Albert Camus, et puis le cinéma de Nadir Moknèche.
A l’âge de 18 ans, j’ai pris des cours de kabyle à Montreuil (Seine-Saint-Denis), car je ne parlais pas ma langue maternelle. Mon premier voyage eut lieu peu après la sortie du film « Exils » de Tony Gatlif, où Romain Duris, fils de pied noir, embarque pour la baie d’Alger découvrir son propre « feu des origines ».
Il y a deux ans, j’ai demandé officiellement la nationalité algérienne. Ma mère n’a pas compris mon choix, convaincue que cela m’attirerait des problèmes car les Algériens sont « la communauté la plus détestée de France ». Ce parcours mené depuis l’adolescence m’avait conduite à devenir algérienne, et non une « algérienne de France ».
L’« Algérien de France » c’est une classe sociale qui équivaut à grandir en HLM sans capital culturel et un capital économique acquis à la sueur du front du chef de famille qui bien souvent s’éteindra prématurément pour cause de fatigue de la vie.
J’ai choisi de devenir binationale pour me mettre à l’épreuve et déconstruire cette place qui m’avait été socialement assignée. Et surtout, pour mettre à l’épreuve la complexité des relations héritées – le sacrifice d’une grand-mère moudjahidine, un grand-père soldat de l’armée coloniale et un père qui ne s’est jamais remis de toutes ses déceptions.
Je n’ai jamais eu à construire le fait d’être française. Lorsque mes amis ont mal réagi à mes publications sur Facebook, ce fut, disais-je, à mon tour de ne rien comprendre. Car à aucun moment il n’a été question de la France dans ma relation footballistique naissante avec les Fennecs. J’ai plutôt été saisie, comme des millions de supporters à travers le monde, par une équipe révélée, par un moment d’inversion où l’espoir se tourne vers de nouvelles possibilités. Et ce moment d’inversion a aussi été une épiphanie pour une communauté trop large pour être communautaire, et trop souvent déçue pour festoyer à Barbès.
Si la France n’a jamais été un tiers dans ma relation à l’Algérie, c’est parce que je n’ai jamais eu à construire le fait d’être française, alors que je ne suis qu’une algérienne en devenir. Je suis naturellement française et culturellement algérienne. Mais j’ai compris en rédigeant ce texte que je n’en ferai pas un combat. Je ne suis pas une « cause ». Je suis, c’est tout.
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