Pour Marité et Romain Gaignard

Depuis le départ de Marité et Romain Gaignard, en février 2021, nous avons pu recueillir des témoignages précieux, que nous voulons conserver.

Quelques uns ont écrit et sans doute d’autres viendront s’y joindre, plusieurs se sont exprimés le 25 février à la cérémonie religieuse qui marquait leur départ.

Pour les géographes latino-américanistes, rappelons qu’un mois plus tard c’est Hélène Rivière d’Arc qui nous a quittés. http://alger-mexico-tunis.fr/?p=3063

La famille de ce couple a évoqué la cohésion qu’ils maintenaient dans leur groupe, mais aussi comment ce couple s’était formé: un tout jeune homme, à peine étudiant, rencontre une jeune femme déjà engagée dans le métier d’institutrice. Ils s’épousent et migrent à Bordeaux où lui devient prof de lycée grâce à l’agrégation d’histoire. Ils passent quelque dix ans en Argentine, à Mendoza.

 

Guy Chapouillié publiera j’espère quelque part son témoignage, dont je relève le plus intime sans doute : « Toujours soucieux de ne rien laisser s’échapper, Romain prend des notes dans toutes les directions et j’ai l’impression qu’il parle à sa main. Je connais cette manière d’écrire qui déclenche en moi un singulier défilement, celui des petits mots tracés le plus souvent au bas des courriers qu’il reçoit, pareils aux notes de bas de page qui apaisent où mettent le feu, qui signalent si l’estime a chuté ou si la confiance demeure :  […]réponse par une main capable d’alerter, de conseiller, d’interroger, d’égratigner, de féliciter mais aussi de signer. Oui de signer avec une signature étrange qui,à partir du R de Romain, dessine la courbe d’une matrice qui englobe une identité, son nom, tel un retour à la mère. Il s’agit bien d’une sensibilité d’amour pur qui s’installe dans la distance entre soi et celle qu’on aime. »

le « R » de Romain…

Martine Guibert a travaillé de près avec lui et son témoignage est essentiel

 « L’Amérique latine dans les cœurs et dans les esprits… Comment croire en son destin ? Des personnes aident, conseillent, rendent possible. Romain, vous êtes l’une de ces personnes, de ces enseignants. Quelle belle aventure vécue à vos côtés, pendant une trentaine d’années…

Au Mirail, devant le Département de géographie, un jour de mai 1989, à la sortie de votre cours sur l’Argentine, je vous ai soumis une idée de recherche ; il était question de production agricole, d’Europe, d’Amérique latine. Et vous avez accepté ! Trois mémoires ont suivi, l’un de Maîtrise, deux de DEA (j’ai attendu l’ouverture du DEA ESSOR pour le suivre). Ensuite, faire la thèse de doctorat avec vous s’est imposé, évidemment. Et, l’HDR, bien plus tard… je vous ai fait attendre, beaucoup trop !

Des lieux ont marqué tous ces moments d’échanges, d’explications, d’histoires racontées. Des lieux comme le Château du Mirail, avec l’IPEALT en haut de l’escalier, avec sur la table basse, la feuille de chou de l’Institut, la revue « Alizés », ou, encore, « Rumbos ». Des lieux comme le Cedocal où je lisais en version papierLa Naciónqui arrivait tout droit de Buenos Aires !

livre d’hommage

Vos bureaux : celui de la Maison de la Recherche, du Pôle européen, de la Présidence, du SMEAG ; celui de l’ « algeco » sur le parking où, un jour, la souris de votre ordinateur ne voulait plus vous obéir…

Des feuilles, des versions de mémoire, annotées au crayon de couleur bleu, souvent, rouge, aussi. Des lettres de soutien, tout le temps. Des e-mails à partir des années 2000, notamment ceux reçus en 2017, qui corrigeaient minutieusement l’HDR.

Des contacts qui m’ont accueillie si chaleureusement à Buenos Aires, Mendoza, Montevideo, Rosario, Paris.

Des écrits, tous vos écrits, sur la Pampa, le Paraguay, le foncier agricole, les marchés, les protéines… de soja, le développement.

