Enfance clandestine/ Infancia clandestina (Argentine, Brésil, Espagne, 2012)
Ce film d’une beauté et d’une sensibilité poignantes est traité par les commentateurs francophones avec une ignorance profonde de l’Argentine et de son histoire. C’est en cherchant du côté hispanophone que j’ai trouvé mieux (« Otros cines »), c’est pourquoi je le traduis ci-dessous.
Rappelons que la « sale guerre » des années 1970 en Amérique Latine prend racine au Brésil dès 1964, où la séquence est hélàs classique : coup d’état militaire, mise en place du renseignement militaire, de la torture, des exécutions sans jugement, de la disparition des corps, de l’exil légal ou illégal des opposants menacés. N’oublions pas que la toile de fond est la « menace » cubaine, puisque la Cuba castriste née en 1960 donne son label, mais aussi son aide matérielle, aux mouvements d’oppsitions qui optent pour la lutte armée, d’abord sous forme de guerillas rurales (« foyers »= focos= foquismo) auxquels Ernesto Che Gevara donne leur couleur héroïque. La guerilla urbaine, elle, est inaugurée en Uruguay par les Tupamaros vers 1968.
Mais d’un pays à l’autre, ce ne sont pas les mêmes sociétés, ni les mêmes processus. Au Brésil (190 millions d’habitants maintenant), très peu d’exilés (quelques intellectuels de renom), quelques centaines d’exécutions (400 morts ou disparus ?). Au Chili, beaucoup d’exilés (dont beaucoup en Europe, où les intellectuels en gardent la mémoire), des exécutions, essentiellement après condamnation par des tribunaux militaires : pour 17 millions d’habitants, entre 1000 et 3000 morts, dont une minorité de disparus. En Argentine, une proportion d’exilés semble-t-il encore plus forte qu’au Chili, au cours d’une guerre civile qui dure en multiples épisodes, y compris entre les différentes factions du péronisme, avec comme final 30 000 « disparus » qui forment la grosse majorité des morts (dans une population de 40 millions), c’est-à-dire les victimes d’exécutions extrajudiciaires dont les exécutants ont fait disparaître les corps. Peut-on dire qu’au Brésil l’immense majorité des citoyens le sont restés en courbant le dos, qu’au Chili le gouvernement de Pinochet a considéré la gauche révolutionnaire comme des chiliens ennemis, mais comme des hommes, et qu’en Argentine après une longue lutte où les ennemis se considéraient mutuellement comme des « enfants de putains » pas très humains, les militaires vaiqueurs ont nié toute humanité à la vermine qu’ils anéantissaient et à sa descendance ? Les réflexions de Claudia Hilb nous aident dans cette affaire argentine http://paris-planete.blogs.la-croix.com/les-verites-enfouies-de-la-dictature-argentine/2013/03/16/
En revenant au film, notons que pour cet enfant le problème de la langue est essentiel pour ne pas se trahir : de ses années d’écolier à Cuba il a rapporté l’accent « caraïbe » qui pourrait le dénoncer. Faute de pouvoir lui inculquer d’emblée l’accent « porteño » (de Buenos Aires) de ses petits camarades, les parents lui enjoignent de dire qu’il a l’accent de la province (Cordoba) d’où il est sensé venir, plus neutre.
« Après un prologue situé vers 1975 qui démarre avec des images « conventionnelles » suivies de dessins animés […] pour raconter la tentative d’assassinat d’un couple de militants montoneros, le film saute à 1979, dans l’euphorie qui suit la victoire argentine au Mundial de foot (mais en pleine escalade de la répression). Les protagonistes reviennent de leur exil à Cuba, via le Brésil, pour participer à la « contre offensive » lancée par les chefs montoneros. Juan qui rentre en Argentine avec sa petite sœur, un bébé, est inscrit à l’école du quartier sous le nom d’Ernesto (comme le Che, bien sûr). Ses parents et son oncle si sympathique vivent en clandestins, reclus dans une maison qui sert de lieu de réunion de célule et d’entrepos pour le matériel « révolutionnaire ». Juan accepte cette vie, mais quand il tombe amoureux d’une fillette qui fait à son école de la gymnastique artistique, sa sensibilité bascule (tout comme ses désirs sexuels) et son sens de l’obéissance s’effondre. Même effondrement dans l’environnement familial quand une seule fois sa grand-mère est accueillie chez eux pour son anniversaire, ce qui met en lumière les inévitables contradictions entre le dehors et le dedans (la clandestinité).
