Sept Janvier 2015

 

 

7 janvier, retour sur des semaines sous pression

slide_394012_4818598_compressed Le 7 janvier 2015 est le jour de sortie du livre Soumission de Michel Houellebecq : on y a droit dans Le Monde (avec des photos tragiques de cet homme physiquement ravagé, et qui en joue à plein), où l’on nous dit que c’est le moins bon de ses romans. On y a droit aussi à la matinale de France inter : il joue aussi à plein du désabusement systématique. On y a droit à la Une de Charlie Hebdo, où Bernard Maris nous dit l’importance de ce livre.

Comme tous mes amis, en particulier ceux de l’Association Coup de soleil, mais aussi tous les autres, parce que nous appartenons à un même milieu d’intellectuels antiracistes, je n’ai cessé depuis les massacres à Charlie Hebdo, puis au super marché casher, de m’interroger, au delà de l’émotion et de l’indignation, sur ce que les attentats révélaient sur notre société, en France, et sur ce que les politiques pouvaient et devaient faire, et plus encore sur ce qui était prioritaire de faire pour le cercle de mes amis et moi-même. Et plus loin, nous sommes tous renvoyés à ce qui se passe au Maghreb, au Sahel africain, au Moyen Orient, pour nous apercevoir que nos jugements tranchés se heurtent chaque fois aux violences insupportables qu’il faut certes dénoncer, mais aussi à la complication de situations que seuls ceux qui sont sur place peuvent nous faire comprendre.

Au delà de divergences mineures sur les questions policières et judiciaires de sécurité en France, je constate de fortes divergences d’opinions entre nous sur la nécessité de renforcer une attitude strictement laïque, puisque notre société française, dans son « exception », est très largement marquée par l’irreligion, ou au contraire de nous attacher à mieux reconnaître la part de l’islam et du judaïsme dans cette société où le religieux relève si souvent du non dit.

h_11_ill_4551387_plantucharlieEn Europe, on le sait, la France est le pays dont la population d’origine juive est la plus forte. Ce sont majoritairement des descendants de séfarades algériens, tunisiens, marocains, souvent attachés aux traditions, même s’ils sont largement incorporés à l’irreligion à la française. Moins nombreux, les askhénazes, d’Alsace ou de l’est européen à l’origine, incorporés à la nation française depuis plus longtemps, ont des descendants plus largement encore incorporés à l’irreligion à la française. On évalue les juifs en France (plus ou moins pratiquants) à 700 000 personnes, soit 1,2% de la population. Mais vues les innombrables unions entre chrétiens et juifs intervenues au cours des siècles, beaucoup, qui ne sont ni l’un ni l’autre, se souviennent de quelque arrière grand parent juif dans leur famille (à côté d’arrières grands parents chrétiens plus nombreux). Ces « métis » sont sans doute deux ou trois millions.

La France est aussi le pays dont la population d’origine musulmane est la plus nombreuse en Europe (en proportion comme en chiffres absolus : on parle de 6 millions de Français musulmans, soit 10%). Nul ne sait parmi ceux-ci combien sont « pratiquants » ni comment cela se définit. Si on « descend » sur trois générations, en incluant tous ceux qui se sont « mélangés », tout comme pour les juifs, il faut sans doute y ajouter un ou deux millions de gens. Population parfois largement détachée de ses origines nationales ou religieuses et largement laïcisée « à la française ».

Ces unions interreligieuses ont souvent été stigmatisés sur le moment au sein des familles, puis celles-ci, par prudence, ont oubliés, c’est-à-dire enfouis dans les mémoires, ces unions insolites ou banales. Plus elles seront remémorées, plus la laïcité à la française confortera son fondement réel, parce que les non dits confortables finissent toujours par ressortir.

Tous les commentateurs soulignent qu’à l’école il faut mieux enseigner « le » fait religieux français, c’est-à-dire les racines religieuses plus ou moins anciennes comme les pratiques actuelles de tous. Qui sait quelle part du public des écoles libres « catholiques » est composé d’enfants de musulmans ? Qui sait quelle part de ceux qui meurent en France disparaît sans cérémonie religieuse, au cimetière ou au crematorium ? De ceux qui meurent en France et sont inhumés ailleurs, dans la terre de leur religion ? En France, six jours de congé légaux sur onze sont liés au christianisme. Qui est prêt (par ajout ou par remplacement ?) à donner dans ce calendrier festif leur place à l’Aïd el Kebir et à Yom Kipour ?

Tous les commentateurs soulignent aussi que le terreau du terrorisme se trouve dans les innombrables quartiers urbains devenus des ghettos, non pas au sens religieux, mais au sens de lieux stigmatisés pour l’abondance du chômage, pour le règne de maffias gérant essentiellement des trafics de drogues, quartiers où l’armement est de plus en plus lourd. C’est là que la « discrimination positive » dans l’éducation (ZEP) est indispensable, en n’espérant de résultats importants qu’en plusieurs années. Mais quel urbanisme permettra d’éliminer la ségrégation urbaine elle-même ? Comment convaincre systématiquement des familles de classe moyenne de rester ou de venir se loger dans ces ghettos, où le parc de logement public du type HLM est abondant ? Comment procéder au sein des quartiers « beaux » ou « moyens », en pavillons ou en immeubles, à l’achat par les communes d’une proportion notable des logements pour que sous statut HLM elles y logent des familles vivant actuellement en ghetto ? Une telle politique urbaine, nulle part amorcée actuellement, prendra(it) bien sûr des années, mais elle seule peut changer profondément la tendance actuelle vers plus de discriminations.