Les attentes, le soir, dans les locaux de la Présidence où nous parlions de ma thèse avec un plaisir non feint de votre part. Je m’interrogeai : mais comment fait-il ? Vous me racontiez l’Amérique latine, passée et présente ; le monde universitaire, aussi ; vous pensiez son avenir, toujours.

Que de sensations vécues en arrivant à Mendoza après avoir traversé les Andes, avec le bus parti de Santiago du Chili, éblouie par la montagne minérale et ses paysages, avant les vignobles magnifiques qui ornent pentes et vallées à l’approche de la ville ; en vivant des levers de soleil, quelque part dans la Pampa, en direction de Pigüé, de Santa Fe ou de Reconquista, sur une route qui ne s’encombre pas de virages, improbables ; en frissonnant face à la plénitude dégagée par les troupeaux qui pâturent, à la tombée du jour, dans un horizon dense ; en admirant le Paraná, fleuve bougon sans nul autre pareil ; en prenant un café à Rosario, ou sur la Plaza Matriz à Montevideo ou dans le vieil Asunción.

Merci Romain, pour cette Amérique latine impétueuse, réelle, et qui, tel le livre de sable de José Luis Borges, appelle au mystère.

Vous m’avez beaucoup écoutée, lue, et vous m’avez beaucoup enseignée.

Je vous ai beaucoup écouté, beaucoup lu ; et j’ai tellement appris.

Les lieux et les moments seront éternels. »

 Martine Guibert nous donne les références exactes pour retrouver Romain :

DEVOTO Rubén et GUIBERT Martine, 2002, Romain Gaignard et la Pampa argentine : le regard original et perspicace d’un Européen, Revue Caravelle, Dossier « paysanneries latino-américaines : mythes et réalités – hommage à Romain Gaignard », Toulouse, PUM, IPEALT, n° 79, p. 219-224, https://www.persee.fr/docAsPDF/carav_1147-6753_2002_num_79_1_1379.pdf

GUIBERT Martine, 2013, Brique après brique, construire le latino-américanisme toulousain (et français) – Entretien avec Romain Gaignard, Revue Caravelle, n° 100, p. 139-148, https://caravelle.revues.org/157

Sur le site de l’IPEAT, il y a la video pour les 30 ans de l’Institut :

https://ipeat.univ-tlse2.fr/accueil/qui-sommes-nous/institut

descendre dans la page et voir les vidéos sur les trente de l’IPEA(L)

La référence du « livre bleu » est : DEMBICZ Andrezcj, GUIBERT Martine et HUERTA Mona (éds), 2003, De Mendoza à Toulouse. Sur les pas de Romain Gaignard, Toulouse/Paris/Varsovie, 318 p.

Nous savons que Daniel Pouyllau était proche de Romain : il organise la conservation et la mise à disposition de ses archives. « Nous avons commencé par la numérisation de ses diapositives sur l’Argentine et sur l’Amérique latine : nous en avons sélectionné 500 que nous avons numérisées et 286 sont déjà accessibles dans l’Archive ouverte MédiHAL. Sa remarquable collection de Plans cadastraux patiemment élaborés dans le cadre de sa thèse, et les cartes historiques qu’il avait rassemblées sur l’Argentine sont numérisées (plus de 600 plans et cartes) et leur accès est facilité par l’interrogation du système Navigae, développé par le centre de documentation REGARDS et le CNRS avec l’appui de la TGIR HumaNUM. Le traitement de son fonds d’archives « administratives » sera bientôt déposé au Service des archives de l’Université Jean-Jaurès (Le Mirail). Ce fonds correspond aux documents des réseaux que Romain a développé depuis Toulouse avec les collègues de Paris, de Bordeaux et de bien d’autres universités : le GRECO, le GDR, le GIS Amérique Latine bien entendu mais ce fonds, qu’il a patiemment rassemblé, contient aussi des archives du travail de Romain Gaignard avec l’AFSSAL, le CEISAL, le REDIAL, le GRAL et le CEDOCAL (les toulousain.e.s se rappelleront aussi du SEDOCAL sur lequel nous avons un petit dossier), l’IPEALT et l’IHEAL, la Maison de l’Amérique Latine. J’ai été heureux de rencontrer, mois après mois en traitant ses archives, un président, un directeur, que je connaissais bien sûr, mais surtout un Romain bibliothécaire, documentaliste, archiviste,  passionné et passionnant : nous avons pu facilement compléter certains de ses dossiers avec Mona Huerta. Nous avons apprécié aussi le travail de notre collègue Michèle Bincaz qui avait classé les documents administratifs sur les trois réseaux sur l’Amérique Latine dont le siège était au Mirail. Il nous reste à traiter le Fonds « Argentine » de Romain Gaignard, qu’il appelait son « Fonds patrimonial », nous devions faire pour ce fonds un pré-inventaire à leur domicile en mars 2020 mais le virus est arrivé et nous avons du remettre cette opération à plus tard. »

