Paris septembre 1942- Mexico février 2014
C’est en mai 2014 que je reçois la brochure impeccablement éditée qui contient la cinquantaine de témoignages de ses amis. Une croyance commune chez tous ces copains, tous athées en gros : on se retrouvera. C’est que chez nous autres intellectuels, ce qui se pense ne meurt pas. Faut-il l’écrire pour en être sûr ? Pancho sans doute n’aurait rien écrit lui-même…
Son extrême attention à ce que disaient des ados (toutes filles : est-ce un hasard ?) a permis une série de textes écrits par les enfants de ses amis. Ces derniers remémorent tous et toutes le dandy, le provocateur, le lecteur infatigable, le questionneur. C’est aussi l’homme qui ouvre le monde grâce aux voyages où il nous emmène. Paradoxalement, c’est seulement dans la ville de Mexico qu’il m’a fait découvrir des lieux inconnus.
Ses amis sont avant tout une génération : la sienne, arrivée à l’âge adulte dans le bonheur des trentes glorieuses, quand les contraintes de la France traditionnelle avaient juste été dénouées en 1968 et quand les nouvelles contraintes professionnelles d’un monde moderne où personne n’a de place assurée ne s’étaient pas encore installées. C’est comme cela qu’avec une maîtrise d’anthropologie en poche, plus une recommandation de Lévi-Strauss adressée à son ami Angel Palerm, réfugié républicain espagnol, il est devenu chercheur au Mexique. D’abord comme « coopérant » au titre du service militaire, puis recruté au CISINAH (Centre de recherche de l’Institut national d’anthropologie et histoire né en 1976) qui en 1980 devient le CIESAS (Centre de recherches et enseignement supérieur en anthropologie sociale ), ce qu’il est resté en jouissant d’une totale liberté, parce qu’en plus de 40 ans il n’a guère cherché à disposer de financements pour lui-même ou pour des disciples ou jeunes chercheurs, et moins encore à obtenir les différents suppléments de salaire accordés en fonction de la « production » : il se contentait de l’essentiel : parler aux collègues et étudiants des problèmes qu’il voulait poser ou des lectures qui lui suggérainent ces problèmes. S’il a produit, c’est principalement par des conversations qui ont diffusé dans la pensée de son entourage. Voilà comment on peut vivre en milieu universitaire, à l’ancienne, en refusant les concurrences et les hiérachies, aussi bien celles d’autrefois que celles de maintenant. A nous de récupérer les traces de cette civilisation universitaire disparue, antérieure à l’écriture surabondante, mais constituée principalement par des lectures, que Pancho a fréquentée et reproduite.
Es en mayo de 2014: recibo el folleto perfectamente compuesto que contiene los cincuenta testimonios de sus amigos. Una creencia común de sus cuates, todos mas o menos ateos: nos volveremos a encontrar. Sería que con nosotros, intelectuales, lo que se piensa no muere? Hay que escribirlo para que sea seguro? Probablemente Pancho no hubiera escrito nada…
Le texte qui suit a été proposé par moi à Wikipedia à l’automne 2014. Il a provoqué une indignation à laquelle je n’étais pas habitué lors de la publication antérieure de notices sur d’autres amis mexicanistes, historiens ou anthropologues. Un ami ingénieur, parmi les fondateurs de wikipedia en français, m’a expliqué le problème : les contrôleurs bénévoles de wikipedia, surveillant une discipline, sont débordés par des notices dont ils ne peuvent contrôler le contenu. Alors ils s’en tiennent à la forme canonique d’un « wikipedisme » dont ils se font les gardiens farouches. Du coup, c’est mon blog qui accueille mon ami Pancho.
Vivant dans une famille parisienne, François Lartigue fait ses études supérieures à la Sorbonne dans les années 1960. Puis il suit à partir de 1967 la formation toute nouvelle (EPRASS) créée à la Sixième section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, au sein de la Maison des Sciences de l’Homme. Cette formation pluridisciplinaire de deux ans est l’équivalent du Diplôme d’étude approfondi destiné aux étudiants de doctorat. C’est avec Claude Lévi-Strauss qu’il y prépare son mémoire.
