Hélène Rivière d’Arc, 1942-2021
Qui consulte l’annuaire de mexicanistes « Penser le Mexique » publié en 2018 ? Sans doute quelques nostalgiques comme moi. On nous avait enjoint de rédiger chacun une notice courte. Peu s’y sont contraint… dont Hélène ! http://alger-mexico-tunis.fr/?p=1820
Ce qui lui a permis d’ « oublier » des fonctions importantes, dont elle n’a pas forcément gardé bon souvenir. Elle a dirigé l’IHEAL en second, sous la houlette de l’historien Jean-Pierre Berthe, alors directeur après Pierre Monbeig. C’était pendant les années noires (1971- 1980), où cet Institut n’avait ni financements ni enseignants, avant que l’arrivée au pouvoir de Mitterand en 1981 permette à Jacques Chonchol d’éviter le naufrage, permette aussi à Romain Gaignard (1936- février 2021) et Jean Revel-Mouroz de donner à l’IHEAL, comme à son homologue toulousain, une assise institutionnelle. Et Hélène a pu aussi « oublier » dans sa notice que cette réforme s’appuyait sur un réseau, de documentation puis de recherche, pour lequel elle a aussi joué un rôle important qu’elle supportait mal : elle goutait peu les contraintes de la grande politique.
Retrouvons Romain Gaignard en parallèle…http://alger-mexico-tunis.fr/?p=3080
Avoir toute sa vie professionnelle appartenu au CNRS, d’un poste d’ingénieur à celui de directeur de recherche, a donné à Hélène une liberté immense dans son travail. La contre-partie était un moindre prestige en comparaison de ses homologues enseignants du « supérieur », ce dont elle pouvait se chagriner à l’époque. Je ne parlerai pas de sa carrière brésilienne, dont j’ignore tout. Sauf que je pense qu’elle était plus encore à l’aise dans la société brésilienne que dans la société mexicaine : de ces deux pays elle connaissait les codes, elle pratiquait les langues pour enquêter comme pour enseigner. Peu de latino-américanistes français avaient ainsi deux cordes à leur arc.
Trois anecdotes me permettent de retrouver cette nostalgie de « notre » Mexique. La plus récente est ma rencontre (juillet 1983) dans l’Isthme de Tehuantepec avec Marie-France Prévôt-Schapira et Hélène : elles y faisaient en tandem du « terrain » et je suis allé les voir depuis Mexico. J’ai proféré l’idée que deux jeunes femmes étrangères étaient mieux placées que n’importe qui pour faire de l’enquête sur ces sociétés locales dont les acteurs sociaux (des hommes bien sûr) se seraient ainsi confié plus facilement. Elles se sont moquées de moi à juste titre : je n’imaginais pas à quelles pressions elles étaient soumises dans ces milieux profondément machistes, au point qu’il leur était difficile d’en parler.
Plus d’une décennie avant, j’ai fait avec Hélène du « terrain » à la mode de cette époque : c’était en aout 1969 dans cet occident mexicain, dit « région de Guadalajara », incluant certes le Jalisco, mais aussi un peu Colima, Aguascalientes, Michoacán. Ni elle ni moi n’avions de statut officiel pour enquêter et nous profitions matériellement et moralement d’une couverture étrange : la Comision Nacional de los Salarios Mínimos. Celle-ci, pour « moderniser » le salariat en province, prétendait établir des zones de salaire minimum adaptées aux conditions socio-économiques locales et pour cela faire enquêter « sur le terrain » des « spécialistes » (jeunes géographes étrangers). Nous passions rapidement dans les mairies (palacio municipal) avec des questions plus ou moins formalisées sur les migrations de main d’œuvre, les réseaux commerciaux locaux, etc. On peut douter de l’efficacité de nos enquêtes pour changer la condition réelle des salariés, mais les rapports que nous avons rédigés ont été publiés dans un volume des Memoriasde la Comision. Quel profit tirions nous de ce travail ? un transport et un logement gratuit avec un accès officiel aux autorités. Nous avons même pu visiter le seul municipio mexicain qui à l’époque n’appartienne pas au PRI (mais au PAN) : Teocaltiche.
Remontons encore : en hiver 1965, Hélène étudiait des banlieues pauvres de Mexico, thème alors sans grand intérêt pour les intellectuels mexicains. Nous avions obtenu de l’Institut de géographie de l’UNAM l’usage d’une camionnette qui nous permettait d’accéder à des quartiers à peine desservis par des bus improbables. Hélène a pu réaliser une « maîtrise » sur ce qui ne s’appelait pas encore « Neza », qui a été publiée dans un livre collectif édité par l’UNAM plusieurs années après.
Ainsi a commencé une vie de recherche dans laquelle les choses urbaines de l’Amérique latine ont été centrales. On ne va pas oublier Hélène.
Jean Rivelois a pu assister à la cérémonie pour Hélène, à St Séverin:
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