première édition

 Claude Bataillon : « J’ai moi aussi retrouvé Romain dans cette église : Romain Gaignard  (autres prénoms : Rund, Wolfgang) : mère autrichienne juive, sans doute fuyant le nazisme, père sans doute mort jeune. 1936- février 2021.

seconde édition

Proche de ce « grand frère » plus jeune que moi de 5 ans. Je ne l’ai vraiment connu que très peu, quand il me servait de mentor pour entrer dans l’Université toulousaine où il était depuis 4 ans (1969) quand j’y suis arrivé (1973). Puis une connivence professionnelle où toujours c’est lui qui savait organiser, prévoir, éviter les écueils, aussi sceptique sans doute que protecteur devant mes tentatives de « subvertir » une machine universitaire dont il savait se servir pour un bien commun assez imprécis, mais dont les avantages personnels possibles ne lui importaient sans doute pas beaucoup, malgré sa grande prudence. Ce que j’ai connu de Marité, c’est qu’elle avait la même vision que lui du service public, qu’il lui faisait lire les brouillons de ce qu’il écrivait d’important (politiquement et moralement) : sans doute son avis pesait-il lourd pour choisir quelle attitude prendre vis-à-vis des « honneurs » de la République. Là où j’avais une posture complexée de retrait devant les responsabilités génératrices de pouvoir ou de « gloire » (comme fils et petit fils d’archevêque je voyais ces avantages comme indécents), lui prenait ces « honneurs » à bras le corps, non pour se faire voir, mais comme leviers pour faire avancer ce qui lui apparaissait comme important, ou… seulement éviter les gâchis qui viennent si vite.

J’ai été très heureux le court moment où il fallait que tout le monde soit sur le pont à l’Institut de géographie du Mirail, pour qu’il soutienne enfin, et en urgence, sa thèse, à l’automne 1979 : relire des chapitres avant dactylo « définitive », rédiger au débotté quelques paragraphes exigés par son directeur de thèse, qu’il n’avait ni le temps ni l’envie d’écrire lui-même. Puis siéger dans un jury de pure forme : comment pourrait-on juger ce dont seul l’auteur a connaissance ? J’avais connu le même plaisir quelques années plus tôt pour « soutenir » de la même manière un autre « frère », Roberto Santana.

Selon moi, la connivence entre nous n’a jamais cessé par la suite, mais il était toujours sur des urgences stratégiques incontournables, qui nous détournaient de discussions sur des options théoriques qui sans doute lui importaient peu. Je ne me suis jamais défié de lui, même quand ce personnage énigmatique restait muet, et je crois que l’inverse était vrai aussi. Ce n’est que 5 ans après sa retraite, en 2006, qu’il a trouvé le temps d’une (ou plusieurs ? je ne sais) longue conversation pour alimenter un chapitre d’un livre où on parlait beaucoup de lui, que j’ai publié en 2008. Peut-être chez lui ou chez moi, ou au bureau qu’il avait toujours à l’Université. Je ne sais.