C’est d’abord comme « coopérant » au Mexique pour un séjour de deux ans, au titre du service militaire, qu’il s’installe en 1969 pour plusieurs mois dans la Tarahumara, grâce à la recommandation de Lévi-Strauss qui lui assure l’accueil de Angel Palerm, au département d’anthropologie de l’Université Jésuite (Iberoamericana). Ce dernier, Espagnol républicain installé au Mexique, est un organisateur essentiel de l’anthropolgie au Mexique
En 1972 il travaille, comme vacataire du CNRS, au projet pluridisciplinaire organisé au Guatemala dans les hautes terres par Henri Lehmann (puis Alain Ichon) à San Andrés Sajcabaja. Il y retournera périodiquement avec ses collègues archéologues et sociologues, avec une longue interruption causée par la guerre civile jusqu’en 1986.
Il est recruté au CISINAH mexicain (Centre de recherche de l’Institut national d’anthropologie et histoire) dès la naissance de celui-ci en 1975. C’est en 1980 que ce centre devient le CIESAS (Centre de recherches et d’études supérieures en Anthropologie sociale). Lartigue y est resté jusqu’à sa mort en jouissant d’une totale liberté.
François Lartigue était un homme de contacts chaleureux, ce dont atteste la cinquantaine de témoignages écrits réunis par ses amis en quelques semaines après sa mort. Le Mexique, a été une seconde patrie pour sa famille comme pour lui.
Des terrains, des lectures, des discussions
Les « terrains » de Lartigue ont été la Tarahumara et la Huasteca au Mexique, les hautes terres au Guatemala. Il ne cessait d’inciter ses étudiants à travailler « sur le terrain », multipliant lui même les visites et séjours courts pour retourner auprès de ses réseaux d’informateurs. Mais à partir des années 1980 ce sont sans doute les séminaires thématiques qu’il a co-organisé qui ont le plus compté pour lui.
En 1987, il participe au Groupe de travail sur le droit coutumier indigène coordonné par Rodolfo Stavenhagen (Colegio de México).
Face à la rébellion zapatiste au Chiapas (1994), Lartigue a toujours maintenu une position d’analyste critique. Prudent devant les projets d’« autonomie indigène », tout comme devant les organisations d’autodéfense et polices communautaires, il s’intéresse au droit, aux relations concrètes entre groupes indigènes et système de l’Etat national.
C’est pour analyser les changements politiques de la fin des années quatre-vingt-dix qu’il met en place plusieurs projets avec le LESC (Laboratoire d’Ethnologie et Sociologie Comparative, Paris Ouest Nanterre La Défense) et co-organise un colloque franco-mexicain « Identités, Globalisation et Démocratie » au Colegio de San Luis, 6-9 novembre 2000, et trois colloques en 2001, 2005 et 2007 sur la « transition démocratique » au Mexique et la mise en place de nouvelles formes de vote dans les communautés indiennes. Il organise également avec Víctor Franco Pellotier, Danièle Dehouve et Aline Hémond un Projet ECOS-ANUIES (2001-2006) et dirige un projet CONACYT (2002-2005) sur les processus électoraux en régions indiennes au Mexique. Ses interlocuteurs ont été principalement l’Institut Fédéral électoral mexicain, mais aussi la Fondation Ford et le PNUD des Nations Unies.
C’est également dans ce contexte qu’il organise au CIESAS en 1997, avec María Teresa Sierra, un séminaire d’anthropologie juridique, transformé avec Victor Franco (1954-2004) en séminaire d’anthropologie politique qui fonctionne de 2001 à 2014, au rythme de sept séances par an et devient le lieu à Mexico où l’on débat de toutes les évolutions politiques concrètes que connaissent les populations indiennes au Mexique.
En 1998-99, avec André Quesnel, démographe français à l’IRD, il mène un séminaire permanent de réflexions sur les conditions d’établissement du recensement de 2000 au Mexique, avec des recherches de terrain dans le sud de l’état de Veracruz, pour détecter les formes cachées d’hétérogénéité des catégories du recensement et les discriminations qui s’y révèlent : transition démographique, migrations proches et lointaines, cohabitation des groupes ethniques en milieux ruraux ou urbains, possessions foncières des familles, sur quatre générations, sont les thèmes étudiés.
