autogestion industrielle en Algérie:

Hélie Damien, Les débuts de l’autogestion industrielle en Algérie

On ne peut séparer cela de l’activité militante de la veuve de l’auteur, dont l’article de l’Express donne un bon exemple http://cds-mp.e-monsite.com/actualites/

L’étude menée par Damien Hélie (1939-1967) entre 1963 et 1966 est la seule recherche de terrain sur les débuts de l’autogestion industrielle en Algérie. Il y examine un processus dont il n’a pas vu l’aboutissement : l’absorption finale du secteur autogéré dans le « secteur socialiste » d’État. Il y met en lumière des obstacles liés au fait colonial – l’absence de cadres techniques moyens et supé- rieurs dans l’Algérie indépendante – mais également des facteurs liés à l’extrême pauvreté du peuple, entrainant l’embauche « sociale » de travailleurs sous-employés. Il montre l’absence de politisation des ouvriers et des nouveaux cadres et une volonté d’empêcher cette politisation, favorisant ainsi cette nouvelle classe dirigeante [résumé de l’éditeur]

Ce livre donne tardivement au public une étude menée aux débuts de l’Algérie indépendante. Il éclaire ce que le film sur l’autogestion en milieu rural a déjà permis d’entrevoir. Quelques extraits de ce livre présenté au printemps 2019 à Toulouse par Coup de soleil :

[Cadre général]

Les entreprises autogérées ne sont pas à la hauteur des discours politiques qui les célèbrent, et les espoirs placés en elles risquent d’être déçus. Ce sont, en général, des entreprises marginales qui ont le plus grand mal à se maintenir en activité. Tous les problèmes posés par l’indépendance pèse plus lourd sur elles que sur le secteur privé, qui dispose de cadres et de moyens financiers et qui domine l’industrie algérienne. Dans les entreprises autogérées, il ne reste le plus souvent que des manœuvres et quelques ouvriers qualifiés qui se débatte au milieu de problèmes qu’ils ne sont pas en mesure de résoudre.

Économiquement, il est douteux que l’ensemble du secteur autogéré soit rentable en l’état actuel les choses […] Les usines continuent de fonctionner parce que l’État n’exige pas d’elles le règlement de toutes leurs obligations. Il n’existe pas de sanctions économiques équivalentes à la faillite du système capitaliste.

Le gouvernement qui a pris la responsabilité d’installer un tel système de gestion, a mis très longtemps à établir une organisation encadrant le secteur autogéré et à promulguer les textes juridiques indispensables à son fonctionnement […]

D’un côté nous avons les déclarations triomphantes de l’idéologie officielle sur la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme et les succès remportés par les travailleurs ; de l’autre, nous avons les entreprises qui survivent tant bien que mal et sans que personne n’y prête attention. Le contraste est frappant entre le monde des hommes politiques, qui parle de politique et idéologie, et celui des travailleurs des usines, qui parle salaires et difficultés économiques quotidiennes.

 

Le modèle yougoslave.

Le système d’autogestion tel qu’il est appliqué en Algérie fait immédiatement pensé à l’organisation des entreprises en Yougoslavie, et il ne fait pas de doute que le modèle yougoslave à inspiré le législateur algérien, qui était à la recherche d’une forme de socialisme démocratique. Néanmoins l’autogestion de Yougoslavie est très différente de ce qu’elle en Algérie.

Tout d’abord, en Yougoslavie, l’autogestion intéresse surtout l’industrie, qui est toute entière intégrée dans ce système, et beaucoup moins l’agriculture, qui reste à 90 % entre les mains des paysans privés. En Algérie la situation est inverse, puisque l’autogestion est surtout rurale et non industrielle. En effet dans l’agriculture elle occupe toutes les anciennes terres de colonisation, et dans l’industrie, elle est encore dominée par un secteur privé resté puissant […]

Deuxièmement, en Yougoslavie, l’autogestion a été installée en 1953, après une période assez longue, huit ans, de gestion administrative, qui malgré tous ses défauts, a néanmoins permis l’organisation de la production sur des bases rationnelles. En Algérie, l’autogestion a été installée brusquement dès le départ des Européens, sans que l’on dispose des cadres nécessaires que la période administrative avait permis de former en Yougoslavie. Sa mise en place relève de l’improvisation hâtive, et le délai, assez court, pendant lequel elle a fonctionné ne permet pas de juger de tous ses aspects […]

 

Fonctionnement des organes d’autogestion.

[…]  La direction des entreprises est assurée par des organismes élus par l’ensemble des ouvriers de l’entreprise. […] Le nombre de candidats, présentés sur une seule liste, excède de 50 % a 100% le nombre de postes. Les travailleurs ont donc une marge de choix non négligeable. Les candidats ne sont pas présentés par un organisme officiel, Parti ou syndicats. Ils se présentent d’eux-mêmes, ou y sont incités par leurs camarades de travail, et la liste des candidats est donc formée de l’ensemble de ceux qui acceptent de se présenter et qui sont prêts à endosser des responsabilités. Cette absence d’intervention officielle, au niveau des candidatures, est très remarquable dans un pays où le parti unique a l’ambition d’encadrer la population et d’orienter l’ensemble de la vie nationale.

Dans l’autogestion agricole, la situation est très différente. L’Administration, le Parti et le syndicat interviennent pour la désignation des candidats aux organes d’auto gestion. La raison de la non intervention des autorités politiques dans l’industrie est vraisemblablement la marginalité économique du secteur autogéré […]

L’ouvrage contient une série d’entrevuesauprès d’ouvriers, ou de responsables, toujours en français semble-t-il, dont l’intérêt est remarquable : ces entrevues concernent aussi bien l’organisation interne des entreprises que des vues plus générales. Voici quelques exemples :

« Il nous faudrait un directeur : il faut quelqu’un qui soit plus haut que nous. Quand on est entre ouvriers, on n’est pas obéissant. Il y en a qui s’en foutent. (Briqueterie)

« La discipline, c’est l’essentiel : un manœuvre doit respecter l’ouvrier ; l’ouvrier, le président. Au début c’était comme ça ; maintenant, la discipline se relâche. Depuis que Ben Bella a dit aux ouvriers : « c’est vos biens », en parlant des usine, la discipline se relâche, tout le monde se prend pour le patron. Il faut que le gouvernement fixe quelque chose. Avant, quand le patron était là, j’étais discipliné comme les militaires. Rien ne marche sur la discipline. Le rendement est mauvais. Quand on veut les commander, les ouvriers répondent : « c’est notre bien à tous ». Ben Bella a cassé la main-d’œuvre en disant : « tout le monde doit manger avec une cuillère, personne avec une louche ». Les ouvriers veulent que tout le monde soit payé au même tarif. Si ça ne change pas, on devra fermer la maison, on ira tous à la pêche, moi je m’en fous. » (Président, fonderie)

« Avec les bénéfices, on fait une autre boite, on met 50 personnes dedans pour dégager le chômage. Si moi je mange et que mes frères ne mangent pas, je ne suis pas socialiste. On a pas besoin de bénéfices, on sera tous les mêmes. On fait du courage pour avancer, c’est pour demain, pas pour aujourd’hui. » (Ouvriers fonderie)

 

 

 

 

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