D’images de lui, presque aucun. Peu de textes « scientifiques » publiés (sauf dans sa jeunesse) en comparaison d’une « production » institutionnelle intense, commencée dès sa jeunesse à Mendoza. Il est significatif que son travail de thèse de doctorat, vingt ans de labeur, soit resté inédit en France, et publié seulement en partie et tardivement en Argentine ; il avait d’autres chats à fouetter que sa gloire universitaire.

réunion du CEISAL

Bernard Charlery de la Masselière : « Cet hommage par ma voix est celui des ruralistes du site toulousain de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et celui des géographes du Mirail. C’est au moment où je dirigeais l’UFR de Géographie et l’équipe de recherche Dynamiques rurales, que mes relations avec Romain ont été les plus régulières et les plus décisives. Comme Bernard Kayser et Georges Bertrand, Romain Gaignard a été un homme de l’ouverture, à l’extérieur, à l’interdisciplinarité, à l’international. Il reste l’homme des grands chantiers de notre université actuelle, mais bien plus il était un vrai humaniste.

Il faudrait des minutes d’éternité pour dire tout ce qui a été lancé et accompli grâce à Romain et par lui, pour dire toute notre reconnaissance, mais le temps ici paradoxalement nous manque.

 [En 2016, Dynamiques rurales marquait ses 25 années d’existence. Romain n’avait pu assister aux manifestations, préoccupé qu’il était de la santé de Marithé. Je regrette encore de ne pas avoir eu l’opportunité à ce moment-là de lui dire notre reconnaissance. Comment le projet scientifique, interdisciplinaire et pluri-institutionnel qui portait initialement sur la nature fragilisée des agricultures et des sociétés rurales dans les pays développés et en développement, aurait-il pu prendre toute sa dimension sans la constante attention que dès l’origine lui a prêtée Romain Gaignard. Dans un contexte scientifique peu favorable au positionnement de l »objet « rural » comme objet scientifique, l’intuition, la volonté et le pari de quelques chercheurs et enseignants-chercheurs, engagés chacun dans des logiques disciplinaires, collectives ou personnelles diverses sinon contradictoires, n’aurait pas suffi à fonder le projet qui Romain Gaignard, alors vice-Président du conseil scientifique de l’UTM, ne lui avait donné le poids d’une dynamique institutionnelle fédérative. ]

Aujourd’hui nous sommes empreints d’une grande émotion, et surtout d’une grande affection, ce mot de l’intimité qui contient à la fois le plaisir et la douleur. Le plaisir d’avoir partagé tant de moments inspirants et chaleureux : les réunions mensuelles  dans la salle à manger jaune du Président, les travaux de synthèse scientifiques et pédagogiques menés en pleine campagne, ruralité oblige, les fêtes de fin d’année dans le parc de l’ENFA où Marie-Thé nous rejoignait souvent. Cette affection nous étreint, dans la douleur aujourd’hui. L’empreinte est indélébile et vivante et elle maintient en nous cette présence rassurante, bienveillante qui fut et qui reste celle de Romain.

J’emprunterai au poète ces dernières paroles, par lequel il fait mémoire de ceux qui, sur la chaussée des hommes, ont eu cette façon de tenir face aux vents, chercheurs de route et d’eau libres.

Tout homme de patience, tout homme de sourire, animateur insoupçonné de la jeunesse, instigateur d’écrits nouveaux et nourricier au loin de visions stimulantes.

Tout homme de douceur, tout homme de patience aux chantiers de l’erreur, dans les tentatives éphémères de mettre les messages au clair, où la réponse fragile lui est donnée par illumination du cœur.

Tout homme de douceur, tout homme de sourire sur les chemins de la tristesse.

Car c’est bien de l’homme qu’il s’agit.

S’en aller, s’en aller, parole du Vivant : Romain, Marie-Thé, bon vent !

Voici les lieux que vous laissez. Les fruits du sol sont sur nos murs, les eaux du ciel dans nos citernes et les grandes meules de porphyre reposent sur le sable. (Saint-John Perse, Vents, extraits)

Merci d’avoir étéparmi nous !