En 2004, il lance un séminaire sur le thème « discuter Arturo Warman » (1937-2003), à propos du livre de celui-ci El campo mexicano en el siglo XX (2001) Mexico, Fondo de Cultura Económica. C’est l’occasion, comme à propos du recensement de population, de questionner les structures mêmes de l’Etat mexicain, forgé par près de trois quarts de siècles de règne d’un parti unique, le Parti révolutionnaire institutionnel. La réforme des tenures foncières issues de la réforme agraire (ejido), la recomposition des familles paysannes au sein de ces ejidos, la permanence d’un monde paysan et sa recomposition liée à des activités non agricoles, parfois majoritaires, au sein de celui-ci, sont quelques thèmes majeurs de ce questionnement.
En 2006, à 64 ans, Lartigue se consacre à un projet sur les populations paysannes indigènes de la Huasteca (plus précisément sur 38 communes des états de Hidalgo et de Veracruz), terrain qui lui est familier de longue date, comme la Sierra Norte de Puebla voisine. Il évalue avec ses collègues la décadence de la culture du maïs, très liée à l’autosubsistance, décadence parallèle à la montée des activités dominées par le marché comme la culture du haricot ou l’élevage extensif.
Depuis le début des années 2010 surtout, le travail de terrain des anthropologues au Mexique s’est vu menacé par l’extension des zones d’insécurité, liées en particulier au trafic de drogue. Lartigue cherchait à nuancer cette insécurité, persuadé que l’anthropologue devait savoir négocier son insertion dans le milieu local pour mener son travail. Il prônait une vision de cette insécurité sur un plus long terme, en relation avec des analyses des relations globales de l’Etat mexicain avec les segments de la société mexicaine. Face aux situations conflictuelles qui menaçaient ses collègues, il proclamait : « si nous tombons dans le piège de la peur, nous sommes frits ».
Bibliographie/ Bibliografía
Sur/ sobre Guatemala :
1973, « Circulation des charges et organisation sociale à San Andrés Sajcabaja », Journal de la Société des Américanistes, LXII, p. 131-144.
1983, « L’organisation communautaire d’un village quiché : les politiques d’une réserve de main d’œuvre indienne », Henri Lehmann édit. San Andrés Sajcabaja, Peuplement, organisation sociale et encadrement d’une population dans les hautes terres du Guatemala, CEMCA, p. 103-113. [repris/ republicado en : San Andrés Sajcabajá, Estudio pluridisciplinario de un pueblo de la región oriental del Quiché, Guatemala, CEMCA, 1997, p. 97-106].
1991 « Eloge d’un mort et traces dans la cendre », Alain Breton et Jacques Arnauld ed., Mayas, la passion des ancêtres, le désir de durer, ed. Autrement, p. 276-282 [ repris dans/ republicado en : Los Mayas, la pasión de los antepasados y el deseo de perdurar, México, Grijalbo, 1995, p. 269-275]
1993, « Comunidad y municipalidad, San Andrés Sajcabaja durante los años ochenta », Alain Breton ed., Representaciones del espacio político en las tierras altas de Guatemala, CEMCA, p. 11-15
Sur/ sobre la Tarahumara
-François Lartigue, Indios y bosques, políticas forestales y comunales en la Sierra Tarahumara, Ediciones de la Casa Chata n° 19, Cultura Sep, CIESAS 1983, 155 p., bibliographie, 4 cartes. A partir de travaux de terrain menés en 1969, puis en 1975-77, grâce à Angel Palerm (1917-1980). Le pivot social des communautés tarahumaras est l’organisation en ejidos forestiers, où les différenciations sociales sont liées aux pratiques de ces communautés, les modes de travail au sein de l’ejido venant en conséquence. Mais ces pratiques sont encadrées par les règles de l’Etat mexicain et du système capitaliste de production du bois et de ses dérivés. Un appendice du livre (p. 141-147) est une réflexion sur l’enquête participative « présence perturbatrice », sur le choix du lieu central de l’enquête. Il nous dit que c’est grâce à Angel Palerm et Carmen Viqueira [son épouse], à Arturo Warman et Guillermo Bonfil, qu’il a compris que les modes de l’anthropologie parisienne ne sont pas pertinentes sur son terrain. Ce livre est en somme l’enveloppe externe des études de Lartigue sur la Tarahumara. Il ne nous a guère donné par écrit les contenus de cette enveloppe…
A partir de trabajos de campo hechos en 1969, y luego en 1975-77, gracias a Angel Palerm (1917-1980). El punto medular de las comunidades tarahumaras es la organización de los ejidos forestales. Las diferencias sociales se generan con los modos de actuar en aquellas comunidades, con las consecuencias en las modalidades del trabajo dentro de los ejidos. Pero estos procesos se dan bajo control de las reglas del Estado mexicano y del sistema capitalista de producción de la madera y de sus derivados. Un anexo del libro (p. 141-147) reflexiona sobre la encuesta participativa como « presencia perturbadora » , sobre escoger el lugar central de las encuestas. Lartigue nos dice que es gracias a Angel palero, a su esposa Carmen Siquiera, a Arturo Warman y a Guillermo Bonfil que ha logrado entender que los modelos de la antropología parisina no cuajaban con su trabajo de campo en la Tarahumara.Este libro, pues, es la tapa externa de sus estudios sobre la Tarahumara. Y el nos ha dado muy poco por escrito de los contenidos de aquellos estudios…
« Usos y abusos de los bosques » en: México Indígena , n°24,año IV,2a época, México, sept-oct 1988.