Le film expose la tension permanente entre engagement militant (y compris sa discipline de fer) et possibilité de jouir des plaisirs de l’intimité familiale. Car se détendre pourrait être un désastre immédiat dans ce contexte, et pourquoi pas une menace de mort. […]. Le film repose sur la double logique : celle de Juan/ Ernesto, entre ses désirs (son initiation sexuelle) et ses peurs et celle beaucoup plus étroite des guerilleros. Le film, au delà de quelques lieux communs, est mené avec rigueur et crédibilité, entre crudité et sensibilité, pour donner en définitive une peinture remarquable (plus humaine que politique) de cette période sanglante de l’histoire d’Argentine qui garde bien des blessures ouvertes.
Otros cines
Infancia clandestina (Argentina-España-Brasil/2012). Dirección: Benjamín Avila. Con Ernesto Alterio, Natalia Oreiro, César Troncoso, Teo Gutiérrez Moreno, Cristina Banegas y Violeta Palukas. Guión: Benjamín Avila y Marcelo Müller. Fotografía: Iván Gierasinchuk. Música: Pedro Onetto y Marca Roca. Edición: Gustavo Giani. Dirección de arte: Yamila Fontán. Sonido: Fernando Soldevila. Distribuidora: Distribution Company. Duración: 110 minutos. Apta para mayores de 13 años con reservas. Salas: 35.
Luego de un prólogo ambientado en 1975 que arranca con imágenes « convencionales » y termina con animación (un recurso que luego se repetirá en otros pasajes del film) para narrar el intento de asesinato por parte de un comando de la Triple A contra un matrimonio de militantes montoneros, la película salta hasta 1979. En plena euforia post-Mundial ’78 (y en plena escalada represiva), los protagonistas vuelven de un exilio en Brasil y Cuba en el marco de la « contraofensiva » lanzada por los líderes de su organización. Juan (Teo Gutiérrez Moreno) ya tiene una hermana menor (todavía una beba), pero él ingresa a la primaria del barrio con el nombre falso de Ernesto (por el Che, claro). Con sus padres (Natalia Oreiro y César Troncoso) y con su simpático tío (Ernesto Alterio) viven en la clandestinidad, recluidos en una casa que es también lugar de reunión de la célula y de acopio de material « revolucionario ». El acepta las condiciones, pero cuando se enamora de una chica que hace gimnasia artística en la escuela su sensibilidad aflora (así como su urgencia hormonal) y su sentido de la obediencia se desmorona. Lo mismo ocurre en el entorno familiar cuando llega por única vez al lugar su abuela (Cristina Banegas) para festejar su cumpleaños y se exponen en toda su dimensión las inevitables contradicciones entre el afuera y el adentro (la clandestinidad). El film plantea la tensión permanente entre el compromiso de los militantes (férrea disciplina incluída) y el disfrute y la posibilidad de vivir situaciones felices en la intimidad familiar. Es que aflojar, relajarse, podría resultar en ese contexto un desastre seguido, por qué no, de muerte. La idea de narrar la historia desde el punto de vista de un chico no es nueva en el cine latinoamericano (Kamchatka, El año que mis padres se fueron de vacaciones, Andrés no quiere dormir la siesta y sigue la lista), pero aquí el realizador de Nietos (identidad y memoria) -que incorpora al relato unos cuantos elementos autobiográficos- trabaja la doble lógica: la de Juan/Ernesto, con sus deseos (su iniciación sexual) y sus miedos; y la mucho más cerrada de los guerrilleros. La película -más allá de algunos lugares comunes de esta suerte de « subgénero »- se maneja casi siempre con rigor y credibilidad, con crudeza pero también con sensibilidad para constituirse, en definitiva, en un muy atendible retrato (más humano que político) sobre aquel período sangriento de la historia argentina que todavía tiene unas cuantas heridas abiertas.
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