Avec Alain Savary, inauguration de l’IPEALT

Rémy Pech :  « Mesdames, messieurs, chers amis, chers frères et sœurs puisque en ce lieu de fraternité où vous êtes accourus en nombre malgré les contraintes inhérentes au virus qui fauché Romain et Marité, nous partageons le chagrin de leur famille. Je remercie celle-ci et notre présidente Emmanuelle Garnier qui m’ont confié la mission d’évoquer leur mémoire au nom de l’Université Jean-Jaurès.

Je m’en tiendrai à quelques phrases pour camper un homme singulier, vers lequel me portaient des origines similaires, ancrées dans la classe ouvrière, et un parcours comparable à ses débuts puisque nous avons été orientés vers les concours de la fonction publique : les Postes pour lui, l’école normale d’instituteurs pour moi, concours passés à 17  et 14 ans et nous attachant à vie au service public ! Mais il a eu beaucoup plus de mérite que moi, qui suis  demeuré sur place puis propulsé vers l’ENS Saint-Cloud. De son côté, il a traversé l’Occitanie de part en part, de Nice à Bordeaux, puis il a de lui-même conquis au pas de charge sa licence d’histoire, l’agrégation, et s’est aussitôt tourné vers la géographie rurale et l’Amérique latine sous l’impulsion des prestigieux Papy et Enjalbert. Lorsque je suis arrivé à Toulouse en 1974 soit 5 ans à peine après lui, j’ai d’abord entendu parler de lui comme d’un conseiller ruralité et Péninsule ibérique du président régional Alain Savary. Mes camarades des Comités d’action viticole de l’Aude alors mobilisés contre les importations étaient déconcertés par les arguments géopolitiques et la priorité donnée à la recherche de la qualité pour les vins régionaux.

J’ai compris que Romain était capable d’affronter des problématiques complexes, et Alain Savary le savait bien puisqu’il le nomma directeur des relations internationales dès son arrivée au Ministère de l’Education nationale en 1981. Romain est donc resté pendant 10 ans auprès de Savary. Pour ma part je ne fréquentai cet homme d’Etat, ce grand Résistant, et grand Européen, que pendant les quelques mois de la campagne municipale de 1977,  pour la reconquête de la mairie de Toulouse, empêchée par un découpage machiavélique ourdi par le pouvoir d’alors. Avoir travaillé avec un leader socialiste de la hauteur de Savary était suffisant pour nous rapprocher.

Je retrouvai donc avec plaisir notre Romain à son retour à Toulouse en 1985 et il ne tarda pas à être associé à la direction d’une université surchargée et parfois démotivée mais souvent bouillonnante. La tâche des dirigeants était alors avant tout d’obtenir des moyens supplémentaires (postes, crédits) pour faire face à la surcharge, et Romain qui connaissait les bureaux du Ministère était certainement un atout précieux, mais sur place il s’investit dans la création et le développement des institutions vouées à la connaissance de l’Amérique latine, tout en communiquant à l’ensemble des chercheurs de l’Université du Mirail l’esprit pluridisciplinaire qui l’a toujours animé.

Les lois limitant la durée des mandats à cinq années non immédiatement renouvelables font que l’action des présidents successifs et de leurs principaux collaborateurs s’inscrit dans une longue durée : une décision de construction par exemple couvre plusieurs mandats : un président réunit les crédits et apporte son paraphe aux projets, le suivant suit le chantier et le suivant du suivant inaugure ! Romain est resté aux affaires pendant trois lustres d’abord comme vice-président puis président en titre. Cette permanence unique dans le demi-siècle d’existence de notre maison suffirait à le distinguer mais je veux souligner avec force les trois images qu’il imprimera simultanément :

-Il a été un bâtisseur : sachant obtenir l’appui des recteurs successifs, dont Philippe Joutard fut le plus « durable », pour l’obtention des crédits dont le plan Université 2000 fut le canal essentiel dès 1988, mais aussi en forgeant au sein même de l’Université des instruments efficaces pour concevoir et suivre les projets. Michel Idrac pourrait mieux que moi porter témoignage de cette oeuvre qui fit éclore successivement le bâtiment de l’Arche, la Maison de la Recherche, l’UFR d’Histoire, les Pétales. Désengorger l’université mais aussi favoriser ses missions dans un esprit créatif et ouvert à la société, telle fut la tâche de Gaignard.  Ainsi a-t-il tracé un sillon que ses successeurs n’ont pu que suivre et approfondir. La reconstruction de l’ensemble  des bâtiments est  effective en 2015, mais son principe avait été admis en 2000, une année où la fermeture pour raison de sécurité,  sur décision administrative du maire de Toulouse avait été annulée de justesse grâce à l’ « entregent » de Romain tant de fois vanté.