« Una estrategia de intermediación cultural » en: México Indígena , n°25,año IV,2a época, México, nov-dic 1988.
-1990, Entre la ley y la costumbre, Roberto Stavenhagen y Diego Iturralde ed., contribution/ contribución de François Lartigue sobre la Tarahumara.
Sur les nouvelles identités et l’anthropologie du vote/ Sobre las nuevas idendidades y la antropología del voto:
» Les indiens dans la démocratie mexicaine » in J. Revel Mouroz et M.F. Schapira édit., Le Mexique à l’aube du troisième millénaire, IHEAL, 1993, p.243-249, disponible en open book: http://books.openedition.org/iheal/1023
F. Lartigue et al. (D. Dehouve, C. Gros et L. Reina) [éds] : « Identités, nations, globalisation, Colloque franco-mexicain, San Luis Potosí, novembre 2000 », Ateliers n° 26, Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, 2003.
F. Lartigue et al. (L. Reina, D. Dehouve et C. Gros) [éds] : Identidades en juego, identidades en guerra, Mexico, CIESAS/CONACULTA-INAH, 2006.
F. Lartigue et al., « Preámbulo », in V. M. Franco Pellotier, D. Dehouve et A. Hémond (éds.) : Formas de voto, prácticas de las asambleas y toma de decisiones. Un acercamiento comparativo, Mexico, Publicaciones de la Casa Chata, 2011, p. 15-24.
Sur la démographie indienne/ sobre la demografía indígena :
F. Lartigue et André Quesnel (coords.) : Las dinámicas de la población indígena. Cuestiones y debates actuales en México, México, CIESAS-IRD y Miguel Ángel Porrúa, 2003.
Sur/ sobre François Lartigue :
« Semblanzas de François Lartigue », por Claude Bataillon y Danielle Zaslavsky, p. 27-33, in Agustin Avila Méndez y José Luis Plata Vázquez (coord.) Nuevas coordenadas del territorio huasteca desde la historia, la arqueología, el arte y los rituales, El Colegio de San Luís, 2016.
« François Lartigue, el articulador de sueños », por Adriana Terven Salinas y Irene Judrez Ortiz, p. 35-44, in Agustin Avila Méndez y José Luis Plata Vázquez (coord.) Nuevas coordenadas del territorio huasteca desde la historia, la arqueología, el arte y los rituales, El Colegio de San Luís, 2016.
Ichan Tecolotl (la casa del tecolote), Ciesas, México, N° 287, Julio de 2014, Homenaje a François Lartigue, 36 p. (20 contributions).
François, pour Dany, Sonia, Nadia. Avri 2014, 52 p. [brochure à tirage limité de témoignages des amis/ folleto de edición limitada de testimonios de los amigos de François Lartigue]
Claude Bataillon, Un géographe français en Amérique Latine, quarante ans de souvenirs et de réflexions, Editions de l’IHEAL, Travaux et mémoires N° 79, 2008, 249 p., (p. 92-95). Version espagnole, Un geógrafo francés en América Latina, cuarenta años de recuerdos y reflexiones sobre México, 2008, El Colegio de México / El Colegio de Michoacán / Centro de Estudios mexicanos y centroamericanos, 165 p.[versión electrónica 2013 sur le site web du CEMCA] (p.93-96).
2 réponses à François Lartigue, anthropologue mexicain/ antropólogo mexicano
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