Monica Mansour, Una casa como yo, construir en la Ciudad de México, México, Libros de la espiral, CONACULTA/ Artes de México, 2008, 144p.
Mónica Mansour est connue au Mexique par ses recueils de poésies ou de nouvelles (cuentos). Par celles-ci, elle aborde très souvent la vie quotidienne mexicaine, fournissant de multiples témoignages sur la classe moyenne de la ville de Mexico [ainsi Frágil cordura, México, Textos de difusión cultural- UNAM- literatura, serie Rayuela 10, 1996, 100 p.]. L’auteur a fait aussi des tournées en province, patronnées par le Ministère de l’éducation (SEP), pour y présenter ses écrits : elle raconte dans ces voyages [Itinerario de palabras, Maria Luisa Puga y Mónica Mansour, Narativa latinoamericana, Folios Ediciones , México, 1987, p. 41-93], par exemple, ses présentations dans la prison de Milpa Alta (DF), où l’ancien directeur des Pétroles Mexicains, incarcéré pour corruption, avait organisé une université populaire à ses frais.
Mónica Mansour vient de montrer dans son dernier ouvrage qu’outre son métier de traductrice, elle pratique aussi celui de maître d’œuvre et de promoteur dans la construction ou la rénovation de maisons dans la capitale mexicaine. En un livre d’art d’une haute qualité graphique, elle raconte ce que sont les techniques de la construction, pour lesquelles ce qu’elle dit des bricolages artisanaux a plus d’intérêt que les hautes technologies. Et plus encore elle réfléchit tant à ce que représente l’intimité de l’habitation, qu’aux relations qui se nouent, pour une femme de la classe moyenne, avec ses interlocuteurs de la construction (en espagnol mexicain on dit la obra) : possesseurs de terrains, camionneurs, policiers et gardiens, bureaucrates de l’urbanisme, corps de métiers. Et c’est là qu’elle nous donne une très savoureuse ethnologie de la vie quotidienne urbaine au Mexique. Voici donc un nouveau cuento tiré de ce livre et traduit :
« Il était une fois un terrain en vente, grand (près de cinq cent mètres carrés), très irrégulier, pas seulement sur ses limites – un étrange trapèze avec des morceaux rongés par les voisins et une clôture faite de cartons, tôles et vieux matelas- mais aussi, comme il est habituel sur les coulées de lave, avec de grosses piscines – quatre mètres sous le niveau de la rue, et quelques collines au dessus. Dans le terrain, c’était très touffu : plein d’ordures, chaussures, tricycles, bouteilles de coca, déambulateurs, couvertures, verre cassé, vareuses, carrelages goudronnés, une accumulations de chambres à demi construites et rafistolées par des tôles. Un faux-poivrier mort, des rosiers et un gigantesque bougainvillier arborescent plein de fleurs.
Ce terrain si irrégulier m’a plu et son prix était accessible (c’est-à-dire dans mes moyens). Les titres de propriété étaient en ordre. Juste un problème : il fallait que toutes les familles locataires des chambres s’en aillent. J’ai fait une promesse d’achat par contrat en versant des arrhes au propriétaire qui, de son côté, s’est engagé à déloger [les habitants des chambres de cette] courrée (vecindad) dans un délai maximum d’un mois.
Est passé ce mois, un autre, encore un autre et le terrain restait occupé par les familles. On s’est mis d’accord pour attendre la fin de l’année scolaire, ce qui avait sa logique. Finie l’année scolaire sont venues les vacances, un mois, un autre mois. Le propriétaire ne répondait pas au téléphone, il n’habitait plus là et ne prenait pas les messages. Que faire ? Ben trouver un avocat plus malin que moi dans ce genre d’affaires. On m’en a recommandé un qui m’appelait « ma petite mère ». Il disait « t’en fais pas, ma ptite mère », ce qui déjà en soi était préoccupant. Lui et moi sommes allé chercher Don Sixto, le propriétaire, à Cuernavaca. Pas là. Ils nous ont envoyé à Santa Ana Chautempan. Pas là. Son frère nous a envoyé à un hameau voisin près de Xochitepec. Là on l’a enfin trouvé. Don Sixto, très tranquille, dit qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait et qu’on n’attende rien de lui : les gens ne voulaient pas partir. Il semblait avoir oublié sa promesse et en passant, l’argent reçu.
L’avocat lui a un peu rafraichi la mémoire, avec divers papiers en main, et Don Sixto a insisté : il n’avait plus l’argent pour nous le rendre et rien à faire avec ses locataires. Alors l’avocat a eu une idée de génie, il a souri et il m’a dit : « ne t’en fais pas, p’tite mère ». Par je ne sais quelle magie, il a persuadé Don Sixto de rentrer dans sa maison et de lui donner des clés ; puis il est allé chercher les papiers. Tout réglé, l’avocat est grimpé dans un énorme camion « à matériaux » (materialista) et nous sommes partis vers l’autoroute vers notre chère capitale. Rappelons que ce type de camion s’appelle « materialista » non parce qu’il ne croit qu’au monde physique et non à l’esprit qui est son reflet, ni parce qu’il affirme que l’unique réalité réelle est la matière dominée par l’homme, mais parce qu’il sert à transporter du matériel de construction.