-Il a été un gestionnaire : d’abord en construisant autour de lui ce qui est le gage d’une bonne gestion : la confiance. Je salue son aptitude à rassembler, au-delà des clivages disciplinaires ou syndicaux et je n’aurai garde d’oublier, ayant en partie échoué sur ce point, l’unité des deux principaux syndicats d’enseignants qu’il sut préserver.

Romain connaissait à fond les arcanes budgétaires du Ministère, mais il sut trouver de nouvelles sources de financement auprès des pouvoirs régionaux en ascension, et aussi des institutions consulaires pour les IUT par exemple. Surtout, il avait su changer la donne. Il a su abandonner la sébile tendue au ministre par les universités perturbées et l’inciter à aider une université modernisée et ouverte à son environnement. Il a même su dépasser les directives ministérielles pour restructurer les UFR, ramenées de 15 à 5 en quelques mois et non sans réticences.

Il faut aussi rappeler que l’installation du Pôle européen, qu’il mit en place dans les années 1990 avec l’architecte César Juvé est le premier acte fondateur de l’Université fédérale aujourd’hui en devenir.

-Il a été un visionnaire : en projetant l’Universitédans la société et vers le progrès, avec le souci constant d’orienter nos étudiants vers des formations créatrices d’emplois. Deux exemples suffiront : l’Ecole Supérieure d’Audiovisuel, dont il procura le financement en « désensilant » ( selon son terme) des crédits gelés depuis des décennies et en les complétant par des apports régionaux. Et aussi l’ISTHIA, qui projeta les formations vouées au Tourisme et à l’hôtellerie dans l’Ariège voisine, ais aussi jusque dans la lointaine Malaisie où flotte sur un bâtiment de Kuala Lumpur la flamme rouge du Mirail.

Avec son prédécesseur Georges Mailhos, Romain Gaignard sut prendre le risque de l’essaimage en région, réalisé à Albi, Montauban, Castres, Figeac et Foix avec la mobilisation des collectivités locales. Une révolution qui rapprocha nos enseignements de populations éloignées, et pas seulement par la géographie. Le souci de la synergie avec l’environnement local apparaît par exemple dans l’implantation de l’IUT de Figeac au coeur de la Mecanique Vallée.

La résultante de toutes ces actions, menées avec persévérance et sans souci d’un éclat personnel par un homme dont on évoque souvent la discrétion, c’est d’avoir conféré à l’Université Jean Jaurès la dignité et le rayonnement dont elle jouit aujourd’hui à travers les épreuves et parfois les soubresauts dont les années « AZF » furent fertiles.

S’agissant de l’homme qu’il fut, je pourrai témoigner de la générosité dont il fit preuve en accueillant personnellement plusieurs réfugiés fuyant les dictatures latino-américaines et associer à son souvenir celui de Marité qui l’accompagne aujourd’hui et dont, je le sais, la présence aimante et les compétences en matière de psychologie des jeunes lui furent précieuses dans les moments de doute et de turbulence. Moi qui ai recueilli son flambeau en 2001, bien conscient de ma chance, mais aussi du défi que représentait cette charge, je peux aujourd’hui au nom de notre histoire, et en celui de notre actuelle présidente Emmanuelle Garnier ici présente, formuler le seul mot  qui s’impose à la mémoire d’un grand président : MERCI ! »

Pour voir les amis de Marité et Romain en février 2021, cliquez ci-dessous:

http://alger-mexico-tunis.fr/wp-content/uploads/IMG_2790.mov

 

 

 

 

 

 

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