Rius, (Eduardo del Río), né en 1934 à Zamora (Michoacán) et séminariste de formation, est caricaturiste depuis les années 1955. C’est le 15 juillet 1965 qu’il a lancé chez Editorial Meridiano la série semi-hebdomadaire qui l’a rendu célèbre, los Supermachos. Il semble que ces monitos atteignent le numéro 100, c’est-à-dire le milieu de 1968 ( ?).
La fin des Supermachos de Rius illustre les modes de censure « soft » pratiqués par le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) à l’époque : Meridiano, sur injonction gouvernementale, s’est approprié les personnages et a continué la publication, sans Rius, gardant le graphisme et une certaine ambiance de protestation beaucoup plus émoussée que celle de l’auteur initial, protestations ciblées sur la méchanceté des « autres » (étrangers, personnages déjà morts, mystères « apolitiques » autour du trésor des républicains espagnols ou autour des syndicats de truands (porros) qui font régner leur loi dans les universités) et non plus sur le quotidien de la société mexicaine du moment même. Quelques années plus tard (1976) le changement de direction et de ligne éditoriale au quotidien Excelsior fut réalisé dans des conditions analogues : une « assemblée générale » manipulée violement a démissionné le directeur Julio Scherer. Revenons aux Supermachos pirates. Par exemple le volume relié n° 59 reprend des fascicules semi-hebdomadaires (en principe 26 par an) de 1977 et donne des indications contradictoires : le fascicule n° 596 du 2 juin appartiendrait à la quatorzième année… donc en tout cas beaucoup d’enfants illégitimes pour Rius.
Mais l’essentiel est de comprendre à quel point en ces années 1960 seule la caricature pouvait s’attaquer à la société mexicaine, quand la presse « sérieuse » pratiquait le coupé-collé de déclarations officielles, juxtaposant les affirmations des conservateurs et celles des technocrates progressistes, celles des laïcs et des cléricaux, en réservant des critiques feutrées pour les seuls éditorialistes cultivés parlant morale et culture, et non pas politique. Années aussi où les sciences sociales balbutiantes s’attachaient à appuyer le progrès général dans une patrie unanimement respectée, sans s’attaquer aux nœuds des tensions sociales.
Los supermachos fait vivre un village de ces campagnes profondes qui sont si proches de la capitale, quelques dizaines de kilomètres dans les années 1960. San Garapato de las Tunas appartient peut-être à l’état de Hidalgo, en tout cas son maire en a tout l’air : il s’appelle Don Perpetuo (prénom symbolique du pouvoir permanent du PRI) del Rosal (patronyme de Alfonso Corona del Rosal, homme du Hidalgo, cacique à la tête du parti en ces années, avant d’être un des acteurs de la répression de Tlatelolco en 1968). Don Arsenio, le policier, a la tête et la moustache de Hitler ; la pulquería s’appelle Recuerdos del porvenir. Le tendero est galicien, l’« indigène » sait l’espagnol, le paysan de base, héros central, est une sorte de Candide, une touriste « gringa » fait des photos et comprend mal les conversations, l’employé de mairie croit à la démocratie, la dévote défend les valeurs catholiques… Le pueblo se prépare aux jeux olympiques de Mexico de 1968. La couverture du cahier comporte épisodiquement un sous-titre (« violencia, sexo, chismes, políticos, aventuras, pachanga, mala leche, agruras » ou « violencia, sexo, mala leche, economía y agruras ».
Tout juste dépossédé de sa série, Rius lance en aout 1968 chez l’éditeur Posada une nouvelle série, elle aussi semi-hebdomadaire, Los agachados, qui vivra beaucoup plus longtemps. La série précédente avait comme format le grand in-octavo, en 24 pages, chacune composée en général de six à huit images. Même format et même composition, mais sur 32 pages, pour Los agachados. Au générique : ideas monos y texto Rius, color Rosita W [qui devient dobleú), sonido Raquel ( ?). Si le milieu rural sert toujours de cadre, si certains personnages sont repris, Rius produit de plus en plus de numéros thématiques qui se détachent de ce cadre local originel, pour traiter du marxisme, du végétarisme, de l’athéisme, de l’histoire ou de la société (Cuba, Lénine, l’impérialisme…). Ces thèmes sont ensuite repris sous forme de livres pédagogiques qui font le pain quotidien de la gauche mexicaine et c’est sous cette forme que certains sont traduits, en français en particulier, dans la perspective gauchiste d’après 1968 : on en retrouve des pages d’éducation à l’économie marxiste dans un « polycop » édité vers 1975 pour des étudiants de géographie à l’Université de Toulouse le Mirail. Par rapport à la veine initiale de Rius, critique concrète de la société mexicaine, ces ouvrages dérivent vers les poncifs du conformisme des classes moyennes latino-américaines de gauche.
Les Supermachos ont été une innovation à grand succès (tirages jusqu’à 130 000 ? Helena Poniatowska parle de 250 000…) pour la capitale mexicaine. On aimerait savoir ce que fut la diffusion hors de la ville de Mexico, pour ce titre phare comme pour les productions postérieures de Rius. Les supermachos sont sans doute ce qui de Rius est le plus difficile à trouver en librairie ou en bibliothèque. De cette série, il semble que seulement deux retirage sous forme de volume existent : numeros de 1 à 12, puis de 13 à 24 (ce second volume, je le possède, tout comme j’ai une collection disparate : jusqu’au n° 35, avec un manque des n° 19-21, 28-31 et 34. Pour les Agachados je ne possède qu’une collection du n° 4 au 27 (manquent les 10, 12 et 14) : qui échangerait des doubles ?
Quelles collections existent en Europe ? Une réédition électronique des Supermachos est tentée avec seulement le n° 1 paru à ce jour (aout 2012). Je me suis permis (p. 328) de pirater une page de chaque série dans Ville et campagnes au Mexique Central, 1971, Paris, Anthropos, repris sans encombres dans l’édition mexicaine (1972, Mexico, Siglo XXI).
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