Tout a marché en bon ordre, le camion « à matériaux » n’a pas coulé de bielle, n’est pas tombé en panne sèche. Ni pneu ni moteur explosé. Moi je surveillais sa santé parfaite depuis le rétroviseur de mon auto. Tout en ordre jusqu’au péage : oh surprise ! ils nous ont dit que ce numéro de plaque était interdit de circulation en ville ce jour là. Le camion a dû dormir dans un parking à côté du péage, à côté de beaucoup d’autres véhicules mêmement hors la loi et désemparés. Et le lendemain il a fallu refaire l’excursion jusqu’au péage, récupérer la prise de guerre dont l’avocat avait su s’emparer pour forcer Don Sixto à forcer ses locataires à quitter le terrain que j’avais acheté.
Finalement, on a laissé le camion dans une rue voisine et l’avocat et moi sommes arrivés chez moi à Coyoacan. Après un café, l’avocat m’a dit, avec son vaste sourire « tu vois comme c’est facile, ptite mère, t’en fais donc pas ! » et il est parti à ses affaires.
Le camion était soigné et décoré. Son vieux plancher de charge et sa cabine étaient joliment peints d’un rouge brillant avec des filets d’un jaune comme de l’or pur. Et sur son nez rouge et lustré un cheval bondissant qui avait vraiment l’air en or. Le camion était en gros long comme deux autos, large comme un et demi et haut de même. Et comme on sait bien un des charmes du joli village de Coyoacan, c’est ses ruelles étroites. Léger contre temps en terme de cohabitation.
Avec les meilleures intentions j’ai décidé de trouver un logis temporaire pour le camion. Je suis grimpé sur le siège du conducteur et j’ai démarré. De là-haut, j’avais une vue panoramique sur tout l’entourage. Je ne savais où aller. Je suis d’abord allé à un parking à autos : « voyez, mdame, c’est seulement pour autos, on n’accepte pas les camions ». Après quelques discussions, j’ai réussi à ce qu’ils m’acceptent quelques jours, mais quand j’ai voulu entrer le camion, je n’ai pas pu en raison du joli portail en imitation de hacienda coloniale. J’ai dû renoncer.
J’ai trouvé une rue pavée assez large avec une place entre deux portails et j’ai décidé que ce serait le logis de mon véhicule si distingué. Quand je suis allé lui rendre visite le lendemain après-midi, je me suis trouvé face à plusieurs voisins scandalisés, prêts à appeler la police : dans leur rue et tout près de leurs demeures il y avait un camion volé, avec peut-être des paquets de drogue dedans. J’ai couru récupérer mon pauvre petit camion calomnié, avec mille explications et excuses à ceux qui me regardaient avec un air de compassion, ou avec simple mépris.
J’ai regrimpé sur le siège tout en haut et j’ai démarré. J’ai commencé à tourner dans Coyoacan, en me rendant compte du ridicule de promener un camion au lieu d’un chien. Dans les rues, on m’a proposé : d’enlever des décombres, de transporter des meubles ou des matériaux de construction, et si je voulais vendre ou louer mon camion, et à tous j’ai répondu « je peux pas pour le moment », comme si je pouvais plus tard…
Après tours et détours, dans une rue assez large, j’ai vu un monsieur habillé en policier privé (qui sait comment on les appelle), qui semblait être le gardien d’une très grande maison avec des portes barrées d’affiches « fermé, fermé, fermé ». Je me suis garé et lui ai demandé s’il connaissait par là un parking pour camions « à matériaux ». Ses yeux se sont mis à briller et il a proposé de le garder si on le lui laissait juste là. J’avais des doutes, mais je n’avais pas le choix. Je lui ai laissé le camion ouvert et lui ai donné mon téléphone, pour s’il avait besoin de quelque chose et j’ai emporté la clé.
Je lui ai rendu visite le lendemain, avec un peu de peur devant l’inconnu et l’inattendu. J’espérais qu’il soit toujours là et, si possible, au complet. Quelle surprise ! Non seulement il était là et au complet, mais il était équipé de tous les accessoires nécessaires : télé et lecteur de cassettes avec une grosse batterie de voiture (en supplément), couvertures, linge propre, petits rideaux. Le policier qui s’ennuyait tant d’être dans la rue sans rien à faire avait maintenant un agréable appartement pour dormir, manger, jouer aux cartes avec un ami, peut-être lire et en même temps il avait son bureau sur son lieu de travail.
Peu après, tous les locataires ont quitté le terrain. L’avocat a bouclé l’affaire et m’a dit « tu vois, ptit mère, je t’avais dit de pas t’en faire ». Don Sixto est venu récupérer son camion rouge et doré, avec les papiers. Et le flic est resté, de nouveau, sous la menace des intempéries. » Voir aussi le Coyoacan des années 1950, http://alger-mexico-tunis.fr/?p=1513
traduction: Claude Bataillon
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