Le terreau de la terreur est donc en partie dans les ghettos. Mais il est aussi dans les pays où certains sont horrifiés par notre laïcité à la Française, en fait exceptionnelle dans le monde. Quelle est la part du religieux et celle du politique dans cette opposition à la laïcité ? Ce mixte politico-religieux autre que la laïcité existe en terre chrétienne, le plus souvent sous une forme très tolérante : des souverains en Europe du nord confortent leur légitimité en s’appuyant sur la religion (protestante) dont ils sont le chef. Ce politico-religieux est plus pesant en terre juive, souvent plus encore en terre musulmane. Pour cette dernière, de nombreux Etats affirment leur fondement religieux, à des degrés très variés et avec des conséquences légales allant du statut des rapports femme/ homme, jamais égalitaire, à l’interdiction du blasphème.

Parmi ces Etats, certains n’ont guère de fondement « national », c’est à dire de cohérence au delà d’un groupe restreint qui y exerce un pouvoir autoritaire (Yemen, Syrie, Libye entre autres, mais aussi Sahel africain). Ce n’est pas par hasard que les pseudo-Etats où le politico-religieux atteint l’horreur caricaturale se situent au Sahel africain (Boko Haram, AQMI au Mali) et en bordure de la Syrie et de l’Irak, véritables boutiques à terrorisme. On s’inquiète en Europe de ce que ces boutiques y recrutent leurs adeptes par centaines et non plus par dizaines. Du coup on oublie que dans tout le monde musulman les adeptes d’une croyance politico-religieuse sont déçus en grand nombre et que se multiplient ceux qui découvrent que la politique, c’est de vivre en faisant respecter ses droits : c’est spectaculaire en Tunisie, mais très présent ailleurs au Maghreb comme dans de nombreux pays du Moyen Orient, dont l’Iran. Cet espoir nous aide à dénoncer la nuisance de certains Etats qui manipulent le religieux, musulmans souvent, mais sans oublier, à des intensités variées, les gouvernements israéliens (pour la religion juive), celui de Bush après le 11 septembre 2001 (pour un christianisme « protestant »), ou actuellement Poutine (pour un christianisme orthodoxe), parmi bien d’autres.

C’est dans cette tempête qu’a explosé le sept janvier 2015. Comme bien d’autres, nous avons marché dans Paris, « pour lutter contre le racisme » avant tout. Pour moi, cette lutte passe par la connaissance des sociétés vivantes du Maghreb et de leur passé, que représentent des littératures largement francophones. Notre tâche est de les faire connaître et aimer.

Ces lignes sont écrites à la lecture des innombrables commentaires que les médias ne cessent de nous fournir, et l’événement va continuer à produire ces commentaires qui nous permettent de le penser. Ci-dessous quelques repères, à enrichir à mesure.

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 Le Monde daté du 11 janvier publie en pleine page un encart publicitaire de quelque 400 noms « arabes » qui ne se réclament d’aucun islam ni d’aucune arabité pour dire leur solidarité à Charlie. On y trouve le monde politique et intellectuel, enseignant, de toutes nationalités.

***

Voilà ce que nos amis algériens Yahia Belaskri et Anouar Benmalek publient dans le journal El Watan :

 « …Si tu parles, tu meurs/

Si tu te tais, tu meurs/

Alors parle et meurs !»,

(Tahar Djaout)

Nous sommes Charlie. Oui nous sommes Charlie, ne vous en déplaise, messieurs les tueurs ! Nous savons que cela vous insupporte car vous haïssez la liberté, toutes les libertés. En particulier l’une des plus fondamentales, la liberté d’expression, celle que vous croyez tuer en assassinant lâchement des dessinateurs de presse qui ont élevé l’irrévérence au firmament du journalisme, en pratiquant l’humour et la dérision.

Vous n’aimez pas la liberté de penser car elle permet le libre arbitre et celui-ci vous est totalement étranger, vous qui prétendez installer les ténèbres dans nos cœurs et nos têtes. Vous n’aimez pas non plus la liberté de conscience, vous qui vous arrogez la folle prétention de diriger nos consciences. Vous n’aimez pas l’amour, ni l’humour bien entendu – l’amour et l’humour vous font peur, vous les suppôts de la haine et du rejet.

Vous n’aimez pas la vie, vous n’en avez aucun respect puisque vous semez la terreur et la mort, brutalement, lâchement. Vous n’aimez rien, au fond, vous n’êtes rien d’autre que des criminels méprisables. Parce que vous êtes incultes et faibles, vous utilisez la violence barbare et l’infamie. Comme nous avons été américains lors de l’attaque contre le World Trade Center, comme nous avons été espagnols lors des attentats de la gare d’Atocha, comme nous avons été algériens lors de la tentative d’extermination de l’intelligence de ce pays, yézidis sur le mont Sinjar, kurdes dans la ville assiégée de Kobané, nous sommes aujourd’hui français.

Nous sommes Charlie. Comme nous avons été Tahar Djaout, Abdelkader Alloula, Saïd Mekbel, aujourd’hui nous sommes Cabu, Charb, Tignous, Wolinski, Mustapha Ourad et les autres. Nous sommes Charlie.

Yahia Belaskri et Anouar Benmalek

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 La bataille contre le terrorisme passera par la bataille pour l’égalité, la justice, la reconnaissance de la France d’aujourd’hui dans toute sa diversité source d’immense richesse. Pour qu’au bout de cette nuit, le jour se lève, nous devons être aujourd’hui des musulmans (conclusion du communiqué du site Coup de soleil Midi Pyrénées) http://midi-pyrenees.coupdesoleil.net/rubriques.php?x=0&y=3&page=agenda.php

 

 

 

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