Film vu à Muret en avant première le 29 mai 2021. Le roman à l’origine du film a plus de dix ans (2009). Ce film intense, ce livre si dur, sont l’homologue du livre de Raphaelle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » http://alger-mexico-tunis.fr/?p=296
A l »époque l’auteur du livre n’avait pas été reçu au Maghreb des livres: trop loin des préoccupations de Coup de soleil à l’époque? A Grenoble, récemment, Coup de soleil a été participant au lancement du film. C’est le président toulousain de la Ligue des droits de l’homme qui assure le commentaire du film dans la salle de Muret : cet homme de 80 ans présente cette histoire de la guerre d’Algérie (1954/ 1962) en train de sortir des mémoires vivantes de nos concitoyens, comme les guerres précédentes (1914/ 18 ou 1939/ 45). Certes les scènes de la guerre, atroce, ne sont plus dans la mémoire directe que d’une poignée de nos concitoyens. D’autres films, en fait nombreux, nous ont déjà donné ces images. http://nezumi.dumousseau.free.fr/film/filmguerrealgerie.htm Mais le livre, comme le film, parle essentiellement des souvenirs gravés, enfouis, dans la tête du héros et de ses proches. Personne n’a presque jamais parlé de rien. Sa sœur a gardé précieusement ses lettres, où seule la face racontable de la vie militaire était racontée. Certes la Ligue des droits de l’homme, née de l’Affaire Dreyfus, a raison de soutenir que l’honneur de l’armée française est de dire ses fautes quand nécessaire. Mais ce qui importe ici, c’est de dire ce que fut la vie de toute une classe d’âges, les garçons français nés entre 1928 et 1943 (« rappelés », « appelés », « engagés volontaires »… sans oublier ceux qui avaient la chance de ne pas « y aller » ou craignaient d’y aller bientôt). Et parmi les garçons de ces âges, certains étaient des « sujet français de confession musulmane », futurs citoyens algériens, confrontés aux mêmes peurs (être enrôlés dans l’armée française, déserter, être enrôlés par le FLN ou le MNA). Des jeunes Soviétiques ont été confrontés eux aussi à l’obligation militaire en Afghanistan, comme des jeunes Etatsuniens au Viet Nam, mais sans qu’on leur dise que c’est dans et pour leur propre pays qu’ils allaient combattre. Peu de jeunes Français doutaient alors de ce que le service militaire soit un passage obligé pour devenir un homme. Ce « service » particulier, dans la violence et la peur, était aussi la découverte des Autres : les notables musulmans, anciens de Verdun, ou les filles pieds-noires. Ou tout simplement dormir avec vue sur la baie d’Alger, avec sa chambre à soi pour la première fois de sa vie.
Ces jeunes hommes n’ont pas dit ce qu’était leur « guerre » sur le moment, mais pas plus pendant de longues décennies. Plusieurs raisons à cela : sur le moment, ils sont tous reliés au monde « normal » quotidiennement, parce qu’ils ont une radio transistor, si bien qu’ils sentent particulièrement clairement que le monde de la peur où ils vivent est « anormal ». Dans les décennies suivantes, où l’obligation du service militaire se transforme complètement pour disparaître ensuite, comment dire aux cadets, puis aux enfants qui sont « coopérants » ou « objos » s’ils veulent éviter le « service », que eux « appelés » n’avaient pas d’alternative imaginable, sauf à déserter ? Comment parler de « ma guerre » (que j’ai perdue et non gagnée) à des anciens qui « ont gagnée » leurs guerres ou à des jeunes qui vivent dans un monde où la guerre a disparu ?
Lire le livre après avoir vu le film n’est pas simple. Le livre est beaucoup plus dur que le film, parce que le récit haché donne beaucoup plus de détails insoutenables sur les souvenirs des bidasses, alors que film met en scène beaucoup plus de souvenirs précieux d’un pays vécu, qui a existé, et qui existe toujours.
Dans le livre, la tension ne cesse de monter : au départ on est dans la grisaille du village où les gens de soixante ans gèrent des tensions qui se renouent sans cesse, vers l’an 2000. Ce n’est que progressivement que le lecteur est envahi par les souvenirs des jeunes hommes de vingt ans, aveuglés par le soleil d’Oranie. Le film a dû choisir des scènes moins nombreuses pour leur consacrer au moins quelques minutes, alors que le même souvenir dans le livre tient en une phrase.
Quelques phrases retenues : « P 86 Au village, c’est en 1979 qu’on a vu pour la première fois un couple d’arabes, [même si Chefraoui est là depuis longtemps, tout simplement]. P 202 Il pense aux Algériens. Il se dit que depuis qu’il est ici il ne connaît que la petite Fathia, pas même ses parents, que la population est pour lui comme pour les autres une sorte de mystère qui s’épaissit de semaines en semaines et il se dit que, sans savoir pourquoi, sans savoir de quoi, il a peur. P 241 Est-ce que c’est la même trouille qu’à Verdun ou en quarante ou comme toutes les guerres ? »
C’est Isabelle qui m’envoie le lien du dialogue avec le cinéaste dans La Croix… https://www.la-croix.com/Culture/Lucas-Belvaux-Je-voulais-apporter-regard-apaise-guerre-dAlgerie-2021-06-01-1201158770?fbclid=IwAR3h1P5wGR9WM_4Sq3Cd9v5KQWtoh9bJaDEO8VEOZfGVYFnEBdmKL1tXx28
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